George Gordon Byron

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3


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jamais heureux.

      8. Cependant, si, comme l'ont pensé des hommes sages, il existe, au-delà du noir rivage, un séjour des ames, pour confondre la doctrine des saducéens34 et des sophistes, follement orgueilleux de leur science du doute, qu'il serait doux de se prosterner en adoration avec ceux qui ont rendu nos épreuves mortelles plus légères! d'entendre chacune de ces voix que nous craignions de ne plus entendre! de contempler les ombres magnanimes dévoilées à nos regards: celles du Bactrien, du sage de Samos, et de tous ceux qui enseignèrent la vertu!

      9. Je te verrais, ô toi! dont l'amour et la vie s'échappèrent ensemble, et m'ont laissé sur la terre aimer et vivre en vain! – O l'intime ami de mon cœur! puis-je croire que tu n'es plus quand ta mémoire brille sans cesse dans ma pensée? Oui, je rêverai que nous pourrons nous réunir un jour, et je caresse cette douce illusion de mon cœur solitaire. Si quelque chose de nos jeunes souvenirs nous reste, qu'il soit comme un gage certain de l'avenir, car ce serait assez de bonheur pour moi de savoir que ton ame est heureuse!

      10. Je vais m'asseoir un instant sur cette pierre massive d'une colonne de marbre, dont la base n'est pas encore ébranlée. Fils de Saturne! ici fut ton trône favori35; le plus puissant de tous les dieux nombreux de l'antiquité! permets-moi de chercher les vestiges enfouis de ton temple sacré. Tous mes efforts sont vains; l'œil de l'imagination même ne pourrait retrouver ce que le tems a pris à tâche d'effacer; cependant ces colonnes orgueilleuses n'attirent pas un soupir du passant; – l'impassible Ottoman s'assied froidement sur leurs fûts renversés; et le Grec léger fredonne à lentour.

      11. Mais de tous les ravageurs de ce temple élevé sur l'Acropolis, d'où Pallas s'éloigna en regrettant de quitter le dernier monument de son ancienne domination, quel fut le dernier, le plus barbare et le plus stupide? Rougis, Calédonie! c'est un de tes enfans! Angleterre, je me réjouis de ce que ce n'est pas un de tes fils, tes citoyens, nés libres, épargneraient ce qui autrefois fut libre. Cependant ils ont violé les enceintes des temples tristes et déserts, et ont emporté leurs autels sur les flots, longtemps soulevés contre cette profanation36.

      12. Mais l'orgueil ignoble d'un moderne Picte se fait gloire de briser ce que les Goths, les Turks et le tems avaient épargné37. Il porte une ame froide comme les rochers de sa côte natale, et aussi stérile que son cœur est dur, celui dont la pensée a pu concevoir et dont la main a pu exécuter le projet de déplacer les pauvres restes d'Athènes; ses enfans, trop faibles pour défendre ses monumens sacrés, ressentirent cependant une partie des douleurs qui déchiraient leur mère38, et ils éprouvèrent, ce qu'ils avaient ignoré jusque-là, tout le poids des chaînes de la tyrannie.

      13. Eh quoi! une bouche bretonne osera-t-elle jamais dire qu'Albion fut heureuse des pleurs d'Athènes? Quoique ce soit en ton nom que des esclaves déchirent son sein, crains d'avouer ces faits honteux, qui feraient rougir l'Europe. La reine de l'Océan, la Bretagne libre, enlève la dernière et chétive dépouille d'une terre sanglante… Oui, celle dont la protection généreuse fait bénir son nom, a arraché avec des mains de harpie ces restes glorieux que l'antiquité jalouse avait épargnés, et qu'avaient respectés les tyrans!

      14. Pallas! où était ton égide, qui frappa de terreur le barbare Alaric, dans sa course dévastatrice39? Où était le fils de Pelée? Son ombre fit en vain trembler les enfers, pour apparaître à la lumière dans ce jour redoutable, revêtu de ses armes terribles! Quoi! Pluton ne pouvait-il pas permettre une fois encore à ce guerrier invincible de s'échapper des enfers, pour donner l'épouvante, et faire lâcher sa proie à ce second barbare? Errant inoccupé sur les bords du Styx, Achille n'est point venu protéger les murs qu'il aimait jadis à défendre.

      15. O belle Grèce! froid est le cœur de l'homme qui te voit sans sentir ce qu'éprouvent les amans en contemplant la poussière qu'ils ont aimée. Stupide est l'œil qui ne verse point de larmes en voyant tes palais dégradés, tes temples en ruines et tes autels enlevés par des mains bretonnes, auxquelles il était plutôt réservé de protéger ces restes vénérables. Maudite soit l'heure où ces barbares sortirent de leur île pour venir de nouveau déchirer ton sein délaissé, et transporter tes dieux désolés dans les contrées abhorrées du Nord !

      16. Mais où est Harold? Ne suivrai-je pas sur les flots ce sombre voyageur? Il s'inquiétait peu, en s'éloignant, de tout ce que les hommes regrettent; nulle amante n'essaya de l'attendrir par de feintes lamentations; nul ami, pour adieu, ne lui tendit la main, avant que ce froid étranger ne partît pour d'autres climats. Dur est le cœur que les charmes de la beauté trouvent insensible; mais Harold n'éprouvait plus les mêmes impressions qu'autrefois; et il quitta, sans pousser un soupir, le sol de l'Espagne livré à la guerre et au crime.

      17. Celui qui a vogué sur la mer sombre et azurée, a contemplé parfois un ravissant spectacle. C'est lorsque la fraîche brise est belle comme une brise peut l'être, qu'elle enfle la blanche voile de la frégate légère et gracieuse; les mâts, les flèches des clochers et les bords élevés du rivage s'enfuient derrière nous; la glorieuse mer s'étend dans un lointain immense; les vaisseaux de la flotte voguent comme des cygnes sauvages. Le plus mauvais voilier paraît marcher avec une agilité nouvelle, tant les vagues bondissent gaiement devant chaque proue écumante.

      18. Admirez aussi l'intérieur de ce petit monde de guerre: le poli des canons; le filet40 tendu comme un dais sur le tillac; les ordres communiqués d'une voix rauque; le bruit sourd et continuel des matelots qu'une parole fait gravir au haut des mâts; écoutez l'appel du contre-maître, les cris joyeux des marins qui font glisser dans leurs mains les nombreux cordages; regardez cet aspirant, échappé de l'école, qui varie l'accent de son aigre voix selon qu'il approuve ou qu'il réprimande. Ce petit-maître sait déjà conduire habilement sa troupe docile.

      19. Le tillac brille aux yeux comme du cristal qu'aucune tache ne souille; le grave lieutenant de garde s'y promène. Regardez aussi cette partie du navire, réservée religieusement pour le capitaine qui s'avance avec majesté, silencieux et craint de tous; – il parle rarement à ses subordonnés, s'il veut conserver ce sévère ascendant qui, lorsqu'il est méconnu, fait perdre le triomphe et la gloire: mais les Bretons s'écartent rarement de cette loi, quelque dure qu'elle puisse être, qui tend à fortifier leur valeur.

      20. Souffle, souffle doucement, brise propice! Fais-nous voguer jusqu'à ce que le large soleil nous dérobe ses rayons affaiblis; alors le navire-amiral sera forcé de replier ses voiles, afin que les bâtimens moins agiles puissent le rejoindre. Oh! pénible tourment! insupportable et nonchalant retard, qui empêche de profiter du vent le plus favorable! Que de lieues on perd jusqu'au retour de l'aurore, en portant des regards pensifs sur les ondes propices, pour attendre ces navires lourds et paresseux!

      21. La lune est levée à l'horizon, Ciel! quelle nuit délicieuse! De longs torrens de lumière se répandent sur les vagues bondissantes. Maintenant les jeunes gens soupirent sur le rivage, et les jeunes filles croient aux sermens de l'amour. Puisse une semblable destinée nous attendre à notre retour sur la terre natale! Cependant la main active d'un Arion grossier réveille la vigoureuse harmonie qu'aiment les matelots; il se forme autour de lui un cercle de joyeux auditeurs; ou si une mesure bien connue les invite à la danse, ils s'y livrent avec transport, comme s'ils étaient libres sur le rivage.

      22. Childe Harold aperçoit la côte sourcilleuse, à travers les détroits de Calpé; c'est là que l'Europe et l'Afrique se contemplent! Il aperçoit, à la lueur du flambeau de la pâle Hécate, la patrie de la jeune vierge aux yeux noirs, et celle du Maure au teint cuivré. Comme les rayons du flambeau nocturne se jouent avec grâce sur les rivages de l'Ibérie! Ils découvrent des rochers, des coteaux et de vertes forêts, que l'œil peut discerner, quoique le faible croissant de la lune n'éclaire qu'à demi ces rivages; mais les ombres gigantesques des rochers de la Mauritanie lèvent leurs têtes menaçantes, et s'étendent jusque sur la côte sombre de la mer.

      23. Il