suivant le revers opposé du promontoire. Le terrain montait, mais ils ne trouvèrent aucun signe de Cyrus Smith.
Après un parcours d'un mille et demi, ils se retrouvèrent arrêtés par la mer sur une pointe élevée de roches glissantes.
«Nous sommes sur un îlot!» constata Pencroff. «Nous l'avons arpenté d'une extrémité à l'autre!»
L'observation du marin était juste. Ils étaient sur un îlot d'environ deux miles de longueur.
La nuit tombait. Ils souffraient du froid, mais ne songeaient pas à se reposer, espérant toujours retrouver Cyrus Smith.
Vers minuit, les étoiles brillèrent. Ils remarquèrent que les constellations n'étaient pas celles de l'hémisphère boréal.
La nuit s'écoula lentement. Vers cinq heures du matin, le brouillard se leva progressivement.
Vers six heures et demie, la brume se dissipa et ils purent voir l'îlot dans toute sa splendeur.
Ils décidèrent d'attendre que la marée baisse pour tenter de traverser le chenal qui les séparait de la côte.
Cependant, un des naufragés, ne consultant que son cœur[8], se précipita aussitôt dans le courant, sans prendre l'avis de ses compagnons, sans même dire un seul mot. C'était Nab. Il avait hâte d'être sur cette côte et de la remonter au nord. Personne n'eût pu le retenir.
Trois heures plus tard, à marée basse, ils franchirent le chenal sans difficulté.
Une fois sur la côte opposée, ils se séchèrent au soleil et tinrent conseil sur la marche à suivre.
Chapitre 4
Tout d'abord, le reporter dit au marin de l'attendre en cet endroit même, où il le rejoindrait, et, sans perdre un instant, il remonta le littoral, dans la direction qu'avait suivie, quelques heures auparavant, le nègre Nab. Puis il disparut rapidement derrière un angle de la côte, tant il lui tardait d'avoir des nouvelles de l'ingénieur.
Harbert avait voulu l'accompagner.
«Restez, mon garçon, lui avait dit le marin. Nous avons à préparer un campement.»
Ils trouvèrent non point une grotte, mais un entassement d'énormes rochers, tels qu'il s'en rencontre souvent dans les pays granitiques, et qui portent le nom de «Cheminées».
Pencroff et Harbert s'engagèrent assez profondément entre les roches, dans ces couloirs sablés, auxquels la lumière ne manquait pas[9], car elle pénétrait par les vides que laissaient entre eux ces granits, dont quelques-uns ne se maintenaient que par un miracle d'équilibre. Mais avec la lumière entrait aussi le vent, – une vraie bise de corridors, – et, avec le vent, le froid aigu de l'extérieur. Cependant, le marin pensa qu'en obstruant certaines portions de ces couloirs, en bouchant quelques ouvertures avec un mélange de pierres et de sable[10], on pourrait rendre les «Cheminées» habitables.
Il y avait alors quelques heures à occuper, et, d'un commun accord, Pencroff et Harbert résolurent de gagner le plateau supérieur, afin d'examiner la contrée sur un rayon plus étendu.
«Sommes-nous sur une île? murmura le marin.
– En tout cas, elle semblerait être assez vaste! répondit le jeune garçon.
– Une île, si vaste qu'elle fût, ne serait toujours qu'une île! dit Pencroff.»
Mais cette importante question ne pouvait encore être résolue. Il fallait en remettre la solution à un autre moment. Quant à la terre elle-même, île ou continent, elle paraissait fertile, agréable dans ses aspects, variée dans ses productions.
Le marin et le jeune Harbert réussirent à amarrer le train de bois à la berge et commencèrent à décharger leur précieuse cargaison. Ils avaient maintenant de quoi alimenter un feu pendant un bon moment.
Ils retournèrent vers les Cheminées, où ils entreprirent de boucher les ouvertures pour se protéger du vent glacial.
Chapitre 5
Après le déchargement du bois, Pencroff, l'homme d'action infatigable, prit immédiatement les devants pour rendre les Cheminées habitables[11]. Accompagné de Harbert, son fidèle compagnon, il entreprit de bloquer tous les passages par lesquels le vent s'infiltrait, utilisant avec ingéniosité du sable, des pierres, des branches et de la terre pour obstruer hermétiquement les galeries exposées aux vents du sud. Pendant des heures, ils travaillèrent sans relâche, transformant les cheminées naturelles en un refuge sûr et sec, divisé en plusieurs chambres sombres mais accueillantes.
Pendant qu'ils s'attelaient à cette tâche, Harbert et Pencroff échangeaient des paroles mêlées d'espoir et d'inquiétude. Harbert évoquait timidement la possibilité que leurs compagnons aient trouvé un refuge plus adéquat, mais Pencroff, dans son pragmatisme habituel, préférait anticiper leur retour en améliorant leur abri. L'ombre de M. Smith planait sur leurs pensées, et tous deux exprimaient le souhait ardent de le revoir, même si Pencroff reconnaissait l'incertitude de cette perspective.
Lorsque vint le moment crucial d'allumer le feu, Pencroff, dans un geste machinal, chercha fébrilement sa boîte d'allumettes, pour découvrir avec consternation qu'elle avait disparu. Une recherche frénétique s'ensuivit, menée dans l'obscurité croissante, mais en vain. L'arrivée de Nab et du reporter, seuls, renforça le poids de l'incertitude qui pesait sur le petit groupe de naufragés. Le récit déchirant des vaines recherches de Cyrus Smith accentua encore leur angoisse, laissant entrevoir la possibilité tragique de sa disparition.
Dans l'obscurité naissante, ils entreprirent une tentative désespérée pour allumer un feu avec une seule allumette récupérée par miracle. C'est le reporter qui fouilla ses poches de pantalon, de gilet, de paletot, et enfin, à la grande joie de Pencroff, non moins qu'à son extrême surprise, il sentit un petit morceau de bois engagé dans la doublure de son gilet. Quelques instants plus tard, le bois sec craquait, et une joyeuse flamme, activée par le vigoureux souffle du marin, se développait au milieu de l'obscurité.
Le repas qui suivit fut sobre mais réconfortant, bien que l'absence de M. Smith se fît durement sentir. Tous se reposaient tranquillement. Un seul des naufragés ne reposa pas dans les Cheminées. Ce fut l'inconsolable, le désespéré Nab, qui, cette nuit tout entière, et malgré ce que lui dirent ses compagnons pour l'engager à prendre du repos, erra sur la grève en appelant son maître!
Chapitre 6
Lorsque les naufragés de l'air se retrouvèrent sur cette côte isolée, leur première tâche fut d'établir un inventaire des maigres possessions dont ils disposaient. Le constat était sans appel: à l'exception des vêtements qu'ils portaient au moment du crash, ils n'avaient rien. Seul Gédéon Spilett avait conservé par inadvertance un carnet et une montre. Aucune arme, aucun outil, pas même un simple couteau de poche. Leur dénuement était d'une ampleur presque inimaginable, bien plus extrême que celui des héros imaginaires des romans de Daniel de Foé. Ces derniers avaient toujours pu compter sur les ressources de leur navire échoué ou sur les épaves qui parvenaient sur la côte. Mais pour ces naufragés-ci, il n'y avait rien de tel. Ils devraient tout reconstruire à partir de rien, un défi colossal.
L'absence de Cyrus Smith, l'ingénieur, était particulièrement préoccupante. Son savoir-faire pratique et son esprit inventif auraient été d'une valeur inestimable dans cette situation. Sans lui, leurs perspectives semblaient sombres. La question de s'installer sur cette partie de la côte se posait alors, mais devaient-ils explorer les environs avant de prendre une décision définitive? Pencroff suggéra de patienter quelques jours afin de se préparer et de trouver une source de nourriture plus consistante que les œufs et les coquillages.
Ce matin-là, 26 mars, dès l'aube, Nab avait repris sur la côte la direction du nord, et il était