MARC, GROUPES attablés; L'HÔTE, allant et venant; puis LE COMTE ASTOLPHE DE BRAMANTE
Marc! prends place ici, en face de moi; assis, vite!
Monseigneur… ici?..
Dépêche! tous ces lourdauds nous regardent. Sois un peu moins empesé… Nous ne sommes point ici dans le château de mon grand-père. Demande du vin.
Quel vin servirai-je à vos excellences?
Quel vin servira-t-on à Votre Excellence?
Belle question! pardieu! du meilleur.
Ah çà! ne saurais-tu prendre des manières plus dégagées? Oublies-tu où nous sommes, et veux-tu me compromettre?
Je ferai mon possible… Mais en vérité je n'ai pas l'habitude… Êtes-vous bien sûr que ce soit ici?..
Très-sûr.. Ah! le local a mauvais air, j'en conviens; mais c'est la manière de voir les choses qui fait tout. Allons, vieil ami, un peu d'aplomb.
Je souffre de vous voir ici!.. Si quelqu'un allait vous reconnaître…
Eh bien! cela ferait le meilleur effet du monde.
Gageons que ce jeune vaurien vient ici avec son oncle pour le griser et lui avouer ses dettes entre deux vins.
Cela? C'est un garçon rangé. Rien qu'aux plis de sa fraise on voit que c'est un pédant.
Lequel des deux?
L'un et l'autre.
Eh bien! ce vin?
A merveille! frappe plus fort.
Ces gens-là sont bien pressés! Est-ce que la gorge brûle à ce vieux fou?
Ils sont mis proprement.
Hein! un vieillard et un enfant! quelle heure est-il?
Occupe l'hôte, afin qu'il ne les serve pas trop vite. Pour peu qu'ils vident deux flacons, nous gagnerons bien minuit.
Ils sont bien armés.
Bah! l'un sans barbe, l'autre sans dents.
Ouf! voilà ce ferrailleur d'Astolphe. Quand serons-nous débarrassés de lui?
Quand nous voudrons.
Il est seul ce soir.
Attention!
Voilà le roi des tapageurs, Astolphe. Invitons-le à vider un flacon avec nous; sa gaieté nous réveillera.
Ma foi, non. Il se fait tard; les rues sont mal fréquentées.
N'as-tu pas ta rapière?
Ah! je suis las de ces sottises-là. C'est l'affaire des sbires, et non la nôtre, de faire la guerre aux voleurs toutes les nuits.
Et puis je n'aime guère ton Astolphe. Il a beau être gueux et débauché, il ne peut oublier qu'il est gentilhomme, et de temps en temps il lui prend, comme malgré lui, des airs de seigneurie qui me donnent envie de le souffleter.
Et ces deux cuistres qui boivent là tristement dans un coin me font l'effet de barons allemands mal déguisés.
Décidément le cabaret est mal composé ce soir. Partons.
(Ils paient l'hôte et sortent. Les spadassins suivent tous leurs mouvements. Gabriel est occupé à examiner Astolphe qui s'est jeté sur un banc d'un air farouche, les coudes appuyés sur la table, sans demander à boire et sans regarder personne.)
C'est un beau jeune homme; mais quelle mauvaise tenue! Voyez, sa fraise est déchirée et son pourpoint couvert de taches.
C'est la faute de son valet de chambre. Quel noble front! Ah! si j'avais ces traits mâles et ces larges mains!..
Ils sont loin… Si ces deux benêts qui restent là sans vider leurs verres pouvaient partir aussi…
Lui chercher querelle ici? L'hôte est poltron.
Raison de plus.
Il criera.
On le fera taire.
Il y a là des gens de mauvaise mine qui vous regardent beaucoup.
C'est la gaucherie avec laquelle tu tiens ton verre qui les divertit.
Ce vin est détestable, et je crains qu'il ne me porte à la tête.
Le vieux s'endort.
Il n'est pas ivre.
Mais il a une bonne dose d'hivers dans le ventre. Va voir un peu si Mezzani n'est pas par là dans la rue; c'est son heure. Ce jeune gars qui ouvre là-bas de si grands yeux a un surtout de velours noir qui n'annonce pas des poches percées.
Eh bien! seigneur Astolphe, quel vin aurai-je l'honneur de vous servir?
Va-t'en à tous les diables!
Ce seigneur vous a demandé trois fois du malvoisie.
En vérité?
Mezzani?
C'est entendu. D'une pierre deux coups… Le moment est bon. La ronde vient de passer. J'entame la querelle.
Quel est donc le malappris qui se permet de bâiller de la sorte?
Il n'y a de malappris ici que vous, mon maître.
Seigneur mal peigné, prenez garde à vos manières.
Tais-toi, bravache, j'ai sommeil.
Astolphe,