plusieurs des dépenses qu'elle exige, lorsqu'à travers ces débats survint tout à coup un courrier de Galles, chargé de fâcheuses nouvelles. La pire de toutes c'est que le noble Mortimer, qui conduisait les gens du comte d'Hereford contre les troupes irrégulières et sauvages de Glendower, est tombé entre les mains féroces de ce Gallois. Mille de ses soldats ont été massacrés; et les Galloises ont exercé sur leurs cadavres de telles horreurs, leur ont fait subir des mutilations si brutales, si infâmes, qu'on ne peut les redire ou les indiquer.
LE ROI. – Les nouvelles de ce combat auraient, à ce qu'il paraît, empêché de donner suite à l'affaire de la terre sainte.
WESTMORELAND. – Oui, mon gracieux seigneur, cette nouvelle jointe avec d'autres; car il est venu du Nord, des nouvelles plus pénibles et plus fâcheuses encore: et les voici. Le jour de l'exaltation de la Sainte-Croix, le vaillant Hotspur, ce jeune Henri Percy, et le brave Archambald, cet Écossais tout plein de valeur et de renommée, se sont livrés à Holmedon un sérieux et sanglant combat. Les nouvelles ne nous en sont parvenues que par le bruit de leur mousqueterie, et accompagnées seulement de conjectures; car celui qui nous les a apportées est monté à cheval au moment où la lutte devenait le plus opiniâtre, totalement incertain sur l'issue qu'elle pourrait avoir.
LE ROI. – Un ami plein d'affection et d'habile fidélité, sir Walter Blount, arrive ici descendant de cheval et couvert des différentes espèces de poussières qu'il a traversées depuis Holmedon jusqu'à cette résidence; et il nous a apporté des nouvelles agréables et douces. Le comte de Douglas est défait. Sir Walter a vu dans les plaines d'Holmedon dix mille de ces hardis Écossais et vingt-deux chevaliers baignés dans leur sang. Au nombre des prisonniers d'Hotspur sont Mordake, comte de Fife, et fils aîné du vaincu Douglas 2, les comtes d'Athol, de Murray, d'Angus et de Menteith. Ne sont-ce pas là d'honorables dépouilles, une riche conquête? Eh, cousin, qu'en dites-vous?
WESTMORELAND. – Oui, certes, c'est une victoire dont pourrait se vanter un prince.
LE ROI. – Eh! vraiment c'est en ceci que tu m'affliges, et que tu me fais faire le péché d'envie contre Northumberland quand je le vois père d'un fils si désirable; d'un fils, le sujet éternel des discours de la louange, la tige la plus élancée du bocage, le favori, l'orgueil de la fortune caressante, tandis que moi spectateur de sa gloire, je vois la débauche et le déshonneur souiller le front de mon jeune Henri. O plût au ciel qu'on pût prouver que quelque fée se glissant dans la nuit, a tiré pour les échanger nos enfants de leurs langes, et qu'elle a nommé le mien Percy, et le sien Plantagenet! Alors j'aurais son Henri et il aurait le mien. – Mais bannissons-le de ma pensée. – Que dites-vous, cousin, de l'orgueil de ce jeune Percy? Les prisonniers qu'il a faits dans cette rencontre, il prétend se les approprier, et il me fait dire que je n'en aurai pas d'autres que Mordake, comte de Fife.
WESTMORELAND. – Ce sont là les leçons de son oncle; j'y reconnais Worcester, toujours malveillant pour vous dans toutes les occasions. C'est lui qui l'engage à se rengorger ainsi et à lever sa jeune crête contre la dignité de votre couronne.
LE ROI. – Mais je l'ai envoyé chercher pour m'en rendre raison, et c'est ce qui nous oblige à laisser quelque temps de côté nos saints projets sur Jérusalem. Cousin, mercredi prochain nous tiendrons notre conseil à Windsor: instruisez-en les lords, mais vous, revenez promptement vers nous; car il reste plus de choses à dire et à faire, que la colère ne me permet en ce moment de vous l'expliquer.
WESTMORELAND. – Je vais, mon prince, exécuter vos ordres.
SCÈNE II
FALSTAFF. – Dis donc, Hal 3, quelle heure est-il, mon garçon?
HENRI. – Tu as l'esprit si fort épaissi à force de t'enivrer de vieux vin d'Espagne 4, de te déboutonner après souper, et de dormir sur les bancs des tavernes l'après-dîner, que tu ne sais plus demander ce que tu as véritablement envie de savoir. Que diable as-tu affaire à l'heure qu'il est? A moins que les heures ne fussent des verres de vin d'Espagne, les minutes autant de chapons, à moins que nous n'eussions pour horloges la voix des appareilleuses, pour cadrans les enseignes de tabagies, et que le bien-faisant soleil lui-même ne fût une belle et lascive courtisane en taffetas couleur de feu, je ne vois pas de motif à cette inutilité de venir demander l'heure qu'il est.
FALSTAFF. – Ma foi, Hal, vous entrez dans mon sens; car nous autres coupeurs de bourses, nous nous laissons conduire par la lune et les sept étoiles, et non par Phoebus, ce chevalier errant, blond 5. Et je t'en prie, mon cher lustig, dis-moi un peu, quand une fois tu seras roi… – Dieu conserve ta grâce (majesté, j'aurais dû dire, car de grâces tu n'en auras jamais)!..
HENRI. – Comment! pas du tout?
FALSTAFF. – Non, par ma foi, pas seulement autant qu'on en peut avoir à dire après un oeuf ou du beurre 6.
HENRI. – Eh bien! enfin donc? Au fait, au fait.
FALSTAFF. – Vraiment je veux donc te dire, mon cher lustig, quand tu seras roi, tu ne dois pas souffrir que nous autres gardes du corps de la nuit, soyons traités de voleurs qui attaquent la beauté du jour. Qu'on nous appelle, à la bonne heure, forestiers de Diane, gentilshommes des ténèbres, les mignons de la lune, et qu'on dise de nous que nous nous gouvernons bien, puisque nous sommes comme la mer, gouvernés par notre noble maîtresse la lune, sous la protection de laquelle nous exerçons… le vol.
HENRI. – Tu as raison, et ce que tu dis est vrai sous tous les rapports: car notre fortune à nous autres gens de la lune, a son flux et reflux comme la mer; de même que la mer, nous sommes gouvernés par la lune; et pour preuve, une bourse résolument enlevée le lundi soir sera dissolument vidée le mardi matin, gagnée en jurant, la bourse ou la vie, dépensée en criant, apporte bouteille. En cet instant, marée basse comme le pied de l'échelle, nous serons d'un moment à l'autre à flot aussi haut que le bras de la potence.
FALSTAFF. – Pardieu, tu dis bien vrai, mon garçon. – Et n'est-ce pas que mon hôtesse de la taverne est une agréable créature?
HENRI. – Douce comme le miel d'Hybla, mon vieux garnement 7. Et n'est-il pas vrai aussi qu'un pourpoint de buffle est une agréable robe de chambre pour prison 8?
FALSTAFF. – Quoi, quoi? Mauvais plaisant, fou que tu es! qu'as-tu donc à me pincer, à m'épiloguer de cette manière? que diable ai-je affaire à ton pourpoint de buffle?
HENRI. – Et que diable ai-je affaire, moi, avec ton hôtesse de la taverne?
FALSTAFF. – Eh! mais tu l'as bien fait venir compter avec toi plus et plus d'une fois.
HENRI. – Et t'ai-je jamais fait venir toi, pour payer ta part?
FALSTAFF. – Non: oh! je te rendrai justice: tu as toujours tout payé là.
HENRI. – Là et ailleurs aussi, tant que mes fonds pouvaient s'étendre; et quand ils m'ont manqué, j'ai usé de mon crédit.
FALSTAFF. – Oh! pour cela oui, et si bien usé, que, s'il n'était pas si clair que tu es l'héritier présomptif… – Mais dis-moi donc, je t'en prie, mon cher enfant, verra-t-on encore en Angleterre des gibets sur pied, quand tu seras roi? Et cette grotesque figure, la mère la Loi, avec son frein rouillé, pourra-t-elle toujours jouer de mauvais tours aux gens de coeur? Je t'en prie, quand tu seras roi, ne pends point les voleurs.
HENRI. – Non, ce sera toi.
FALSTAFF. – Moi, oh! bravo. Pardieu je serai un excellent juge.
HENRI. – Et voilà comme tu juges déjà mal; car je veux dire que c'est toi qui auras l'emploi de pendre les voleurs, et que tu deviendras ainsi un merveilleux bourreau.
FALSTAFF.