Ги де Мопассан

Bel-Ami / Милый друг


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balbutiait:

      – Mais certainement, madame, certainement…

      Mme de Marelle se trouvait maintenant tout près de lui. Il n'osait point se retourner pour s'en aller.

      Tout à coup, il se crut devenu fou; elle avait dit, à haute voix:

      – Bonjour, Bel-Ami. Vous ne me reconnaissez donc plus?

      Il pivota sur ses talons avec rapidité. Elle se tenait debout devant lui, souriante, l'œil plein de gaieté et d'affection. Et elle lui tendit la main.

      Il la prit en tremblant, craignant encore quelque ruse et quelque perfidie. Elle ajouta avec sérénité:

      – Que devenez-vous? On ne vous voit plus.

      Il bégayait, sans parvenir à reprendre son sang-froid:

      – Mais j'ai eu beaucoup à faire, madame, beaucoup à faire. M. Walter m'a confié un nouveau service qui me donne énormément d'occupation.

      Elle répondit, en le regardant toujours en face, sans qu'il pût découvrir dans son œil autre chose que de la bienveillance:

      – Je le sais. Mais ce n'est pas une raison pour oublier vos amis.

      Ils furent séparés par une grosse dame qui entrait, une grosse dame décolletée, aux bras rouges, aux joues rouges, vêtue et coiffée avec prétention, et marchant si lourdement qu'on sentait, à la voir aller, le poids et l'épaisseur de ses cuisses.

      Comme on paraissait la traiter avec beaucoup d'égards, Duroy demanda à Mme Forestier:

      – Quelle est cette personne?

      – La vicomtesse de Percemur, celle qui signe: «Patte blanche.»

      Il fut stupéfait et saisi par une envie de rire:

      – Patte blanche! Patte blanche! Moi qui voyais, en pensée, une jeune femme comme vous! C'est ça, Patte blanche? Ah! elle est bien bonne! bien bonne!

      Un domestique apparut dans la porte et annonça:

      – Madame est servie.

      Le dîner fut banal et gai, un de ces dîners où l'on parle de tout sans rien dire. Duroy se trouvait entre la fille aînée du patron, la laide, Mlle Rose, et Mme de Marelle. Ce dernier voisinage le gênait un peu, bien qu'elle eût l'air fort à l'aise et causât avec son esprit ordinaire. Il se troubla d'abord, contraint, hésitant, comme un musicien qui a perdu le ton. Peu à peu, cependant, l'assurance lui revenait, et leurs yeux, se rencontrant sans cesse, s'interrogeaient, mêlaient leurs regards d'une façon intime, presque sensuelle, comme autrefois.

      Tout à coup, il crut sentir, sous la table, quelque chose effleurer son pied. Il avança doucement la jambe et rencontra celle de sa voisine qui ne recula point à ce contact. Ils ne parlaient pas, en ce moment, tournés tous deux vers leurs autres voisins.

      Duroy, le cœur battant, poussa un peu plus son genou. Une pression légère lui répondit. Alors il comprit que leurs amours recommençaient.

      Que dirent-ils ensuite? Pas grand'chose; mais leurs lèvres frémissaient chaque fois qu'ils se regardaient.

      Le jeune homme, cependant, voulant être aimable pour la fille de son patron, lui adressait une phrase de temps en temps. Elle y répondait, comme l'aurait fait sa mère, n'hésitant jamais sur ce qu'elle devait dire.

      À la droite de M. Walter, la vicomtesse de Percemur prenait des allures de princesse; et Duroy, s'égayant à la regarder, demanda tout bas à Mme de Marelle:

      – Est-ce que vous connaissez l'autre, celle qui signe: «Domino rose»?

      – Oui, parfaitement: la baronne de Livar?

      – Est-elle du même cru?

      – Non, mais aussi drôle. Une grande sèche, soixante ans, frisons faux, dents à l'anglaise, esprit de la Restauration, toilettes même époque.

      – Où ont-ils déniché ces phénomènes de lettres?

      – Les épaves de la noblesse sont toujours recueillies par les bourgeois parvenus.

      – Pas d'autre raison?

      – Aucune autre.

      Puis une discussion politique commença entre le patron, les deux députés, Norbert de Varenne et Jacques Rival; et elle dura jusqu'au dessert.

      Quand on fut retourné dans le salon, Duroy s'approcha de nouveau de Mme de Marelle, et, la regardant au fond des yeux:

      – Voulez-vous que je vous reconduise, ce soir?

      – Non.

      – Pourquoi?

      – Parce que M. Laroche-Mathieu, qui est mon voisin, me laisse à ma porte chaque fois que je dîne ici.

      – Quand vous verrai-je?

      – Venez déjeuner avec moi, demain.

      Et ils se séparèrent sans rien dire de plus.

      Duroy ne resta pas tard, trouvant monotone la soirée. Comme il descendait l'escalier, il rattrapa Norbert de Varenne qui venait aussi de partir. Le vieux poète lui prit le bras. N'ayant plus à redouter de rivalité dans le journal, leur collaboration étant essentiellement différente, il témoignait maintenant au jeune homme une bienveillance d'aïeul.

      – Eh bien, vous allez me reconduire un bout de chemin? dit-il.

      Duroy répondit:

      – Avec joie, cher maître.

      Et ils se mirent en route, en descendant le boulevard Malesherbes, à petits pas.

      Paris était presque désert cette nuit-là, une nuit froide, une de ces nuits qu'on dirait plus vastes que les autres, où les étoiles sont plus hautes, où l'air semble apporter dans ses souffles glacés quelque chose venu de plus loin que les astres.

      Les deux hommes ne parlèrent point dans les premiers moments. Puis Duroy, pour dire quelque chose, prononça:

      – Ce M. Laroche-Mathieu a l'air fort intelligent et fort instruit.

      Le vieux poète murmura:

      – Vous trouvez?

      Le jeune homme, surpris, hésitait:

      – Mais oui; il passe d'ailleurs pour un des hommes les plus capables de la Chambre.

      – C'est possible. Dans le royaume des aveugles les borgnes sont rois. Tous ces gens-là, voyez-vous, sont des médiocres, parce qu'ils ont l'esprit entre deux murs, – l'argent et la politique. – Ce sont des cuistres, mon cher, avec qui il est impossible de parler de rien, de rien de ce que nous aimons. Leur intelligence est à fond de vase, ou plutôt à fond de dépotoir, comme la Seine à Asnières.

      Ah! c'est qu'il est difficile de trouver un homme qui ait de l'espace dans la pensée, qui vous donne la sensation de ces grandes haleines du large qu'on respire sur les côtes de la mer. J'en ai connu quelques-uns, ils sont morts.

      Norbert de Varenne parlait d'une voix claire, mais retenue, qui aurait sonné dans le silence de la nuit s'il l'avait laissée s'échapper. Il semblait surexcité et triste, d'une de ces tristesses qui tombent parfois sur les âmes et les rendent vibrantes comme la terre sous la gelée.

      Il reprit:

      – Qu'importe, d'ailleurs, un peu plus ou un peu moins de génie, puisque tout doit finir!

      Et il se tut. Duroy, qui se sentait le cœur gai, ce soir-là, dit, en souriant:

      – Vous avez du noir, aujourd'hui, cher maître.

      Le poète répondit:

      – J'en ai toujours, mon enfant, et vous en aurez autant que moi dans quelques années. La vie est une côte. Tant qu'on monte, on regarde le sommet, et on se sent heureux; mais, lorsqu'on arrive en haut, on aperçoit tout d'un coup la descente, et la fin, qui est la mort. Ça va lentement quand on monte, mais ça va vite quand on descend. À votre âge, on est joyeux. On espère tant de choses, qui n'arrivent jamais, d'ailleurs. Au mien, on