II.
JEUNESSE DE CORNEILLE
Corneille était né à Rouen, en Normandie, l'année 1606, dans une famille qui n'était pas riche, mais très honorable, et qui avait donné à sa province bon nombre de magistrats éclairés et justes. Il était très appliqué dans son enfance, et fit de très bonnes études dans le collège de sa ville. Quand il fut grand, on en voulut faire un avocat, pour qu'il devînt magistrat plus tard, comme beaucoup de ses parents. Mais il parlait mal et était timide de son naturel. Beaucoup de grands hommes sont ainsi dans leur jeunesse, et quelquefois toute leur vie. C'est pour cela qu'il ne faut pas tourner en ridicule la timidité d'un enfant ou quelque défaut dans sa manière de se faire entendre. Bien souvent ce ne sont pas les plus hardis et les plus assurés en paroles qui sont les meilleurs.
Pierre Corneille reconnut très vite qu'il ne réussirait pas au palais, et il se tourna d'un autre côté. Il fit d'abord, comme distraction et passe-temps, des comédies. Les comédies sont des pièces de théâtre pour faire rire. On y montre des hommes et des femmes qui ont des défauts, qui sont avares, ou perfides, ou menteurs, ou joueurs, ou gourmands, ou glorieux, et à qui il arrive des désagréments et des mésaventures risibles à cause de ces défauts. Quand un poète a de la bonne humeur et de la gaîté, ces pièces peuvent amuser honnêtement les honnêtes gens, et même les faire réfléchir sur les mauvaises inclinations qu'ils peuvent avoir, quand elles ne sont pas trop fortes et trop enracinées déjà dans le cœur.
Pierre Corneille, qui était jeune et gai, parce qu'il avait un cœur pur et une bonne conscience, fit donc quelques comédies. Elles n'étaient pas très bonnes, mais elles étaient assez amusantes; et elles réussirent, parce qu'on n'avait pas alors, comme on eut plus tard, quand Molière arriva, beaucoup de bonnes pièces comiques. Corneille sentit qu'il pouvait continuer sans crainte dans la carrière où il s'était hasardé, et il vint à Paris, où on le connaissait déjà comme un jeune écrivain, destiné à devenir un célèbre poète.
Il y avait alors un grand ministre, que j'ai nommé plus haut, et qui, tout en s'occupant de toutes ses forces à rendre la France plus riche, plus forte et plus grande, s'inquiétait du sort des écrivains, et voulait qu'il y en eût beaucoup de bons en France, et qu'ils y fussent honorés et respectés. Il faisait précisément des pièces de théâtre lui-même, et, comme il n'avait pas le temps de les faire tout seul, il se faisait aider par un certain nombre de poètes qui s'y entendaient. C'était le cardinal Richelieu. Richelieu connaissait Pierre Corneille et l'estimait fort. Il l'appela auprès de lui, et le fit entrer dans cette compagnie d'écrivains qui travaillaient avec lui. Pierre Corneille y fit la connaissance d'un bon poète, qui était un homme de grand cœur, Jean Rotrou, qu'il aima tout de suite et dont il resta l'ami jusqu'à ce qu'il lui fût enlevé par la mort.
Corneille aimait fort aussi et honorait comme il devait le cardinal Richelieu. Mais celui-ci était peu accommodant, et habitué à se faire obéir ponctuellement, il n'aimait pas qu'on eût d'autres idées que les siennes. Il donnait à ses écrivains familiers des plans de travail, et il fallait écrire sur ces plans, sans y rien changer. Pierre Corneille qui, tout en respectant le grand génie de Richelieu dans les choses de la politique, se sentait plus de génie que lui pour les pièces de théâtre, changeait quelquefois. Richelieu s'en plaignit, puis se piqua, et enfin Corneille crut devoir se retirer d'auprès de lui.
Il eut raison; car il n'est pas bon à un homme de génie d'écrire sous la direction d'un autre. On est doué pour les choses de l'esprit, et alors il faut se livrer à ses inspirations et ne demander conseil qu'après avoir écrit, à des amis éclairés et sincères; ou bien l'on n'est pas capable de faire de belles œuvres, et alors il ne faut pas écrire du tout, une œuvre médiocre ne valant pas la peine d'être mise sur le papier.
Corneille se retira donc. Richelieu lui en voulut, et quand Corneille, un peu plus tard, fit paraître une très belle tragédie, dont je vais vous parler, et qui s'appelait Le Cid, il se joignit aux jaloux qui déclaraient la pièce mauvaise, et la fit critiquer aussi sévèrement qu'il put par l'Académie française, qu'il venait de fonder. Cela n'est pas très honorable pour Richelieu.
Cependant il faut dire qu'il n'en rendit pas moins de grands services à Pierre Corneille dans diverses circonstances, notamment dans l'affaire de son mariage. Le père de la jeune fille que Corneille désirait épouser hésitait à consentir, ne trouvant pas Corneille d'assez bonne famille. Richelieu fit conférer des titres de noblesse aux parents de Corneille, et conseilla au père de la jeune fille de ne pas s'opposer à l'union. Un conseil de Richelieu était plus qu'un conseil, et le père, si difficile au choix d'un gendre, dut céder, comme vous pensez bien. C'est une petite comédie en action que fit là Richelieu, et vous pouvez croire que c'est la meilleure qu'il ait faite.
Jaloux d'un côté, bienfaisant de l'autre, voilà ce qu'a été Richelieu pour Corneille, et il faut bien que ce soit la vérité, pour que Corneille, homme incapable de dire rien qui ne fût vrai, écrivît, à la mort du cardinal, une petite pièce de vers qui se terminait ainsi:
«Il m'a fait trop de bien pour en dire du mal;
Il m'a fait trop de mal pour en dire du bien.»
CHAPITRE III.
CORNEILLE GRAND HOMME
Quoi qu'il en soit, le plus grand bienfaiteur de Corneille, sans jalousie et sans rancune celui-là, ce fut le public. Il avait accueilli avec faveur ses premières pièces, comédies ou fantaisies sans prétention, très gaies du reste, et où l'on sentait tout l'entrain de la jeunesse; il accueillit avec des transports ses grandes tragédies, que Corneille donna de l'âge de trente ans à celui de quarante, en pleine force de santé, d'énergie morale et de génie.
Il y en eut huit surtout qui plurent infiniment et qu'on a encore beaucoup de plaisir à voir reparaître sur le théâtre ou à relire. C'est le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte, Nicomède, Don Sanche d'Aragon, Pompée et Sertorius. Savez-vous pourquoi?
C'est que, dans chacun de ces beaux ouvrages, Corneille mettait en lumière un des meilleurs sentiments de notre cœur, une forme particulière de ce qui est le plus cher aux Français, le courage. Dans le Cid, par exemple, il montrait le courage d'un jeune homme qui défend l'honneur de son père; dans Horace, le courage d'un père qui sacrifie ses enfants pour le salut de sa patrie; dans Polyeucte, le courage d'un homme qui sacrifie ses biens, son avenir et enfin sa vie pour ses convictions religieuses; dans Cinna, le courage d'un homme, cruel et vindicatif de son naturel, qui sait triompher de ses mauvais penchants, et pardonner à ses ennemis quand il pourrait les accabler; dans Nicomède, quelque chose que vos parents et vos maîtres auront à vous recommander bien souvent, le courage du plus faible contre le plus fort, la fierté du vaincu devant le vainqueur insolent, l'espoir invincible des revanches de la justice sur la force.
Voyez quelles grandes leçons ce poète donnait à ses contemporains, et comme on comprend bien que les illustres guerriers de cette époque, entre autres le prince de Condé, pleuraient à entendre ces belles choses au théâtre, et comme Voltaire a eu raison de dire: «Le grand Condé pleurant aux vers du grand Corneille, c'est une époque bien importante dans l'histoire de l'esprit humain!»
CHAPITRE IV.
LE CID
C'est une belle histoire que celle du Cid. Elle se passe en Espagne, du temps que les Espagnols faisaient la guerre contre les Maures. Il y avait dans ce temps, à la cour d'un roi espagnol, un vieux général, qui s'appelait Don Diègue; il avait un fils nommé Rodrigue. A la suite d'une discussion, Don Diègue fut insulté et frappé d'un soufflet par un officier plus jeune que lui, nommé Don Gormas. Il voulut venger cet affront, et mit l'épée à la main; mais Don Gormas le désarma. Le vieillard allait rester déshonoré, si son fils n'eût pas été là. Vous pensez bien que ce jeune homme, Rodrigue, ne voulait pas laisser son vieux père sous le coup d'une pareille honte. Mais Don Gormas était bien redoutable; c'était le plus vaillant guerrier de toute l'Espagne. Eh bien, ce n'était rien encore: ce Gormas avec qui il fallait se battre, c'était