George Gordon Byron

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6


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ne parle pas pour les traits et l'extérieur, mais pour l'esprit et le genre de vie qu'il menait. Le comte Sigismond était fier; – mais d'un caractère franc et joyeux: – bon guerrier et homme de plaisir. Celui-là ne s'enterrait pas dans les livres et dans la solitude, passant la nuit dans de sombres veilles; pour lui, la nuit était un tems de fête, plus gai, ma foi, que le jour. On ne le voyait pas errer à travers les bois et les rochers comme un loup sauvage, ni fuir les hommes et leurs plaisirs.

HERMAN

      Maudit soit le tems où nous sommes! Mais celui-là, sur mon ame, était joyeux. Je voudrais qu'il vînt de rechef visiter ces vieilles murailles, qui semblent n'en avoir plus gardé le moindre souvenir!

MANUEL

      Oh! elles changeront de maître auparavant. En vérité, Herman, j'ai vu d'étranges choses ici.

HERMAN

      Allons, ne sois plus si réservé. Pendant que nous faisons notre garde, raconte-moi quelque histoire. Je t'ai déjà entendu parler avec mystère d'un événement qui arriva ici même, près de la tour.

MANUEL

      C'était une nuit, par Dieu! Je me le rappelle parfaitement, à la tombée de la nuit, et tout juste un soir comme celui-ci: – ce nuage rouge que tu vois arrêté sur la cime de l'Eigher, y était aussi; – tellement qu'il me semble que ce soit le même. Le vent, bien qu'assez faible, annonçait un orage, et les neiges de la montagne commençaient à briller à la lueur de la lune levante. Le comte Manfred était enfermé dans sa tour, comme il y est en ce moment, et occupé, – ma foi, nous n'en savons rien. Mais il avait alors avec lui la seule compagne de ses courses et de ses veilles, la seule des créatures vivantes qu'il parût aimer, – à laquelle, du reste, il était attaché par les liens du sang: – lady Astarté, sa-silence! qui vient ici?

(Entre l'abbé de Saint-Maurice.)L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Où est votre maître?

HERMAN

      Là, dans la tour.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      J'ai à lui parler.

MANUEL

      Impossible; il veut être seul, et personne n'entrera.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Je prends tout le mal sur moi, s'il y a mal. – Il faut absolument que je le voie.

HERMAN

      Tu l'as déjà vu ce soir.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Herman, je te l'ordonne; frappe, et dis au comte que je suis ici.

HERMAN

      Nous n'oserons jamais.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      En ce cas, je vais donc m'annoncer moi-même.

MANUEL

      Révérend père, arrête. – Au nom du ciel, attends un moment.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Qu'as-tu donc?

MANUEL

      Sortons. – Je te l'expliquerai bientôt. (Ils sortent.)

      SCÈNE IV

(Intérieur de la tour.)MANFRED, seul

      Chaque étoile est à son poste; la lune resplendit sur les cimes neigeuses des montagnes. – Que tout cela est beau! Toujours je reviens à la nature, car l'aspect de la nuit m'a été plus familier que l'aspect des hommes; dans son ombre étoilée, dans sa sombre et solitaire beauté, le langage d'un autre monde m'a été révélé. Je me rappelle que dans ma jeunesse, – alors que j'errais par le monde, – pendant une nuit semblable à celle-ci, je m'arrêtai dans l'enceinte du Colysée, au milieu des plus nobles ruines de l'antique et puissante Rome. Les arbres qui croissent entre les arches brisées se balançaient mollement dans l'ombre bleue de la nuit, et les étoiles se montraient à travers les fentes des ruines. De l'autre rive du Tibre, l'on entendait les aboiemens du chien de garde, tandis qu'à mes côtés, du sein du palais des Césars, sortait le cri plaintif du hibou, que venait interrompre, de tems à autre, la joyeuse chanson des sentinelles éloignées portée par la brise légère. Quelques cyprès plantés au-delà de la brèche qu'a faite le tems semblaient borner l'horizon, bien qu'ils ne fussent qu'à une portée de trait, – à l'endroit où habitèrent les Césars, et où habitent aujourd'hui les oiseaux nocturnes au chant monotone. Des arbres s'élèvent du milieu des remparts détruits, enlaçant leurs racines dans les tombeaux des empereurs; le lierre rampe où croissait le laurier; mais le Cirque, teint du sang du gladiateur, est encore débout, – noble débris, ruine imposante, – alors que les demeures des Césars, les palais des Augustes gisent sur la terre, triste amas de décombres. – Et toi, lune errante, tu éclairais ce tableau de tes rayons; ta pâle et tendre lueur adoucissait la sauvage austérité d'une scène de désolation; il semblait que, de nouveau, comblant le vide des siècles, tu rendisses à ces lieux un ancien éclat perdu, sans effacer toutefois la beauté nouvelle qu'ils ont acquise. Peu à peu, je surpris dans mon cœur une adoration silencieuse de ces grands débris de l'antiquité, et je me voyais en présence des rois du monde qui, en dépit de l'impitoyable mort, dominent encore si puissamment nos esprits, du fond de leurs tombeaux. – C'était une nuit comme celle-ci! Il est étrange que je me la rappelle à ce moment; – mais j'ai souvent remarqué que nos pensées s'envolent loin de nous, alors même que nous nous efforçons de les rassembler et de leur imprimer une direction quelconque.

(Entre l'abbé de Saint-Maurice.)L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Comte Manfred! pardonne qu'une seconde fois je vienne à toi. Que mon humble zèle ne t'offense pas par cette brusque visite; et s'il y a mal, que le mal retombe sur moi seul. Peut-être, néanmoins, sera-t-elle d'un salutaire effet pour ton esprit, – et que ne puis-je dire pour ton cœur! – car si mes paroles et mes prières parvenaient à te toucher, je rappellerais à lui un noble esprit qui s'est égaré, mais qui n'est pas perdu sans retour.

MANFRED

      Tu ne me connais pas; mes jours sont comptés, mes actions jugées. Retire-toi, ce lieu te serait dangereux. – Retire-toi!

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Prétends-tu me menacer?

MANFRED

      Non pas moi; j'ai simplement dit qu'il y avait péril ici, et je voulais t'en éloigner.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Que veux-tu dire?

MANFRED

      Regarde, là! Vois-tu quelque chose?

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Rien.

MANFRED

      Regarde, là, te dis-je; regarde avec assurance. Maintenant, dis-moi ce que tu vois.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Ce qui serait vraiment capable de me faire trembler; – mais je ne tremble pas. – Je vois, du sein de la terre, s'élever un noir et terrible fantôme, semblable à un dieu infernal. Il dérobe sa figure sous un manteau, et des nuages épais entourent son corps. Il s'arrête entre toi et moi; – non, je ne crains rien.

MANFRED

      Aussi, n'as-tu rien à redouter. – Il ne s'attaquera point à toi; – mais son aspect peut glacer tes vieux membres. Encore une fois-retire-toi.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Et moi, pour la dernière fois, – non. – Je vaincrai cet ennemi d'enfer. – Que vient-il demander ici?

MANFRED

      Ce qu'il-oui, – que vient-il demander ici? Je ne l'ai point appelé, – il est venu sans ordre.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Hélas! infortuné mortel! Qu'as-tu donc à démêler avec de pareils hôtes? Je tremble pour ton salut. Pourquoi fixe-t-il ainsi ses regards sur toi, et toi tes regards sur lui? Ah! le voilà qui découvre ses traits; sur son front est gravée l'empreinte de la foudre; de son œil s'échappe l'affreuse immortalité de l'enfer: – fuis, maudit!

MANFRED

      Parle. – Quelle est ta mission?

L'ESPRIT

      Partons!

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

      Qui es-tu, être inconnu? Réponds-réponds!

L'ESPRIT

      Le