froment, par les promesses de la loi, ne tarda pas à jeter sur les marchés anglais des approvisionnements inconsidérés; et les prix baissèrent successivement comme suit:
Soit la moitié environ du prix promis par la loi. Quelle déception!
Et remarquez que ce même blé, qu'on était forcé de vendre à 45 sh., revenait fort cher, puisqu'il n'avait été amené à l'existence que par des efforts dispendieux.
Aussi la fin de cette période d'avilissement dans les prix fut marquée par une épouvantable crise agricole. Les fermiers furent ruinés; les lords ne purent recouvrer leurs rentes. Les uns et les autres maudirent la culture du froment, naguère l'objet de tant d'espérances. On convertit les terres arables en pâturages, calculant qu'elles donneraient un meilleur revenu livrées à la dépaissance des bestiaux que soumises au travail de l'homme; et l'on sait qu'à cette époque fut pratiquée, très en grand, l'opération appelée Clearance, qui ne consistait en rien moins qu'à raser des villages entiers, à en chasser les habitants, pour substituer sur le sol la race ovine à la race humaine.
Pendant cette crise agricole, l'esprit d'entreprise reçut une impulsion également désordonnée et non moins funeste. Le capital revenait en masse de l'agriculture à l'industrie. En admettant que la consommation de l'Angleterre soit de 16 millions de quarters de blé, la dépense du pays pour la nourriture présentait, comparativement aux années de cherté, une économie annuelle de 32 millions de livres sterling, ou 800 millions de francs. Une masse aussi énorme de fonds disponibles, à un moment donné et inattendu, occasionna comme une pléthore dans la circulation. Il n'est pas d'opération hasardeuse qui ne parvînt à séduire les capitalistes. C'est alors que furent engouffrées des sommes considérables, et à jamais perdues, dans les mines du Mexique et dans les nombreux emprunts des jeunes républiques américaines.
La réaction devait suivre naturellement. Nous avons vu que la culture du froment, devenue ruineuse, avait été abandonnée dans une proportion énorme. L'encombrement des blés disparut peu à peu et fit place à une nouvelle disette. Les prix firent une nouvelle ascension:
Quelle fut alors la situation des fermiers? Le prix s'était relevé sans doute, mais non à leur profit, ou du moins dans une mesure très-bornée; car cette disette provenait précisément de ce qu'ils avaient restreint leurs cultures. Ce fut donc l'étranger qui réalisa les grands prix, d'autant que l'échelle mobile, décrétée pendant cette crise (en 1828), diminua l'obstacle absolu mis par la loi antérieure à l'importation.
Aussi, tandis que l'Angleterre n'avait tiré du dehors que six hectolitres de blé, dans les deux dernières années de la période de bon marché (1821 et 1822), elle, en importa 14 millions d'hectolitres, au prix de 350 millions de francs, dans les années 1829, 1830 et 1831.
Singulier effet de l'intervention de la loi! quand l'agriculteur fait de grands efforts, se livre à une culture dispendieuse, en un mot, quand le blé lui revient fort cher, il le vend à vil prix, parce que ces efforts mêmes inondent le marché. Quand, averti par ces cruelles déceptions, il restreint ses travaux, le prix remonte; mais ce n'est pas lui seul, c'est l'étranger aussi qui vient en profiter.
De ce que les époques de bon marché ont développé des crises dans l'industrie agricole, il ne faut donc pas se hâter de conclure que les temps de cherté lui ont apporté une compensation suffisante.
Mais ces années de cherté eurent, sur toutes les autres branches du travail, les effets désastreux qui suivent toujours la disette. Si nous ne craignions de dépasser les bornes d'un article de journal, nous pourrions apporter ici des preuves nombreuses à l'appui de cette assertion, tirées de la statistique des banques, des importations et des exportations, de la criminalité, de la mortalité, etc.
Cependant, le prix du blé s'était soutenu, comme on vient de le voir, pendant plusieurs années. Les fermiers crurent que l'échelle mobile, inaugurée en 1828, avait résolu le problème de la fixité des prix. La nouvelle loi leur promettait, d'ailleurs, une rémunération avantageuse. Pleins de confiance, ils se mirent à étendre la culture du froment, en confondant toujours le prix naturel, qui indique la réalité des besoins, avec le prix artificiel, qui est l'œuvre éphémère et décevante de la législation.
Ne doutant pas que ce prix de 66 à 70 sh. était désormais invariable, ils travaillèrent eux-mêmes à encombrer de nouveau le marché. À partir de 1831, l'excès de production amena l'avilissement des prix:
Voici de nouveau le cours tombé à environ la moitié de celui promis par la loi17.
Inutile de dire que tous les effets décrits, pour la période de 1822, se reproduisirent ici.
Crise agricole. Les fermiers ne payent pas leurs rentes. Les propriétaires sont frustrés dans leurs injustes prétentions. L'importation du blé cesse; l'avilissement du prix retombe exclusivement sur l'agriculteur national. Enfin, la culture du froment est de nouveau découragée, et nous en verrons tout à l'heure les conséquences.
D'un autre côté, dans cette même période, l'industrie reçoit une excitation exagérée. Le capital reflue vers elle et s'accroît par l'économie sur la subsistance. Une demande extraordinaire d'objets manufacturés se manifeste. Des usines s'élèvent de tous côtés, plutôt en proportion de la demande exceptionnelle du moment que des besoins réels de l'avenir. Elles ne suffisent pas à absorber les capitaux disponibles. Les banques regorgent. On entreprend des chemins de fer sur une échelle inconsidérée, etc.
Toute production qui ne couvre pas ses frais cesse ou se restreint. On ne cultive pas longtemps du blé, surtout par des moyens dispendieux, pour le vendre à la moitié du prix attendu. Nous devons donc nous attendre à un affaiblissement dans la production, et, par suite, à un retour vers la hausse. En effet, le prix s'élève, de
Mêmes faits, toujours suivis des mêmes résultats.
L'agriculture ne profite que dans une mesure fort limitée de ces hauts prix; car tandis qu'en 1835 et 1836 l'importation n'est que de 95,000 quarters, elle s'élève pour 1838 et 1839 à 4,500,000 quarters, qui coûtent plus de 300 millions de francs.
Et, comme accompagnement obligé, crise monétaire, crise industrielle, crise commerciale, stagnation des ateliers, baisse des salaires, famine, paupérisme, incendiarisme, rébeccaïsme, crimes, mortalité; voilà les traits qui signalent la cherté de ces années 1838 et 1839.
À cette époque, les yeux des fermiers commencèrent à s'ouvrir sur les illusoires promesses de la loi. Ils comprirent qu'il n'était pas au pouvoir du parlement de fixer à un taux élevé le prix du blé, puisque cette élévation même, provoquant la surproduction, amenait l'encombrement des marchés; et les plus éclairés d'entre eux s'unirent à la Ligue pour renverser la loi céréale.
Ce que nous avons dit jusqu'ici suffit sans doute pour que le lecteur prévoie ce qui s'est passé depuis. Le prix de famine de 1839 marqua l'époque d'un retour vers l'abondance.
Et cette période n'a pas manqué d'être suivie de la réaction vers la cherté, dont nous sommes témoins aujourd'hui.
Il est de notoriété que la fin de cette première période a été signalée par le phénomène de la pléthore financière et industrielle, qui a jeté l'Angleterre dans des spéculations désordonnées sur les chemins de fer; et nous n'avons pas besoin de dire que le triste cortége, qui accompagne toujours les années de disette (1846), ne fait pas non plus défaut en 1847.
En résumé, nous voyons quatre époques de disette alterner avec trois époques d'abondance.
Il est des personnes qui seront portées à croire que c'est là un jeu de la nature, un caprice des