George Gordon Byron

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6


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Où est Némésis?

LA SECONDE DESTINÉE

      Occupée à quelque grand travail; mais j'ignore lequel, car moi-même j'ai les mains pleines.

LA TROISIÈME DESTINÉE

      Vois; elle vient.

(Entre Némésis.)LA PREMIÈRE DESTINÉE

      Dis, où as-tu été? Mes sœurs et toi, vous arrivez tard, cette nuit-ci.

NÉMÉSIS

      Relever des trônes abattus; marier entre eux des insensés; rétablir des dynasties; venger des hommes de leurs ennemis, puis les faire repentir de leur vengeance; frapper les sages de folie: tel vient d'être mon travail. J'ai tiré de la poussière les nouveaux oracles qui doivent aujourd'hui régir le monde, car les anciens avaient passé de mode, et les mortels osaient déjà les peser à leur propre valeur, mettre les rois dans la balance et parler de liberté, ce fruit à jamais défendu… Partons! l'heure est sonnée… montons sur nos nuages. (Elles sortent.)

      SCÈNE IV

(Palais d'Arimane. – Arimane, entouré des Esprits, est assis sur un globe de feu qui lui sert de trône.)HYMNE DES ESPRITS

      Salut à notre maître! – Prince de la terre et de l'air! – qui marche sur les nues et sur les eaux, – qui tient dans sa main le sceptre des élémens, et les fait, à sa volonté, rentrer dans le chaos! Il souffle-et la tempête bouleverse la mer; il parle-et la nue répond à sa voix par le tonnerre; il regarde, – à son regard, s'enfuient les rayons du soleil; il se meut, – un tremblement remue la terre jusque dans ses fondemens. Sous ses pas jaillissent les volcans; son ombre projette la peste; les comètes annoncent sa marche à travers les cieux enflammés, et sa colère réduit en cendres les planètes; c'est à lui que la guerre offre chaque jour son holocauste, la mort son tribut. Il est la vie, avec toutes ses agonies; il est l'ame de tout ce qui respire.

(Entrent les Destinées et Némésis.)PREMIÈRE DESTINÉE

      Gloire à Arimane! son pouvoir s'accroît de plus en plus sur la terre. – Mes deux sœurs ont exécuté ses ordres; et moi aussi, j'ai rempli mon devoir.

SECONDE DESTINÉE

      Gloire à Arimane! Nous qui courbons la tête des hommes, nous venons nous courber devant son trône!

TROISIÈME DESTINÉE

      Gloire à Arimane! nous n'attendons qu'un clin-d'œil pour obéir.

NÉMÉSIS

      Souverain des souverains! nous sommes à toi, et tous les êtres mortels, plus ou moins, sont à nous. Étendre notre puissance, c'est étendre la tienne, et nos soins, nos veilles y sont incessamment consacrés. Tes derniers commandemens ont été remplis en tout point.

(Entre Manfred.)UN ESPRIT

      Qui se montre ici? Un mortel! – Toi, fatale et hardie créature, prosterne-toi et adore!

SECOND ESPRIT

      Je connais ce mortel. – Un magicien puissant, possesseur d'une science redoutée.

TROISIÈME ESPRIT

      Prosterne-toi et adore, esclave! Quoi, ne connais-tu pas ton maître et le nôtre? – Tremble et obéis!

TOUS LES ESPRITS

      Humilie-toi, humilie ta damnée matière, enfant de la Terre! ou crains notre courroux.

MANFRED

      Je sais tout; et encore voyez-vous que je ne fléchis pas le genou.

QUATRIÈME ESPRIT

      On saura t'y contraindre.

MANFRED

      Ai-je donc besoin de vos leçons? – Que de nuits là-bas, couché sur le sable aride, je me suis prosterné la face contre terre, et j'ai couvert ma tête de cendres, comprenant toute l'étendue de mon humiliation, m'abaissant devant mon inutile désespoir, et fléchissant sous ma propre misère!

CINQUIÈME ESPRIT

      Seras-tu si hardi que de refuser à Arimane, assis sur son trône, ce que lui accorde l'univers entier qui ne l'a jamais contemplé dans la terreur de son éclat? A genoux! te dis-je.

MANFRED

      Commandez-lui d'abord de s'agenouiller devant l'être qui est au-dessus de lui, devant l'Infini Éternel, – le Créateur qui ne l'avait pas fait pour être adoré: – qu'il se prosterne, et nous nous prosternerons ensemble.

LES ESPRITS

      Faut-il écraser ce ver de terre? le déchirer en morceaux?

PREMIÈRE DESTINÉE

      Hors d'ici! Retirez-vous! cet homme m'appartient. Prince des pouvoirs invisibles! cet homme ne sort pas d'une race vulgaire; son aspect et sa présence en ces lieux le démontrent assez. Ses tourmens ont été de même nature que les nôtres, éternels. Ses connaissances, sa force et sa puissance, autant que le comporte l'argile qui recouvre l'essence éthérée, se sont élevées plus haut que tout ce que la matière a encore produit. Dévoré d'une soif de science que ressentirent rarement d'autres mortels, il apprit à connaître ce que nous connaissons ici-que le savoir n'est pas le bonheur, que la science n'est autre chose que l'échange d'une ignorance contre une autre espèce d'ignorance. Bien plus-les passions, attributs de la terre et du ciel, dont aucune puissance, aucun être, aucun cœur n'est exempt, depuis le ver misérable jusqu'aux plus nobles créatures, les passions ont traversé son cœur, et si cruellement, que moi, impitoyable, je comprends qu'il soit devenu un objet de pitié. Encore une fois, cet homme m'est soumis et t'appartiendra un jour. – Mais que cela soit, ou non, il n'est dans nos régions aucun esprit doué d'une ame égale à la sienne, aucun qui ait pouvoir sur son ame.

NÉMÉSIS

      Que vient-il donc faire ici?

PREMIÈRE DESTINÉE

      Lui-même répondra.

MANFRED

      Ce que je sais, ce que je puis, quel pouvoir m'amène parmi vous, vous le savez; mais il est un pouvoir supérieur au mien, dont j'attends la réponse pour m'arracher enfin à mes doutes.

NÉMÉSIS

      Quelles nouvelles lumières demandes-tu?

MANFRED

      Ce n'est pas toi qui me les peux donner. Appelle ici les morts, – je leur réserve mes questions.

NÉMÉSIS

      Grand Arimane, ta volonté est-elle que les vœux de ce mortel soient exaucés?

ARIMANE

      Oui.

NÉMÉSIS

      Quel fantôme faut-il évoquer?

MANFRED

      Quelqu'un qui ne fut pas renfermé dans la tombe. – Appelle Astarté.

NÉMÉSIS

      Ombre ou esprit! quoi que tu sois, que tu conserves tout ou partie de la forme que tu reçus à ta naissance, de cette forme de terre rendue à la terre, reparais au jour. Revêts-toi de ce que tu avais revêtu; porte ce même cœur, ce même corps arraché à la pâture des vers. Parais! parais! parais! celui qui t'envoya te rappelle aujourd'hui.

(Le fantôme d'Astarté s'élève et se tient au milieu de la foule.)MANFRED

      Serait-ce là la mort? La couleur rougit encore sa joue; mais je ne vois que trop bien que ce n'est pas une couleur vivante; c'est plutôt la teinte d'une étrange maladie, semblable au rouge dont l'automne colore les feuilles mourantes. Est-ce bien elle? Oh! Dieu! elle que je frémirais d'envisager. – Astarté-Non, je ne puis lui parler! – mais commande-lui de parler. – Qu'elle me pardonne ou qu'elle me condamne.

NÉMÉSIS

      Par la puissance qui a brisé la tombe qui t'enfermait, parle à celui qui t'a parlé, ou à ceux qui t'ont mandée ici.

MANFRED

      Elle garde le silence, et, dans ce silence, est toute ma réponse.

NÉMÉSIS

      Là s'arrête mon pouvoir. Prince de l'air! toi seul peux lui ordonner de délier sa voix.

ARIMANE

      Esprit! obéis à ce spectre.

NÉMÉSIS

      Toujours un obstiné silence! Sans doute qu'elle obéit à d'autres puissances que les nôtres. Mortel! vaine sera ton enquête, et nous sommes joués aussi bien que toi.

MANFRED

      Entends-moi! –