dit démocrate. Et la précaution oratoire qu'on aurait prise, de se déclarer pour le principe, ne ferait que rendre l'inconséquence plus évidente et le dénoûment plus prochain.
18. – DÉMOCRATIE ET LIBRE-ÉCHANGE
Un philosophe devant qui on niait le mouvement se prit à marcher.
C'est un mode d'argumentation que nous mettrons en usage chaque fois que l'on nous en fournira l'occasion.
Nous l'avons déjà employé à propos du traité de Méthuen. On assurait que ce traité avait ruiné le Portugal, nous en avons donné le texte.
Maintenant nous sommes en face d'une autre question.
Les amis du peuple font au libre-échange une opposition haineuse.
Sur quoi nous avons à nous demander:
Le libre-échange, quant aux choses les plus essentielles, est-il ou n'est-il pas dans l'intérêt du peuple?
Chacun fait, comme il l'entend, parler et agir le peuple. Mais voyons comment le peuple a parlé et agi lui-même quand il en a eu l'occasion.
Depuis un demi-siècle, nous avons eu des constitutions fort diverses.
En 1795, aucun Français n'était exclu du suffrage électoral.
En 1791, il n'y avait d'exclus que ceux qui ne payaient aucun impôt.
En 1817, étaient exclus ceux qui payaient moins de 300 francs.
En 1822, l'influence de la grande propriété fut renforcée par le double vote.
Ces quatre assemblées, émanées de sources diverses, depuis la démocratie la plus extrême jusqu'à l'aristocratie la plus restreinte, ont voté chacune son tarif.
Il nous est donc aisé de comparer la volonté de tous exprimée par tous, à la volonté de quelques-uns exprimée par quelques-uns. Nous soumettons le tableau suivant aux méditations de nos concitoyens de toutes classes.
Certes, nous ne croyons pas que le peuple de 1795 fût plus avancé en économie politique que le corps électoral de 1847.
Mais alors on posait cette question: Ceux qui mangent de la viande et du pain ou se servent de fer payeront-ils une taxe à ceux qui produisent ces choses? Et comme les mangeurs de pain étaient en majorité, la majorité disait: Non.
Aujourd'hui on pose la même question. Mais ceux qui font du blé, de la viande ou du fer sont seuls consultés, et ils décident qu'il leur sera payé une gratification, un supplément de prix, une taxe.
Il n'y a rien là qui doive nous surprendre. La Suisse est le seul pays, en Europe, où tout le monde concourt à faire la loi; c'est aussi le seul pays, en Europe, où des taxes sur le grand nombre en faveur du petit nombre n'ont pu pénétrer.
En Angleterre, la loi était faite exclusivement par les propriétaires du sol. Aussi nulle part on n'avait attribué à la production du blé des primes si exorbitantes.
Aux États-Unis, le parti whig et le parti démocrate se disputent et obtiennent tour à tour l'influence. Aussi le tarif s'élève ou s'abaisse, suivant que le premier l'emporte sur le second ou le second sur le premier.
En présence de ces faits écrasants, quand nous avons soulevé la question du libre-échange, quand nous avons essayé de réagir contre cette prétention d'une classe de faire des lois à son profit, comment est-il arrivé que nous ayons rencontré une opposition ardente et haineuse, parmi les meneurs du parti démocratique?
C'est ce que nous expliquerons sous peu de manière à être compris.
En attendant, puisse le tableau qui précède, si propre à rendre les hommes du droit commun plus clairvoyants, rendre aussi les hommes du privilége plus circonspects! Il nous semble difficile qu'ils n'y puisent pas des motifs sérieux de faire tourner au profit de tous, sinon par esprit de justice, au moins par esprit de prudence, cette puissance de faire des lois qui est concentrée en leurs mains.
Pour aujourd'hui, nous terminons par une question, que nous adressons aux prétendus patriotes, à ceux qui disent que le droit d'échanger est d'importation anglaise. Nous leur demanderons si la Constituante et la Convention étaient soudoyées par l'Angleterre?
19. – LE NATIONAL
Le National adresse ce défi au Journal des Débats: «Aidez-nous à renverser l'octroi, nous vous aiderons à renverser le régime protecteur.»
Ceci prouve une chose, que le National, comme il l'a laissé croire jusqu'ici, ne voit pas une calamité publique dans l'échange et le droit de troquer; car nous ne lui ferons pas l'injure de penser que la phrase puisse se construire ainsi: qu'on nous aide à faire un bien, et nous aiderons à faire un mal.
Cependant le National ajoute: «Le dernier mot des Débats, le secret de leur conduite, le voici: l'alliance anglaise a été compromise par les mariages espagnols. Pour renouer les liens de l'entente cordiale, rien ne doit nous coûter. Immolons aujourd'hui notre agriculture, demain notre industrie à la Grande-Bretagne.»
Si la lutte contre le régime protecteur ne peut être inspirée que par des motifs aussi coupables, et ne peut avoir que d'aussi funestes résultats, comment le National offre-t-il de s'y associer? Une telle contradiction ne fait que relever le triste aveuglement de la polémique à la mode.
Admettant donc que le National regarde le libre-échange comme un bien, qu'il voudrait voir réaliser sur nos frontières et à nos barrières, il resterait à savoir pourquoi il s'en est montré depuis peu l'ardent adversaire. Peut-être pourrions-nous demander aussi pourquoi il subordonne la poursuite d'une bonne réforme au parti que d'autres croient devoir prendre sur une réforme de tout autre nature?
Mais laissons de côté ces récriminations inutiles. Que le concours du National nous arrive; nous l'accueillerons avec joie, convaincus qu'il n'y a pas de journal mieux placé pour jeter la bonne semence en bonne terre. Pour donner même au National la preuve que nous apprécierons son concours, nous allons lui expliquer pourquoi il nous est impossible, en tant qu'association, de combattre à ses côtés dans la lutte qu'il soutient contre l'octroi. Nous saisirons avec d'autant plus d'empressement cette occasion de nous expliquer là-dessus, que ce que nous avons à dire jettera, nous l'espérons, quelque lumière sur le but précis de notre association.
Il y a probablement cent réformes à faire dans notre pays et dans le seul département des finances: douane, hypothèques, postes, boissons, sel, octroi, etc., etc.; le National nous accordera bien qu'une association ne s'engage pas à les poursuivre toutes, par cela seul qu'elle entreprend d'en obtenir une.
Cependant, au premier coup d'œil, il semble que notre titre: Libre-Échange, nous astreint à embrasser dans notre action la douane et l'octroi. Qu'est-ce que la douane? un octroi national. Qu'est-ce que l'octroi? une douane urbaine. L'une restreint les échanges aux frontières; l'autre les entrave aux barrières. Mais il semble naturel d'affranchir les transactions que nous faisons entre nous, avant de songer à celles que nous faisons avec l'étranger; et nous ne sommes pas surpris que beaucoup de personnes, à l'exemple du National, nous poussent à guerroyer contre l'octroi25.
Mais, nous l'avons dit souvent, et nous serons forcés de le répéter bien des fois encore: La similitude, qu'on établit entre la douane et l'octroi, est plus apparente que réelle. Si ces deux institutions se ressemblent par leurs procédés, elles diffèrent par leur esprit: l'une gêne forcément et accidentellement les transactions, pour arriver à procurer aux villes un revenu; l'autre interdit systématiquement l'échange, même alors qu'il pourrait procurer un revenu au trésor, considérant l'échange comme chose mauvaise en soi, de nature à appauvrir ceux qui le font.
Nous ne voulons pas nous faire ici les champions de l'octroi, mais enfin, personne