même le tabac de Virginie commun, le tabac du pauvre, paie 1200 pour 100, et le Havane 105 pour 100.
Le vin du riche en est quitte pour 28 pour 100. Le vin du pauvre acquitte 254 pour 100.
Et ainsi du reste.
Vient ensuite la loi sur les céréales et les comestibles (corn and provisions law), dont il est nécessaire de se rendre compte.
La loi-céréale, en excluant le blé étranger ou en le frappant d'énormes droits d'entrée, a pour but d'élever le prix du blé indigène, pour prétexte de protéger l'agriculture, et pour effet de grossir les rentes des propriétaires du sol.
Que la loi-céréale ait pour but d'élever le prix du blé indigène, c'est ce qui est avoué par tous les partis. Par la loi de 1815, le Parlement prétendait très-ostensiblement maintenir le froment à 80 shillings le quarter; par celle de 1828, il voulait assurer au producteur 70 shillings. La loi de 1842 (postérieure aux réformes de M. Peel, et dont par conséquent nous n'avons pas à nous occuper ici) a été calculée pour empêcher que le prix ne descendît au-dessous de 56 shillings qui est, dit-on, strictement rémunérateur. Il est vrai que ces lois ont souvent failli dans l'objet qu'elles avaient en vue; et, en ce moment même, les fermiers, qui avaient compté sur ce prix législatif de 56 shillings et fait leurs baux en conséquence, sont forcés de vendre à 45 shillings. C'est qu'il y a, dans les lois naturelles qui tendent à ramener tous les profits à un commun niveau, une force que le despotisme ne parvient pas facilement à vaincre.
D'un autre côté, que la prétendue protection à l'agriculture soit un prétexte, c'est ce qui n'est pas moins évident. Le nombre des fermes à louer est limité; le nombre des fermiers ou des personnes qui peuvent le devenir ne l'est pas. La concurrence qu'ils se font entre eux les force donc à se contenter des profits les plus bornés auxquels ils peuvent se réduire. Si, par suite de la cherté des grains et des bestiaux, le métier de fermier devenait très-lucratif, le seigneur ne manquerait pas de hausser le prix du bail, et il le ferait d'autant mieux que, dans cette hypothèse, les entrepreneurs viendraient s'offrir en nombre considérable.
Enfin, que le maître du sol, le landlord, réalise en définitive tout le profit de ce monopole, cela ne peut être douteux pour personne. L'excédant du prix extorqué au consommateur doit bien aller à quelqu'un; et puisqu'il ne peut s'arrêter au fermier, il faut bien qu'il arrive au propriétaire.
Mais quelle est au juste la charge que le monopole des blés impose au peuple anglais?
Pour le savoir, il suffit de comparer le prix du blé étranger, à l'entrepôt, avec le prix du blé indigène. La différence, multipliée par le nombre de quarters consommés annuellement en Angleterre, donnera la mesure exacte de la spoliation légalement exercée, sous cette forme, par l'oligarchie britannique.
Les statisticiens ne sont pas d'accord. Il est probable qu'ils se laissent aller à quelque exagération en plus ou en moins, selon qu'ils appartiennent au parti des spoliateurs ou des spoliés. L'autorité qui doit inspirer, le plus de confiance est sans doute celle des officiers du bureau du commerce (Board of trade), appelés à donner solennellement leur avis devant la Chambre des communes réunie en comité d'enquête.
Sir Robert Peel, en présentant, en 1842, la première partie de son plan financier, disait: «Je crois que toute confiance est due au gouvernement de S. M. et aux propositions qu'il vous soumet, d'autant que l'attention du Parlement a été sérieusement appelée sur ces matières dans l'enquête solennelle de 1839.»
Dans le même discours, le premier ministre disait encore:
«M. Deacon Hume, cet homme dont je suis sûr qu'il n'est aucun de nous qui ne déplore la perte, établit que la consommation du pays est d'un quarter de blé par habitant.»
Rien ne manque donc à l'autorité sur laquelle je vais m'appuyer, ni la compétence de celui qui donnait son avis, ni la solennité des circonstances dans lesquelles il a été appelé à l'exprimer, ni même la sanction du premier ministre d'Angleterre.
Voici, sur la question qui nous occupe, l'extrait de cet interrogatoire remarquable3.
Le président: Pendant combien d'années avez-vous occupé des fonctions à la douane et au bureau du commerce?
M. Deacon Hume: J'ai servi trente-huit ans dans la douane et ensuite onze ans au bureau du commerce.
D. Vous pensez que les droits protecteurs agissent comme une taxe directe sur la communauté, en élevant le prix des objets de consommation?
R. Très-décidément. Je ne puis décomposer le prix que me coûte un objet que de la manière suivante: une portion est le prix naturel; l'autre portion est le droit ou la taxe, encore que ce droit passe de ma poche dans celle d'un particulier au lieu d'entrer dans le trésor public…
D. Avez-vous jamais calculé quel est le montant de la taxe que paie la communauté par suite de l'élévation de prix que le monopole fait éprouver au froment et à la viande de boucherie?
R. Je crois qu'on peut connaître très-approximativement le montant de cette charge additionnelle. On estime que chaque personne consomme annuellement un quarter de blé. On peut porter à 10 shellings ce que la protection ajoute au prix naturel. Vous ne pouvez porter à moins du double ce qu'elle ajoute, en masse, au prix de la viande, orge, avoine, foin, beurre et fromage. Cela monte à 36 millions sterling par an (900 millions de francs); et, au fait, le peuple paie cette somme de sa poche tout aussi infailliblement que si elle allait au trésor, sous la forme de taxes.
D. Par conséquent, il a plus de peine à payer les contributions qu'exige le revenu public?
R. Sans doute; ayant payé les taxes personnelles, il est moins en état de payer des taxes nationales.
D. N'en résulte-t-il pas aussi la souffrance, la restriction de l'industrie de notre pays?
R. Je crois même que vous signalez là l'effet le plus pernicieux. Il est moins accessible au calcul, mais si la nation jouissait du commerce que lui procurerait, selon moi, l'abolition de toutes ces protections, je crois qu'elle pourrait supporter aisément un accroissement d'impôts de 30 shellings par habitant.
D. Ainsi, d'après vous, le poids du système protecteur excède celui des contributions?
R. Je le crois, en tenant compte de ses effets directs et de ses conséquences indirectes plus difficiles à apprécier.
Un autre officier du Board of trade, M. Mac-Grégor, répondait:
«Je considère que les taxes prélevées, dans ce pays, sur la production de la richesse due au travail et au génie des habitants, par les droits restrictifs et prohibitifs, dépassent de beaucoup, et probablement de plus du double, le montant des taxes payées au trésor.»
M. Porter, autre membre distingué du Board of trade, et bien connu en France par ses travaux statistiques, déposa dans le même sens4.
Nous pouvons donc tenir pour certain que l'aristocratie anglaise ravit au peuple, par l'opération de cette seule loi (corn and provisions law), une part du produit de son travail, ou, ce qui revient au même, des satisfactions légitimement acquises qu'il pourrait s'accorder, part qui s'élève à 1 milliard par an, et peut-être 2 milliards, si l'on tient compte des effets indirects de cette loi. C'est là, à proprement parler, le lot que les aristocrates-législateurs, les aînés de famille, se sont fait à eux-mêmes.
Restait à pourvoir les cadets; car, ainsi que nous l'avons vu, les races aristocratiques ne sont pas plus que les autres privées de la faculté de multiplier, et, sous peine d'effroyables dissensions intestines, il faut bien qu'elles assurent aux branches cadettes un sort convenable, – c'est-à-dire, en dehors du travail, en d'autres termes, par la spoliation, – puisqu'il n'y a et ne peut y avoir que deux manières d'acquérir: Produire ou ravir.
Deux sources fécondes de revenus ont été ouvertes aux cadets: le trésor public et le système colonial. À vrai dire, ces deux conceptions n'en font qu'une. On lève