Gustave Aimard

Les trappeur de l'Arkansas


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par les assistants avec un sourire de doute.

      Le magistrat, sans s’occuper de l’impression produite par ses paroles, ordonna à ses acolytes qui déjà avaient fouillé et dépouillé le défunt, de l’enlever et de le transporter sous le porche de l’église voisine, puis il rentra dans sa maison en se frottant les mains d’un air satisfait.

      Le juge revêtit un habit de voyage, passa une paire de pistolets à sa ceinture, attacha une longue épée à son côté et, après avoir dîné légèrement, il sortit.

      Dix alguazils armés jusqu’aux dents, et montés sur de forts chevaux, l’attendaient à la porte ; un domestique tenait en bride un magnifique cheval noir qui piétinait et rongeait son frein avec impatience. Don Inigo se mit en selle, se plaça en tête de ses hommes et la troupe s’ébranla au petit trot.

      – Eh ! eh ! disaient les curieux qui stationnaient aux environs sur le pas des portes, le juez Albaceyte se rend chez don Ramon Garillas, nous aurons demain du nouveau.

      – Caspita ! répondaient d’autres, son picaro de fils n’aura pas volé la corde qui servira à le pendre !

      – Hum ! fit un lepero, avec un sourire de regret, ce serait malheureux, le gaillard promet, sur ma parole ! sa cuchillada à Cornejo est magnifique. Le pauvre diable a été proprement coupé (tué).

      Cependant le juge continuait toujours sa route, rendant avec la plus grande ponctualité des saluts dont on l’accablait sur son passage, bientôt il fut dans la campagne.

      Alors s’enveloppant dans son manteau :

      – Les armes sont-elles chargées ? demanda-t-il.

      – Oui, Excellence, répondit le chef des alguazils.

      – Bien ! À l’hacienda de don Ramon Garillas, et bon pas, tâchons d’arriver avant la nuit.

      La troupe partit au galop.

      II. L’hacienda del Milagro

      Les environs d’Hermosillo sont de véritables déserts.

      Le chemin qui conduit de cette ville à l’hacienda del Milagro – ferme du Miracle – est des plus tristes et des plus arides.

      L’on ne voit, à de rares intervalles, que des arbres à bois de fer, des gommiers, des arbres du Pérou aux grappes rouges et pimentées, des nopals et des cactus, seuls arbres qui peuvent croître dans un terrain calciné par les rayons incandescents d’un soleil perpendiculaire.

      De loin en loin apparaissent comme une amère dérision les longues perches des citernes ayant un seau de cuir tordu et racorni à une extrémité et à l’autre des pierres attachées par des lanières ; mais les citernes sont taries et le fond n’est plus qu’une croûte noire et vaseuse dans laquelle une myriade d’animaux immondes prennent leurs ébats ; des tourbillons d’une poussière fine et impalpable soulevés par le moindre souffle d’air saisissent à la gorge le voyageur haletant, et sous chaque brin d’herbe desséché les cigales appellent avec fureur la rosée bienfaisante de la nuit.

      Cependant lorsque avec des peines extrêmes on a fait six lieues dans ces solitudes embrasées, l’œil se repose avec délice sur une splendide oasis qui semble tout à coup surgir du sein des sables.

      Cet éden est l’hacienda del Milagro. Au moment où se passe notre histoire, cette hacienda, l’une des plus riches et des plus vastes de la province, se composait d’un corps de logis élevé de deux étages, bâti en tapia et en adoves avec un toit en terrasse, fait en roseaux recouverts de terre battue.

      On arrivait à l’hacienda par une immense cour dont l’entrée en forme de portique voûté était garnie de fortes portes battantes avec une poterne d’un côté. Quatre chambres complétaient la façade, les croisées avaient des grilles de fer dorées et dans l’intérieur des volets ; elles étaient vitrées, luxe inouï dans ce pays à cette époque ; sur chaque côté de la cour ou patio, se trouvaient les communs pour les peones, les enfants, etc.

      Le rez-de-chaussée du corps de logis principal se composait de trois pièces, une espèce de grand vestibule meublé de fauteuils antiques et de canapés recouverts en cuir gaufré de Cordoue, d’une grande table de nopal et de quelques tabourets ; sur les murs étaient accrochés dans des cadres dorés plusieurs vieux portraits de grandeur nature représentant des membres de la famille ; les charpentes du plafond, laissées en relief, étaient décorées d’une profusion de sculptures.

      Deux portes battantes s’ouvraient dans le salon ; le côté qui était en face du patio s’élevait d’un pied environ au-dessus du reste du plancher, il était couvert d’un tapis avec un rang de tabourets bas, sculptés curieusement, garnis de velours cramoisi avec des coussins pour mettre les pieds ; il y avait aussi une petite table carrée de dix-huit pouces de haut servant de table à ouvrage. Cette portion du salon est réservée aux dames qui s’y assoient les jambes croisées à la mauresque ; de l’autre côté du salon se trouvaient des chaises recouvertes avec la même étoffe que les tabourets et les coussins ; en face de l’entrée du salon s’ouvrait la principale chambre à coucher avec une alcôve à l’extrémité d’une estrade sur laquelle était placé un lit de parade, orné d’une infinité de dorures et de rideaux de brocart avec des galons et des franges d’or et d’argent. Les draps et les taies d’oreiller étaient de la plus belle toile et bordés d’une large dentelle.

      Derrière le principal corps de logis se trouvait un second patio, où étaient placés les cuisines et le corral ; après cette cour venait un immense jardin, fermé de murs et de plus de cent perches de profondeur, dessiné à l’anglaise et renfermant les arbres et les plantes les plus exotiques.

      L’hacienda était en fête.

      C’était l’époque de la matanza del ganado – abattage des bestiaux —, les péons avaient formé à quelques pas de l’hacienda un enclos dans lequel, après avoir fait entrer les bestiaux, ils séparaient les maigres d’avec les gras, que l’on faisait sortir un à un de l’enceinte.

      Un vaquero armé d’un instrument tranchant de la forme d’un croissant garni de pointes placées à la distance d’un pied, embusqué à la porte de l’enclos, coupait avec une adresse infinie les jarrets de derrière des pauvres bêtes au fur et à mesure qu’elles passaient devant lui.

      Si par hasard il manquait son coup, ce qui était rare, un second vaquero à cheval suivait l’animal au grand galop, lui jetait le lasso autour des cornes et le maintenait jusqu’à ce que le premier lui eût coupé les jarrets.

      Nonchalamment appuyé contre le portique de l’hacienda, un homme d’une quarantaine d’années, revêtu d’un riche costume de gentilhomme fermier, les épaules recouvertes d’un zarapé aux brillantes couleurs, et la tête garantie des derniers rayons du soleil couchant par un fin chapeau de paille de Panama d’au moins cinq cents piastres, semblait présider à cette scène tout en fumant une cigarette de maïs.

      C’était un cavalier de haute mine, à la taille élancée fine, cambrée et parfaitement proportionnée, les traits de son visage, bien dessinés, aux lignes fermes et arrêtées dénotaient la loyauté, le courage et surtout une volonté de fer. Ses grands yeux noirs ombragés par d’épais sourcils étaient d’une douceur sans égale, mais lorsqu’une contrariété un peu vive colorait son teint bruni d’un reflet rougeâtre, son regard prenait une fixité et une force que nul ne pouvait supporter et qui faisaient hésiter et trembler les plus braves.

      La finesse des extrémités et plus que tout le cachet d’aristocratie empreint sur sa personne dénotaient au premier coup d’œil que cet homme était de pure et noble race castillane.

      En effet, ce personnage était don Ramon Garillas de Saavedra, le propriétaire de l’hacienda del Milagro que nous venons de décrire.

      Don Ramon Garillas descendait d’une famille espagnole dont le chef avait été un des principaux lieutenants de Cortez, et s’était établi au Mexique après la miraculeuse conquête de cet aventurier de génie.

      Jouissant d’une fortune princière,