pourquoi les gens recherchent de la valeur et du sens dans cette pile illusoire des liens de causalité?! Dans cet état primordial de conscience, la division du monde en deux pôles disparaît complètement; la pensée dualiste s’arrête. Si des pensées surgissent, elles sont considérées comme quelque chose d’extérieur, grossier et complètement dénué de sens.
Par la suite, j’ai réalisé que ce n’est qu’après l’expérience du Kensho que la véritable pratique spirituelle commence, car le Kensho donne une compréhension intuitive et très claire de tout ce avec quoi tu entres en contact. Puisque on ne se cherche plus soi-même dans les objets et les phénomènes, on peut les voir, eux, et non pas la dualité chaotique de sa conscience. Celui qui a vu (même furtivement) la réalité est capable de se consacrer entièrement à la pratique. Il est peu probable qu’il puisse échouer, car pour lui, il n’y a rien d’autre que la pratique spirituelle. Et par conséquent, il est en effet capable d’atteindre la Libération [3].
Je me souviens souvent des paroles que m’a adressées un Maître Zen à qui je décris mon expérience:
«Votre expérience est vraie, je la confirme. Félicitations, vous avez eu un aperçu du Bouddha! Qu’est-ce que tu vas faire après?
– Continuez, répondis-je.
– Continuer quoi?», le Maître très expérimenté ne m’a pas laissé tomber.
«– Continuez ma pratique, car il faut que l’expérience spirituelle soit la mienne, répondis-je spontanément.
– Très bien, sourit-il finalement, l’expérience doit être élargie. Combien de temps pourrais-tu rester dans cet état d’arrêt du flux mental?
– Dans cet état, il est impossible de détecter le temps, il s’arrête en même temps que la conscience, mais peut-être 10–15 minutes…
– Quand tu pourras rester indéfiniment dans cet état, alors ce sera «Illumination Suprême», a résumé le professeur.»
«Élargis ton expérience»: c’est cela que je fais depuis, étape par étape, élargissant l’état réalisé ce jour-là, l’état de la Tranquillisation et de la Contemplation.
Si vous me demandiez: «Quel évèvement était le plus important, le plus mémorable?», alors je parlerais de cette expérience du Kensho. Lorsqu’on m’avait demandé sur le but de la vie, je répondrais qu’au moins ce serait de vivre cette expérience.
Ainsi, en m’appuyant sur le Dharma authentique et sur ma propre expérience de pratique, je peux dire que le sens et le but de la vie est de retourner à son véritable état originel, qui peut être relativement désigné comme Âtman (Vrai «Soi»), Nirvâna ou Illumination et Libération.
En fait, ce sont des synonymes. C’est la même chose, mais sous des angles différents. Tous ces mots pointent (ils le soulignent, mais ne le sont pas: après tout, ce ne sont que des mots) vers quelque chose d’authentique, éternel, immuable, absolu, indépendant. Le problème est qu’il est impossible d’exprimer CECI. Parce que CECI n’est pas un objet externe par rapport à nous, ce n’est pas une chose ni un phénomène qui possède certaines propriétés, caractéristiques ou quelque chose comme ça. Ironiquement, je dirai que personne ne pourra dire: «Cette chose est mon Vrai «Soi». Regardez comme c’est beau et scintillant!» De ce point de vue, le «Soi» n’existe pas. Il est impossible de dire quoi que ce soit à propos de l’Âtman. C’est l’observateur qui ne naît ni ne meurt, qui est simplement invisible et naturellement présent. C’est NOUS au vrai sens du terme. C’est pour cette raison que je traduis le terme «Âtman» par «Vrai Soi», en prenant le pronom «Soi» entre guillemets. De plus, lorsque j’utilise des pronoms personnels pour tenter de faire référence à l’Âtman, je m’assure de les mettre en italique, par exemple: «Les Cinq Agrégats ne sont pas nous-mêmes.»
Mais est-ce que ça veut dire que cela ne sert à rien d’étudier le Dharma, puisque son essence est inexprimable? Ou mener une pratique spirituelle simplement «pour la pratique», puisque son objectif ne peut être formulé ou la formulation est-elle si abstraite? Mais la seule vraie valeur est précisément le Nirvâna, l’Illumination, l’Âtman. Ils sont le but d’une véritable pratique spirituelle!
«La distinction entre le simple savoir ou la spéculation philosophique et la réalisation-de-soi, entre ce qui est enseigné et enseignable par des mots et ce qui dépasse tout à fait l’expressions verbales parce que cela doit être éprouvé intérieurement- cette distinction est fondamentale; le Bouddha a vigoureusement insisté là-dessus, et ses partisans n’ont jamais oublié de souligner cette distinction, en sorte que l’état de réalisation-de-soi qu’ils désiraient ne fût pas perdu de vue» (D.T. Suzuki[4], «Essais sur le bouddhisme Zen», partie 2).
L’Âtman, le Nirvâna, l’Illumination et la Libération ne peuvent pas être exprimés, mais nous pouvons essayer de comprendre ce qu’ils ne sont pas. Suite à cette méthode d’élimination, nous pouvons probablement parvenir à une compréhension au moins relative.
En écrivant cet essai, je me suis fixé précisément sur cet objectif: en m’appuyant sur les textes des Enseignants du passé et ma propre expérience de pratique spirituelle, montrer au lecteur le contenu de notre faux «Soi». Le même faux «Soi» qui nous lie au monde inconstant des désirs mondains et apporte la souffrance. Et ayant compris, au moins en théorie, ce qui n’est pas nous, nous pourrons voir le chemin qui mène à l’Illumination et à la Libération.
Chapitre I
Notre faux «Soi»
Les Cinq Agrégats /skandhas/
Je pense que je n’aurai pas tort si je dis que chacun de nous s’est posé au moins une fois dans sa vie la question: «Qui suis-je?» Mais avons-nous trouvé la réponse? Suis-je ce corps physique? Suis-je mes sentiments, mes pensées ou mes émotions? Ou suis-je autre chose? L’Enseignement sur les Cinq Agrégats permet de se rapprocher de la compréhension de ces questions. Après tout, les Cinq Agrégats sont tout ce que nous possédons, tout ce que nous considérons à tort comme étant nous-mêmes, notre véritable ego.
Ces Cinq Agrégats de notre faux «Soi» sont:
1. Forme ou matière: en pâli et en sanskrit «rūpa» (littéralement: «forme»).
2. Sensations (Sentiments): en pâli et en sanskrit «vēdanā».
3. Perception: en pâli «saññā»; en sanscrit «saṃjñā».
4. Formations Mentales ou Volition: en pâli «sankhāra»; en sanskrit «saṃskāra».
5. Conscience discriminante: en pâli «viññāṇa»; en sanskrit «vijñāna».
Malheureusement, ni une simple liste ni un débat sur ce comment doit-on les traduire du pâli et du sanskrit ne nous permettront pas de mieux comprendre ces cinq facteurs.
1. La forme corporelle
«Rupa» est un mot sanskrit signifiant «forme». C’est-à-dire tout ce qui est matériel, autrement dit, ce sont toutes des formes ou des objets, des choses, des objets animés et inanimés que nous pouvons voir ou percevoir, par exemple des maisons et des arbres, d’autres personnes et voitures passant dans la rue. Bien sûr, tous ces objets externes nous influencent, nous et nos vies. Cependant, la plus grande influence sur nous est exercée par la «forme» la plus proche de nous: notre corps physique. C’est cela qui nous impose tant de restrictions et qui nous apporte non seulement des joies éphémères, mais aussi des souffrances inévitables, comme la maladie, la vieillesse et la mort. Par conséquent, lorsque nous parlons de la première des Cinq Agrégats, nous parlons avant tout de notre corps physique.
Ainsi, chacun de nous possède un corps physique, il sert de support à notre conscience.
Lorsque