Жорж Санд

Gabriel


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vérité! Le destin nous aide en effet! Et la figure, est-elle déjà un peu mâle? Déjà! Je voudrais me faire illusion à moi-même… Non, ne me dites plus rien; je le verrai bien… Parlez-moi seulement du moral, de l'éducation.

LE PRÉCEPTEUR

      Tout ce que votre altesse a ordonné a été ponctuellement exécuté, et tout a réussi comme par miracle.

LE PRINCE

      Sois louée, ô fortune!.. si vous n'exagérez rien, monsieur l'abbé. Ainsi rien n'a été épargné pour façonner son esprit, pour l'orner de toutes les connaissances qu'un prince doit posséder pour faire honneur à son nom et à sa condition?

LE PRÉCEPTEUR

      Votre altesse est douée d'une profonde érudition. Elle pourra interroger elle-même mon noble élève, et voir que ses études ont été fortes et vraiment viriles.

LE PRINCE

      Le latin, le grec, j'espère?

LE PRÉCEPTEUR

      Il possède le latin comme vous-même, j'ose le dire, monseigneur; et le grec… comme…

(Il sourit avec aisance.)LE PRINCE, riant de bonne grâce

      Comme vous, l'abbé? A merveille, je vous en remercie, et vous accorde la supériorité sur ce point. Et l'histoire, la philosophie, les lettres?

LE PRÉCEPTEUR

      Je puis répondre oui avec assurance; tout l'honneur en revient à la haute intelligence de l'élève. Ses progrès ont été rapides jusqu'au prodige.

LE PRINCE

      Il aime l'étude? Il a des goûts sérieux?

LE PRÉCEPTEUR

      Il aime l'étude, et il aime aussi les violents exercices, la chasse, les armes, la course. En lui l'adresse, la persévérance et le courage suppléent à la force physique. Il a des goûts sérieux, mais il a aussi les goûts de son âge: les beaux chevaux, les riches habits, les armes étincelantes.

LE PRINCE

      S'il en est ainsi, tout est au mieux, et vous avez parfaitement saisi mes intentions. Maintenant, encore un mot. Vous avez su donner à ses idées cette tendance particulière, originale… Vous savez ce que je veux dire?

LE PRÉCEPTEUR

      Oui, monseigneur. Dès sa plus tendre enfance (votre altesse avait donné elle-même à son imagination cette première impulsion), il a été pénétré de la grandeur du rôle masculin, et de l'abjection du rôle féminin dans la nature et dans la société. Les premiers tableaux qui ont frappé ses regards, les premiers traits de l'histoire qui ont éveillé ses idées, lui ont montré la faiblesse et l'asservissement d'un sexe, la liberté et la puissance de l'autre. Vous pouvez voir sur ces panneaux les fresques que j'ai fait exécuter par vos ordres: ici l'enlèvement des Sabines, sur cet autre la trahison de Tarpéia; puis le crime et le châtiment des filles de Danaüs; là une vente de femmes esclaves en Orient; ailleurs, ce sont des reines répudiées, des amantes méprisées ou trahies, des veuves indoues immolées sur les bûchers de leurs époux; partout la femme esclave, propriété, conquête, n'essayant de secouer ses fers que pour encourir une peine plus rude encore, et ne réussissant à les briser que par le mensonge, la trahison, les crimes lâches et inutiles.

LE PRINCE

      Et quels sentiments ont éveillés en lui ces exemples continuels?

LE PRÉCEPTEUR

      Un mélange d'horreur et de compassion, de sympathie et de haine…

LE PRINCE

      De sympathie, dites-vous? A-t-il jamais vu aucune femme? A-t-il jamais pu échanger quelques paroles avec des personnes d'un autre sexe que… le sien?..

LE PRÉCEPTEUR

      Quelques paroles, sans doute; quelques idées, jamais. Il n'a vu que de loin les filles de la campagne, et il éprouve une insurmontable répugnance à leur parler.

LE PRINCE

      t vraiment vous croyez être sûr qu'il ne se doute pas lui-même de la vérité?

LE PRÉCEPTEUR

      Son éducation a été si chaste, ses pensées sont si pures, une telle ignorance a enveloppé pour lui la vérité d'un voile si impénétrable, qu'il ne soupçonne rien, et n'apprendra que de la bouche de votre altesse ce qu'il doit apprendre. Mais je dois vous prévenir que ce sera un coup bien rude, une douleur bien vive, bien exaltée peut-être… De telles causes devaient amener de tels effets…

LE PRINCE

      Sans doute… cela est bon. Vous le préparerez par un entretien, ainsi que nous en sommes convenus.

LE PRÉCEPTEUR

      Monseigneur, j'entends le galop d'un cheval… C'est lui. Si vous voulez le voir par cette fenêtre… il approche.

LE PRINCE, se levant avec vivacité et regardant par la fenêtre en se cachant avec le rideau

      Quoi! ce jeune homme monté sur un cheval noir, rapide comme la tempête?

LE PRÉCEPTEUR, avec orgueil

      Oui, monseigneur.

LE PRINCE

      La poussière qu'il soulève me dérobe ses traits… Cette belle chevelure, cette taille élégante… Oui, ce doit être un joli cavalier… bien posé sur son cheval; de la grâce, de l'adresse, de la force même… Eh bien! va-t-il donc sauter la barrière, ce jeune fou?

LE PRÉCEPTEUR

      Toujours, monseigneur.

LE PRINCE

      Bravissimo! Je n'aurais pas fait mieux à vingt-cinq ans. L'abbé, si le reste de l'éducation a aussi bien réussi, je vous en fais mon compliment et je vous en récompenserai de manière à vous satisfaire, soyez-en certain. Maintenant j'entre dans l'appartement que vous m'avez destiné. Derrière cette cloison, j'entendrai votre entretien avec lui. J'ai besoin d'être préparé moi-même à le voir, de le connaître un peu avant de m'adresser à lui. Je suis ému, je ne vous le cache pas, monsieur l'abbé. Ceci est une circonstance grave dans ma vie et dans celle de cet enfant. Tout va être décidé dans un instant. De sa première impression dépend l'honneur de toute une famille. L'honneur! mot vile et tout-puissant!..

LE PRÉCEPTEUR

      La victoire vous restera comme toujours, monseigneur. Son âme romanesque, dont je n'ai pu façonner absolument à votre guise tous les instincts, se révoltera peut-être au premier choc; mais l'horreur de l'esclavage, la soif d'indépendance, d'agitation et de gloire triompheront de tous les scrupules.

LE PRINCE

      Puissiez-vous deviner juste! Je l'entends… son pas est délibéré!.. J'entre ici… Je vous donne une heure… plus ou moins, selon…

LE PRÉCEPTEUR

      Monseigneur, vous entendrez tout. Quand vous voudrez qu'il paraisse devant vous, laissez tomber un meuble; je comprendrai.

LE PRINCE

      Soit! (Il entre dans l'appartement voisin.)

      SCÈNE III

LE PRÉCEPTEUR, GABRIEL

      (Gabriel en habit de chasse à la mode du temps, cheveux longs, bouclés, en désordre, le fouet à la main. Il se jette sur une chaise, essoufflé, et s'essuie le front.)

GABRIEL

      Ouf! je n'en puis plus.

LE PRÉCEPTEUR

      Vous êtes pâle, en effet, monsieur. Auriez-vous éprouvé quelque accident?

GABRIEL

      Non, mais mon cheval a failli me renverser. Trois fois il s'est dérobé au milieu de la course. C'est une chose étrange et qui ne m'est pas encore arrivée depuis que je le monte. Mon écuyer dit que c'est d'un mauvais présage. A mon sens, cela présage que mon cheval devient ombrageux.

LE PRÉCEPTEUR

      Vous semblez ému… Vous dites que vous avez failli être renversé?

GABRIEL

      Oui, en vérité. J'ai failli l'être à la troisième fois, et à ce moment j'ai été effrayé.

LE PRÉCEPTEUR

      Effrayé? vous, si bon cavalier?

GABRIEL

      Eh bien, j'ai eu peur, si vous l'aimez mieux.

LE PRÉCEPTEUR

      Parlez moins haut, monsieur, l'on pourrait vous entendre.

GABRIEL

      Eh!