George Gordon Byron

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3


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sous le poids des années, quand la jeunesse elle-même survit aux jeunes amours et à la gaîté de l'esprit? Hélas! quand des ames qui ont été unies ont oublié leur tendresse, il reste à la mort peu de choses à nous ravir! Oh! heureuses années! qui ne voudrait encore redevenir enfant pour retrouver vos délices?

      24. Ainsi penché sur l'humide bord du navire pour contempler le disque de Diane réfléchi dans l'onde, l'ame oublie ses projets d'ambition et d'orgueil; elle se replie involontairement sur les années qui ne sont plus. Il n'est point de mortel assez malheureux pour qu'aucun être chéri, plus chéri que lui-même; n'obtienne ou n'ait obtenu de lui une douce pensée, et ne réclame l'hommage d'une larme; angoisse déchirante dont le cœur accablé voudrait en vain se délivrer!

      25. S'asseoir sur les rochers, rêver sur les torrens et sur les abîmes, s'égarer lentement dans l'enceinte sombre des forêts, où la domination de l'homme ne se fait point sentir, et que son pied n'a jamais ou que rarement foulée; gravir une montague infréquentée, inconnue de la foule, où paissent librement des troupeaux de bêtes sauvages qui ne demandent point à l'homme leur nourriture; se pencher sur les précipices et sur les cascades écumantes; ce n'est point là la solitude: c'est s'entretenir avec les beautés de la nature, et contempler ses richesses déroulées à nos regards.

      26. Mais au milieu de la foule, du bruit du choc des hommes, entendre, voir, sentir, posséder des richesses, et traîner sa vie comme un ennuyé citoyen du monde; n'ayant personne qui nous chérisse, et personne que nous puissions chérir; ne voir que des courtisans de la prospérité, qui fuient à l'approche de la misère; n'avoir pas un ami, qui, plein d'une affection sincère, si nous n'étions plus, voudrait paraître moins joyeux que tous ceux qui nous accablaient de flatteries et de poursuites intéressées; c'est là ce que j'appelle être seul; c'est là, c'est là la solitude!

      27. Plus heureuse est la vie du pieux ermite, tel que le voyageur en rencontre dans les retraites solitaires du mont Athos, lorsque, dans une belle soirée, il va rêver sur ses pics gigantesques. Il contemple des ondes si bleues, des cieux si purs, que celui qui a joui d'une heure si délicieuse voudrait passer le reste de ses jours dans ces lieux enchanteurs; il s'arrache avec peine de cette scène ravissante; il regrette en soupirant de ne pas avoir été favorisé d'une telle destinée, et il s'en retourne pour haïr davantage un monde qu'il avait déjà presque oublié.

      28. Passons les détails d'une route longue et monotone, si souvent traversée par de nombreux voyageurs, et qui ne conserve nulle trace de leur passage. Passons le calme et les vents, les vicissitudes des élémens, et tous les caprices bien connus des vagues et des tempêtes; passons aussi les joies et les chagrins qui surviennent aux matelots renfermés dans leur citadelle ailée et flottante; toutes les alternatives de l'allégresse, du désespoir, selon que la brise est favorable ou contraire, que les vagues sont calmes ou soulevées, jusqu'à ce matin joyeux où l'on crie: «Voyez! voyez! c'est la terre!» Alors tout le monde est heureux.

      29. Mais gardons-nous de passer sous silence les îles de Calypso41, qui ressemblent à un groupe de sœurs au milieu des ondes. Là un port sourit encore aux navires fatigués, quoique la belle déesse ait cessé depuis long-tems de pleurer sur ses rochers, et d'attendre inutilement le retour de celui qui osa lui préférer une épouse mortelle. C'est ici que son fils Télémaque essaya le saut périlleux, lancé par la main puissante de Mentor dans la profondeur des ondes. Ainsi privée des deux naufragés, la maîtresse de la nymphe Eucharis gémit de son double veuvage.

      30. Son règne est passé; ses grâces divines, ses tendres enchantemens ne sont plus. Mais que cela ne t'afflige pas, jeune homme, trop facile à enflammer; redoute encore l'approche de ces lieux. Une souveraine mortelle occupe le trône dangereux de la déesse, et tu pourrais rencontrer une nouvelle Calypso. Charmante Florence! si une beauté pouvait jamais toucher ce cœur fantasque et sans amour, ce cœur aurait été à toi; mais, déchiré par tous mes attachemens, je ne puis me hasarder à porter sur tes autels une offrande indigne de toi, ni demander qu'un cœur si cher, que ton cœur éprouve jamais un seul tourment pour le mien.

      31. Ainsi pensa Childe Harold en admirant les beaux yeux de cette dame, dont les regards ne lui inspirèrent d'autre pensée qu'une vive et innocente admiration. L'amour se tint à l'écart, quoique peu éloigné; car il savait que Harold, en lui échappant souvent, souvent aussi avait été en sa puissance; mais ce jeune enfant n'ignorait pas qu'il ne devait plus le compter comme son adorateur, qu'il ne devait plus chercher à se rendre maître de son cœur, puisque maintenant il ne pouvait réussir à lui inspirer de l'amour, et il ne douta plus que ses anciens charmes ne fussent désormais impuissans.

      32. La belle Florence s'aperçut avec quelque étonnement qu'un homme que l'on disait soupirer pour toutes les belles, voyait, sans être ému, des charmes que d'autres entouraient d'un respect réel ou simulé. Elle était leur espoir, leur destin, leur condamnation, leur loi, tout ce que la folâtre beauté demande à ses esclaves. Elle s'étonnait qu'un jeune homme si novice ne sentît pas ou du moins ne feignît pas de sentir cette ardeur indiscrète dont l'aveu peut bien quelquefois attirer les reproches, mais rarement la colère des dames.

      33. Elle connaissait peu ce cœur qu'elle croyait de marbre. Réfugié dans le silence, ou comprimé par l'orgueil, il n'était point novice dans l'art de séduire, et il avait autrefois tendu dans plus d'un lieu les pièges de l'amour. Il n'avait point abandonné ses coupables poursuites tant qu'il trouva des objets dignes de ses désirs. Mais Harold dédaigne maintenant de tels moyens. S'il avait trouvé l'amour dans les yeux si beaux de Florence, il ne se serait jamais réuni à la foule de ses indolens adorateurs.

      34. Il ne connaît pas beaucoup le cœur de la femme celui qui croit que cet objet lascif42 se conquiert par des soupirs. Que lui importe le tendre hommage du sentiment lorsqu'elle a une fois accordé ses faveurs? Choisissez donc l'offrande que vous voulez présenter aux yeux de votre idole; mais ne lui montrez pas trop d'humilité; ou elle vous méprisera et tous vos beaux discours, quoique ornés de figures éloquentes; dissimulez même votre tendresse, si vous êtes sages; une confiance hardie a le plus heureux effet près des femmes: excitez et calmez tour à tour leur dépit; bientôt la passion couronnera vos espérances.

      35. C'est là une vieille leçon; le tems en a démontré la justesse, et ceux qui la connaissent le mieux sont ceux qui la déplorent davantage. Quand on a obtenu tout ce que l'on désirait d'obtenir, la récompense de tant de sacrifices semble bien chétive. Une jeunesse usée, une ame dégradée, les facultés intellectuelles abruties, l'honneur perdu: heureuse passion! voilà, voilà quels sont tes fruits amers! Si par un bonheur cruel l'espérance est détruite de bonne heure, alors même les blessures du cœur s'enveniment jusqu'à la fin, et ne peuvent se cicatriser, lors même que l'amour ne cherche plus à plaire.

      36. Loin ces digressions étrangères! Je ne dois pas rendre ce chant trop long; car nous avons encore à franchir plus d'une montagne, à côtoyer plus d'un rivage, conduits par la mélancolie pensive et non par la fiction. – Contrées aussi belles que jamais l'imagination mortelle pourrait en créer dans les faibles limites de la pensée; aussi séduisantes que celles que l'on célèbre dans de nouvelles utopies pour enseigner à l'homme ce qu'il pourrait, ou ce qu'il devrait être, si cette créature corrompue pouvait jamais profiter de pareils enseignemens!

      37. La bonne nature est encore la meilleure des mères, quoique toujours changeante dans ses aspects variés. Laissez-moi prendre dans son sein fécond les sujets de mes chants; moi, qu'elle n'a jamais sevré de ses faveurs, quoique je n'aie pas été son enfant favori. Oh! c'est dans ses formes sauvages qu'elle est le plus belle, là où rien d'humain n'ose souiller ses asiles: le jour, comme la nuit, elle ne cesse de me sourire, quoique je l'aie connue seulement aux jours du malheur, et que je l'aie recherchée et aimée d'autant plus que ma misanthropie était plus grande.

      38. Terre d'Albanie! où naquit lskander, dont les exploits sont le thème du jeune homme et l'instruction du sage; patrie de cet autre conquérant du même nom, dont les ennemis, souvent battus, ont admiré les exploits chevaleresques, permets-moi de te contempler, terre d'Albanie43, sauvage nourricière d'hommes