de la Grande Union Ebenezer de l'Association de Tempérance
«Votre comité a poursuivi ses agréables travaux, durant le mois passé, et a l'inexprimable plaisir de vous rapporter les cas suivants de nouveaux convertis à la tempérance.
«M. Walker, tailleur, sa femme et ses deux enfants. Quand il était plus à son aise, il confesse qu'il avait l'habitude de boire de l'ale et de la bière. Il dit qu'il n'est pas certain s'il n'a pas siroté pendant vingt ans, deux fois par semaines, du nez de chien, que votre comité trouve, sur enquête, être composé de porter chaud, de cassonade, de genièvre et de muscade. (Ici une femme âgée pousse un gémissement en s'écriant: c'est vrai!) Il est maintenant sans ouvrage et sans argent; il pense que ce doit être la faute du porter (applaudissements) ou la perte de l'usage de sa main droite; il ne peut pas dire lequel des deux, mais il regarde comme très-probable que s'il n'avait bu que de l'eau toute sa vie, son camarade ne l'aurait pas piqué avec une aiguille rouillée, ce qui a occasionné son accident (immenses applaudissements). Il n'a plus rien à boire que de l'eau claire, et ne se sent jamais altéré (grands applaudissements).
«Betzy Martin, veuve, n'a qu'un enfant et qu'un œil, va en journée comme femme de ménage et blanchisseuse: n'a jamais et qu'un œil, mais sait que sa mère buvait solidement, ne serait pas étonnée si cela en était la cause (terribles applaudissements). Ne regarde pas comme impossible qu'elle eût deux yeux maintenant, si elle s'était toujours abstenue de spiritueux (applaudissements formidables). Était habituée à recevoir par jour 1 shilling et 6 pence, une pinte de porter et un verre d'eau-de-vie, mais depuis qu'elle est devenue membre de la branche de Brick-Lane elle demande toujours à la place 3 shillings et 6 pence (l'annonce de ce fait intéressant est reçue avec le plus étourdissant enthousiasme).
«Henry Beller a été pendant nombre d'années maître d'hôtel pour différents dîners de corporations. En ce temps-là il buvait une grande quantité de vins étrangers. Il en a peut-être emporté quelque fois une bouteille ou deux chez lui. Il n'est pas tout à fait certain de cela, mais il est sûr que s'il les a emportées, il en a bu le contenu. Il se trouve très-mal disposé et mélancolique, est agité la nuit et éprouve une soif continuelle. Il pense que ce doit être le vin qu'il avait l'habitude de boire (applaudissements). Il est sans emploi maintenant, et ne tâte jamais une seule goutte de vins étrangers (applaudissements épouvantables).
«Thomas Burten, marchand de mou du lord maire, des schérifs et de plusieurs membres du Common council (le nom de ce gentleman est entendu avec un intérêt saisissant). Il a une jambe de bois: il trouve qu'une jambe de bois coûte bien cher quand on marche sur le pavé. Il avait l'habitude d'acheter des jambes de bois d'occasion, et buvait régulièrement chaque soir un verre d'eau et de genièvre chaud; quelquefois deux (profonds soupirs). Il s'est aperçu que les jambes d'occasion se fendaient et se pourrissaient très-promptement; il est fermement persuadé que leur constitution était minée par l'eau et le genièvre (applaudissements prolongés). Il achète maintenant des jambes de bois neuves, et ne boit rien que de l'eau et du thé léger. Les nouvelles jambes de bois durent deux fois aussi longtemps que les anciennes, et il attribue cela uniquement à ses habitudes de tempérance (applaudissements triomphants).»
Après cette lecture, Anthony Humm proposa à l'assemblée de se régaler d'une chanson. Il l'invita à se joindre à lui pour chanter les paroles du joyeux batelier, adaptées à l'air du centième psaume par le frère Mordlin, en vue de favoriser les jouissances morales et rationnelles de la société (grands applaudissements). M. Anthony Humm saisit cette opportunité d'exprimer sa ferme persuasion que feu M. Dibdin7, reconnaissant les erreurs de sa jeunesse, avait écrit cette chanson pour montrer les avantages de l'abstinence. «C'est une chanson de tempérance (tourbillon d'applaudissements). La propreté du costume de l'intéressant jeune homme, son habileté, comme rameur, la désirable disposition d'esprit qui lui permettait, suivant la belle expression du poëte, de ramer tout le jour en ne pensant à rien; tout se réunit pour prouver qu'il devait être buveur d'eau (applaudissements). Oh! quel état de vertueuses jouissances (applaudissements enthousiastes)! et quelle fut la récompense du jeune homme! que tous les jeunes gens présents remarquent ceci:
«Les jeunes filles s'empressaient d'entrer dans son bateau (bruyants applaudissements, surtout parmi les dames). Quel brillant exemple! Les jeunes filles se pressant autour du jeune batelier et l'escortant dans le sentier du devoir et de la tempérance. Mais étaient-ce seulement les jeunes filles de bas étage, qui le soignaient, qui le consolaient, qui le soutenaient? Non!
Il était le rameur chéri
Des plus belles dames du monde.
(immenses applaudissements). Le doux sexe se ralliait comme un seul homme… Mille pardons, comme une seule femme… autour du jeune batelier, et se détournait avec dégoût des buveurs de spiritueux (applaudissements). Les frères de la Branche de Brick-Lane sont des bateliers d'eau douce (applaudissements et rires). Cette chambre est leur bateau; cette audience représente les jeunes filles, et l'orateur, quoique indigne, est leur rameur chéri (applaudissements frénétiques et interminables).»
«Sammy, qu'est-ce qui veut dire par le doux sexe? demanda M. Weller à voix basse.
– La femme, répondit Sam du même ton.
– Pour ça, il n'a pas tort; faut qu'elle soit joliment douce pour se laisser plumer par des olibrius comme ça.»
Les observations mordantes du vieux gentleman furent interrompues par le commencement de la chanson que M. Anthony Humm psalmodiait, deux lignes par deux lignes, pour l'instruction de ceux de ses auditeurs qui ne connaissaient point la légende. Pendant qu'on chantait, le petit homme chauve disparut, mais il revint aussitôt que la chanson fut terminée, et parla bas à M. Anthony Humm avec un visage plein d'importance.
«Mes amis, dit M. Humm en levant la main d'un air suppliant, pour faire taire quelques vieilles ladies qui étaient en arrière d'un vers ou deux; mes amis, un délégué de la branche de Dorking, de notre société, le frère Stiggins, est en bas.»
Les mouchoirs s'agitèrent de nouveau et plus fort que jamais, car M. Stiggins était extrêmement populaire parmi les dames de Brick-Lane.
«Il peut entrer, je pense, dit M. Humm en regardant autour de lui avec un sourire fixe. Frère Tadger, il peut venir auprès de nous et remplir sa mission.»
Le petit homme chauve, qui répondait au nom de frère Tadger, dégringola l'échelle avec grande rapidité, puis immédiatement après, on l'entendit remonter avec le révérend M. Stiggins.
«Le voilà qui vient, Sammy, chuchota M. Weller, dont le visage était pourpre d'une envie de rire supprimée.
– Ne lui dites rien, répartit Sam, je ne pourrais pas me retenir. Il est près de la porte; je l'entends qui se cogne la tête contre la cloison.»
Pendant que Sam parlait, la porte s'ouvrit et le frère Tadger parut, immédiatement suivi par le révérend M. Stiggins. L'entrée de celui-ci fut accueillie par des bravos, par des trépignements, par des agitations de mouchoirs. Mais, à toutes ces manifestations de délices, le frère Stiggins ne répondit pas un mot, se contentant de regarder avec un sourire hébété la chandelle qui fumait sur la table, et balançant en même temps son corps d'une manière irrégulière et alarmante.
«Est-ce que vous n'allez pas bien, frère Stiggins? lui dit tout bas M. Anthony Humm.
– Je vais très-bien, monsieur, répliqua M. Stiggins d'une voix aussi féroce que le permettait l'épaisseur de sa langue. Je vais parfaitement, monsieur.
– Tant mieux, tant mieux, reprit M. Anthony Humm, en reculant de quelques pas.
– J'espère que personne ici ne se permet de dire que je ne suis pas bien?
– Oh! certainement non.
– Je les engage à ne pas le dire, monsieur, je les y engage.»
Tendant ce colloque, l'assemblée était restée parfaitement silencieuse, attendant avec une certaine anxiété la reprise de ses travaux ordinaires.
«Frère,