que vous me voulez?
Il essaya de rire:
– Allons, ne fais pas ta poire.
Elle lui tourna les talons en déclarant:
– Je ne fréquente pas les dos verts.
Elle avait cherché la plus grossière injure. Il sentit le sang lui empourprer la face, et il rentra seul.
Forestier, malade, affaibli, toussant toujours, lui faisait, au journal, une existence pénible, semblait se creuser l'esprit pour lui trouver des corvées ennuyeuses. Un jour même, dans un moment d'irritation nerveuse, et après une longue quinte d'étouffement, comme Duroy ne lui apportait pas un renseignement demandé, il grogna:
– Cristi, tu es plus bête que je n'aurais cru.
L'autre faillit le gifler, mais il se contint et s'en alla en murmurant: «Toi, je te rattraperai.» Une pensée rapide lui traversa l'esprit, et il ajouta: «Je te vas faire cocu, mon vieux.» Et il s'en alla en se frottant les mains, réjoui par ce projet.
Il voulut, dès le jour suivant, en commencer l'exécution. Il fit à Mme Forestier une visite en éclaireur.
Il la trouva qui lisait un livre, étendue tout au long sur un canapé.
Elle lui tendit la main, sans bouger, tournant seulement la tête, et elle dit:
– Bonjour, Bel-Ami!
Il eut la sensation d'un soufflet reçu:
– Pourquoi m'appelez-vous ainsi?
Elle répondit en souriant:
– J'ai vu Mme de Marelle l'autre semaine, et j'ai su comment on vous avait baptisé chez elle.
Il se rassura devant l'air aimable de la jeune femme. Comment aurait-il pu craindre, d'ailleurs?
Elle reprit:
– Vous la gâtez! Quant à moi, on me vient voir quand on y pense, les trente-six du mois, ou peu s'en faut?
Il s'était assis près d'elle et il la regardait avec une curiosité nouvelle, une curiosité d'amateur qui bibelote. Elle était charmante, blonde d'un blond tendre et chaud, faite pour les caresses; et il pensa: «Elle est mieux que l'autre certainement.» Il ne doutait point du succès, il n'aurait qu'à allonger la main, lui semblait-il, et à la prendre, comme on cueille un fruit.
Il dit résolument:
– Je ne venais point vous voir parce que cela valait mieux.
Elle demanda, sans comprendre:
– Comment? Pourquoi?
– Pourquoi? Vous ne devinez pas?
– Non, pas du tout.
– Parce que je suis amoureux de vous… oh! un peu, rien qu'un peu… et que je ne veux pas le devenir tout à fait…
Elle ne parut ni étonnée, ni choquée, ni flattée; elle continuait à sourire du même sourire indifférent, et elle répondit avec tranquillité:
– Oh! vous pouvez venir tout de même. On n'est jamais amoureux de moi longtemps.
Il fut surpris du ton plus encore que des paroles, et il demanda:
– Pourquoi?
– Parce que c'est inutile et que je le fais comprendre tout de suite. Si vous m'aviez raconté plus tôt votre crainte je vous aurais rassuré et engagé au contraire à venir le plus possible.
Il s'écria, d'un ton pathétique:
– Avec ça qu'on peut commander aux sentiments!
Elle se tourna vers lui:
– Mon cher ami, pour moi un homme amoureux est rayé du nombre des vivants. Il devient idiot, pas seulement idiot, mais dangereux. Je cesse, avec les gens qui m'aiment d'amour, ou qui le prétendent, toute relation intime, parce qu'ils m'ennuient d'abord, et puis parce qu'ils me sont suspects comme un chien enragé qui peut avoir une crise. Je les mets donc en quarantaine morale jusqu'à ce que leur maladie soit passée. Ne l'oubliez point. Je sais bien que chez vous l'amour n'est autre chose qu'une espèce d'appétit, tandis que chez moi ce serait, au contraire, une espèce de… de… de communion des âmes qui n'entre pas dans la religion des hommes. Vous en comprenez la lettre, et moi l'esprit. Mais… regardez-moi bien en face…
Elle ne souriait plus. Elle avait un visage calme et froid, et elle dit en appuyant sur chaque mot:
– Je ne serai jamais, jamais votre maîtresse, entendez-vous. Il est donc absolument inutile, il serait même mauvais pour vous de persister dans ce désir… Et maintenant que… l'opération est faite… voulez-vous que nous soyons amis, bons amis, mais là, de vrais amis, sans arrière-pensée?..
Il avait compris que toute tentative resterait stérile devant cette sentence sans appel. Il en prit son parti tout de suite, franchement, et, ravi de pouvoir se faire cette alliée dans l'existence, il lui tendit les deux mains:
– Je suis à vous, madame, comme il vous plaira.
Elle sentit la sincérité de la pensée dans la voix, et elle donna ses mains.
Il les baisa, l'une après l'autre, puis il dit simplement en relevant la tête:
– Cristi, si j'avais trouvé une femme comme vous, avec quel bonheur je l'aurais épousée!
Elle fut touchée, cette fois, caressée par cette phrase comme les femmes le sont par les compliments qui trouvent leur cœur, et elle lui jeta un de ces regards rapides et reconnaissants qui nous font leurs esclaves.
Puis, comme il ne trouvait pas de transition pour reprendre la conversation, elle prononça, d'une voix douce, en posant un doigt sur son bras:
– Et je vais commencer tout de suite mon métier d'amie. Vous êtes maladroit, mon cher…
Elle hésita, et demanda:
– Puis-je parler librement?
– Oui.
– Tout à fait?
– Tout à fait.
– Eh bien! allez donc voir Mme Walter, qui vous apprécie beaucoup, et plaisez-lui. Vous trouverez à placer par là vos compliments, bien qu'elle soit honnête, entendez-moi bien, tout à fait honnête. Oh! pas d'espoir de… de maraudage non plus de ce côté. Vous y pourrez trouver mieux, en vous faisant bien voir. Je sais que vous occupez encore dans le journal une place inférieure. Mais ne craignez rien, ils reçoivent tous leurs rédacteurs avec la même bienveillance. Allez-y, croyez-moi.
Il dit, en souriant:
– Merci, vous êtes un ange… un ange gardien.
Puis ils parlèrent de choses et d'autres.
Il resta longtemps, voulant prouver qu'il avait plaisir à se trouver près d'elle; et, en la quittant, il demanda encore:
– C'est entendu, nous sommes des amis?
– C'est entendu.
Comme il avait senti l'effet de son compliment, tout à l'heure, il l'appuya, ajoutant:
– Et si vous devenez jamais veuve, je m'inscris.
Puis il se sauva bien vite pour ne point lui laisser le loisir de se fâcher.
Une visite à Mme Walter gênait un peu Duroy, car il n'avait point été autorisé à se présenter chez elle, et il ne voulait pas commettre de maladresse. Le patron lui témoignait de la bienveillance, appréciait ses services, l'employait de préférence aux besognes difficiles; pourquoi ne profiterait-il pas de cette faveur pour pénétrer dans la maison?
Un jour donc, s'étant levé de bonne heure, il se rendit aux halles au moment des ventes, et il se procura, moyennant une dizaine de francs, une vingtaine d'admirables poires. Les ayant ficelées avec soin dans une bourriche pour faire croire qu'elles venaient de loin, il les porta chez le concierge de la patronne avec sa carte où il avait écrit:
Georges