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emploi.

      FALSTAFF. – Certainement pour être vêtu 9. Le bourreau a une garde-robe qui n'est pas mince. – Je suis aussi triste qu'un vieux matou, ou qu'un ours emmuselé.

      HENRI. – Ou qu'un lion décrépit, ou bien que le luth d'un amant.

      FALSTAFF. – Oui, ou le bourdonnement d'une musette du comté de Lincoln.

      HENRI. – Pourquoi pas comme un lièvre, ou comme les vapeurs de Moorditch 10?

      FALSTAFF. – Tu as toujours les comparaisons les plus désagréables, et tu es le comparatif en personne le plus maudit… aimable jeune prince!.. – Mais, Hal, je t'en prie, ne me tourmente plus davantage de ces folies. Je voudrais de tout mon coeur que nous fussions toi et moi là où l'on achète une provision de bonne renommée. Un vieux lord du conseil m'a diablement bourré l'autre jour dans la rue à votre sujet, mon cher monsieur, mais je n'y ai pas fait attention; et cependant il parlait fort sagement, mais je n'y ai pas pris garde, et pourtant il parlait sagement, et dans la rue encore.

      HENRI. – Tu as bien fait: car la sagesse crie dans les rues, et personne n'y prend garde 11.

      FALSTAFF. – Oh! tu as de damnables applications; en vérité, tu serais capable de corrompre un saint. – Tu m'as fait bien du tort, Hal! Dieu te le pardonne; mais avant de te connaître, Hal, je ne savais rien de rien; et aujourd'hui, pour dire la vérité, je ne vaux rien de mieux que ce qu'il y a de pis. Il faut que je quitte cette vie-là, et je la quitterai; si je ne le fais pas, dis que je suis un misérable. Il n'y a pas un fils de roi dans la chrétienté pour qui je veuille me faire damner.

      HENRI. – Jack, où irons-nous demain escamoter une bourse?

      FALSTAFF. – Où tu voudras, mon garçon; je suis de la partie. Si je n'y vas pas, appelle-moi un misérable, et fais moi quelque affront.

      HENRI. – Je vois que tu t'amendes bien. Tu passes de la prière au guet-apens.

(Poins paraît dans le fond du théâtre.)

      FALSTAFF. – Que veux-tu, Hal, c'est ma vocation, mon ami; et ce n'est pas péché pour un homme que de suivre sa vocation. – Poins! Nous allons savoir tout à l'heure si Gadshill a lié une partie. Oh! si les hommes étaient sauvés selon leur mérite, quel trou dans l'enfer serait assez chaud pour lui? C'est peut-être le plus universel coquin qui ait jamais crié arrête à un honnête homme.

      HENRI. – Bonjour, Ned 12.

      POINS. – Bonjour, cher Hal. – Que dit M. Remords? que dit sir Jean-vin-sucré? Jack, comment le diable et toi vous arrangez-vous au sujet de ton âme, après la lui avoir vendue, le vendredi saint dernier, pour un verre de vin de Madère et une cuisse de chapon froid?

      HENRI. – Sir Jean ne s'en dédit pas; il tiendra son marché avec le diable, car de sa vie encore il n'a fait mentir de proverbes. Il donnera au diable ce qui lui appartient.

      POINS. – Eh bien, te voilà donc damné pour tenir ta parole au diable?

      HENRI. – Il l'aurait été aussi pour avoir friponné le diable.

      POINS. – Mais, mes enfants, mes enfants, c'est demain qu'il faut se rendre dès quatre heures du matin chez Gadshill. Il y a des pèlerins qui s'en vont à Cantorbéry, chargés de riches offrandes, et des marchands qui chevauchent vers Londres avec des bourses bien grasses. J'ai des masques pour vous tous, et vous avez vos chevaux; Gadshill couche ce soir à Rochester; j'ai commandé le souper pour cette nuit à Eastcheap. Il n'y a pas plus de danger là qu'à dormir dans vos lits. Si vous voulez venir, je vous garnis vos bourses de couronnes jusqu'au bord: si vous ne voulez pas, restez à la maison, et allez vous faire pendre.

      FALSTAFF. – Ecoute, Edouard; si je reste ici et n'y vais point, je vous ferai tous pendre pour y avoir été.

      POINS. – En vérité, Côtelettes.

      FALSTAFF. – Veux-tu en être, Hal?

      HENRI. – Qui! moi, voler! Moi, aller faire le brigand? Non pas moi, sur ma foi!

      FALSTAFF. – Tiens, tu n'as en toi rien d'un honnête homme, d'un homme de coeur, d'un bon camarade; tu n'es pas sorti du sang royal; tiens, si tu n'oses pas tenir pour dix schellings 13.

      HENRI. – A la bonne heure, je ferai donc, une fois dans ma vie, un coup de tête.

      FALSTAFF. – Voilà ce qui s'appelle parler.

      HENRI. – Eh bien, arrive ce qui voudra, je garde la maison.

      FALSTAFF. – Sur mon Dieu, s'il en est ainsi, je conspire quand tu seras roi.

      HENRI. – Je ne m'en soucie guère.

      POINS. – Sir John, je t'en prie, laisse-nous seuls un moment le prince et moi; je lui donnerai de si bonnes raisons pour cette expédition, qu'il y viendra.

      FALSTAFF. – A la bonne heure: puisses-tu avoir l'esprit de persuasion, et lui l'intelligence du profit! afin que ce que tu diras puisse le toucher, et que ce qu'il entendra, il puisse le croire, et afin que le prince véritable puisse (par récréation) devenir un faux voleur; car les pauvres abus de ce siècle ont bien besoin de protection. Adieu, vous me retrouverez à Eastcheap.

      HENRI. – Adieu, printemps passé; adieu, été de la Toussaint.

(Falstaff sort.)

      POINS. – Allons, mon bon, doux et gracieux seigneur, montez à cheval demain avec nous. J'ai une farce à jouer que je ne saurais arranger tout seul. Falstaff, Bardolph, Peto et Gadshill dévaliseront ces hommes que nous sommes à guetter. Ni vous, ni moi, n'y serons; et quand ils auront leur butin, si entre vous et moi nous ne les volons pas à notre tour, je veux que vous m'abattiez la tête de dessus les épaules.

      HENRI. – Mais comment ferons-nous pour nous séparer d'eux au moment du départ?

      POINS. – Quoi! nous ne partirons qu'avant ou après eux, et nous leur fixerons un rendez-vous, auquel nous serons les maîtres de manquer. Alors ils s'aventureront tout seuls à faire cet exploit, et ils ne l'auront pas plutôt accompli, que nous tomberons sur eux.

      HENRI. – Oui, mais il est probable qu'ils nous reconnaîtront à nos chevaux, à nos habits, enfin à toutes sortes d'indices.

      POINS. – Bah! d'abord ils ne verront pas nos chevaux, je les attacherai dans le bois; nous changerons de masques dès que nous les aurons quittés; et de plus, mon cher, j'ai pour l'occasion, des fourreaux de bougran dont nous couvrirons nos vêtements qu'en effet ils connaissent.

      HENRI. – Mais j'ai peur aussi qu'ils ne soient trop forte partie pour nous.

      POINS. – Oh! pour cela, il y en a deux dont je réponds comme des plus fieffés poltrons qui aient jamais tourné le dos; et pour le troisième, s'il se bat plus longtemps que de raison, je renonce au métier des armes. – Le bon de cette plaisanterie sera d'entendre après les inconcevables mensonges que nous débitera ce gros coquin, lorsque nous nous retrouverons à souper: comme quoi il s'est battu avec une trentaine au moins, quelles parades il a faites, quels coups il a allongés, quels dangers il a courus; notre divertissement sera de le mettre en défaut.

      HENRI. – En bien, j'irai avec toi; va nous préparer tout ce qui est nécessaire, et puis retrouve-toi ce soir à Eastcheap; j'y souperai, adieu.

      POINS. – Adieu, mon prince.

(Il sort.)

      HENRI. – Je vous connais tous; et veux bien pour un temps favoriser les caprices déréglés de votre oisiveté. En cela je continuerai à imiter le soleil qui permet quelquefois aux nuages impurs et contagieux de dérober sa beauté à l'univers, afin que lorsqu'il lui plaira de redevenir lui-même, le monde, après en avoir été privé, le voie avec plus d'admiration reparaître tout à coup à travers les noires et hideuses vapeurs qui avaient paru le suffoquer. Si l'année entière se passait en jours de congé, les jeux seraient bientôt aussi ennuyeux que le travail. Mais quand ils ne viennent que de temps à autre,