nombreuses couleurs entoure-t-il tes yeux? Pourquoi? Parce que tu es ma fille?
HÉLÈNE. – Parce que je ne le suis pas.
LA COMTESSE. – Je te dis que je suis ta mère.
HÉLÈNE. – Pardonnez-moi, madame, le comte de Roussillon ne peut être mon frère; je suis d'une humble naissance, et lui d'une famille illustre: mes parents sont inconnus, les siens sont tous nobles: il est mon maître, mon cher seigneur, et je vis pour le servir, et je veux mourir sa vassale. Il ne faut pas qu'il soit mon frère.
LA COMTESSE. – Ni moi, votre mère?
HÉLÈNE. – Vous êtes ma mère, madame! (pourvu que monseigneur votre fils ne soit pas mon frère); plût à Dieu que vous fussiez en effet ma mère, ou que vous fussiez la mère de tous deux! je ne le désire pas plus que je ne désire le ciel, pourvu que je ne sois pas sa soeur. Ne serait-il donc pas possible que je fusse votre fille, sans qu'il fût mon frère?
LA COMTESSE. – Oui, Hélène, tu pourrais être ma belle-fille. A Dieu ne plaise que ce soit là ta pensée! Les noms de fille et de mère agitent tellement ton pouls! Quoi! tu pâlis encore!.. Mes craintes ont enfin surpris ton amour. Je pénètre maintenant le mystère de ta solitude, et je découvre enfin la source de tes larmes amères. Maintenant tout est clair comme le jour. Tu aimes mon fils. Il serait honteux de vouloir dissimuler ce que ta passion publie, et de vouloir me dire que tu ne l'aimes pas: ainsi, dis-le-moi; avoue-moi la vérité: car vois, tes joues se l'avouent l'une à l'autre, et tes yeux le voient éclater si manifestement dans ta conduite, qu'ils le disent aussi dans leur langage. Il n'y a que le péché et une obstination d'enfer qui enchaînent ta langue, pour rendre la vérité suspecte. Parle: cela est-il vrai? – Si cela est, tu as dévidé un joli peloton. Si cela n'est pas, jure que je me trompe: cependant, je te l'ordonne au nom de l'oeuvre que le ciel peut faire en moi à ton profit, dis-moi la vérité.
HÉLÈNE. – Ma bonne maîtresse, daignez me pardonner.
LA COMTESSE. – Aimez-vous mon fils?
HÉLÈNE. – Votre pardon, ma noble maîtresse.
LA COMTESSE. – Aimez-vous mon fils?
HÉLÈNE. – Ne l'aimez-vous pas, vous, madame?
LA COMTESSE. – Point de détours. Mon amour pour lui vient d'un lien que personne n'ignore. Allons, allons, découvre-moi l'état de ton coeur, car ta passion elle-même t'accuse hautement.
HÉLÈNE. – Eh bien! je l'avoue ici, à genoux, devant le ciel et devant vous, madame, que j'aime votre fils plus que vous, et seulement moins que le ciel. Mes parents étaient pauvres, mais honnêtes; mon amour l'est aussi. N'en soyez pas offensée; car mon amour ne lui fait aucun mal. Je ne le poursuis point par des marques de prétentions présomptueuses, je ne voudrais pas l'obtenir avant de le mériter, et cependant je ne sais pas comment je pourrai le mériter jamais. Je sais que j'aime en vain; je lutte contre toute espérance, et cependant je verse toujours les flots de mon amour dans ce crible perfide et fuyant, sans m'apercevoir qu'il diminue. – Ainsi, semblable à l'Indien, religieuse dans mon erreur, j'adore le soleil, qui regarde son adorateur, mais qui ne sait rien de plus de lui. Ma chère maîtresse, que votre haine ne rencontre pas mon amour, parce que j'aime ce que vous aimez. Mais vous-même, madame, dont l'honorable vieillesse annonce une jeunesse vertueuse, si jamais vous avez brûlé d'une flamme si pure, de désirs si chastes, et d'un amour si tendre, que votre Diane fut en même temps la déesse de l'amour, oh! ayez pitié de celle dont l'état est si malheureux qu'elle ne peut que prêter et donner où elle est sûre de toujours perdre; qui ne cherche point à trouver ce que ses voeux recherchent, mais qui, semblable à l'énigme, chérit le secret qui est sa mort 10.
LA COMTESSE. – N'aviez-vous pas dernièrement le projet d'aller à Paris? Parlez-moi franchement.
HÉLÈNE. – Oui, madame.
LA COMTESSE. – Pourquoi? Dites la vérité.
HÉLÈNE. – Je dirai la vérité, j'en jure par la grâce elle-même. Vous savez que mon père m'a laissé quelques recettes d'un effet merveilleux et éprouvé, que sa science et son expérience connue avaient recueillies pour des spécifiques souverains, et qu'il me recommanda de ne les donner qu'avec soin et réserve, comme des ordonnances qui renfermaient en elles de bien plus grandes vertus qu'on n'en pouvait juger sur l'étiquette. Dans le nombre, il y a un remède, dont l'utilité est reconnue pour guérir les maladies de langueur désespérées comme celle dont on croit le roi perdu.
LA COMTESSE. – Était-ce là votre motif pour aller à Paris? Répondez.
HÉLÈNE. – C'est votre noble fils, madame, qui m'a fait penser à cela: autrement, Paris et la médecine, et le roi, ne me seraient peut-être jamais venus dans la pensée.
LA COMTESSE. – Mais, Hélène, si tu offrais au roi tes prétendus secours, penses-tu qu'il les acceptât? Le roi et ses médecins sont d'accord. Lui, il est persuadé qu'ils ne peuvent le guérir; eux le sont aussi qu'ils ne peuvent le guérir. Comment croiront-ils une pauvre jeune fille ignorante, lorsqu'eux-mêmes, après avoir épuisé toute la science des écoles, ils ont abandonné le mal à lui-même?
HÉLÈNE. – Il y a quelque chose qui me dit, plus encore que la science de mon père, qui était pourtant le plus grand dans sa profession, que sa bienfaisante recette, qui fait mon héritage, sera bénie, pour mon bonheur, par les plus heureuses étoiles qui soient au ciel. Et si Votre Seigneurie veut me permettre de tenter son succès, je répondrai sur ma vie, que je perdrais dans une bonne cause, de la guérison du roi, pour tel jour et à telle heure.
LA COMTESSE. – Le crois-tu?
HÉLÈNE. – Oui, madame, et j'en suis convaincue.
LA COMTESSE. – Eh bien, Hélène, tu auras mon consentement, ma tendresse, de l'argent, une suite, et mes pressantes recommandations à tous mes amis, qui sont à la cour. Je resterai au logis, et je prierai Dieu de bénir ton entreprise. Pars demain, et sois sûre que tous les secours que je puis te donner ne te manqueront pas.
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE I
LE ROI. – Adieu, jeune seigneur. Ne perdez jamais de vue ces principes d'un guerrier. – Adieu, vous aussi, seigneur. Partagez mes conseils entre vous. Si chacun de vous se les approprie tout entiers, le présent est de nature à s'étendre à proportion qu'il est reçu, et il suffira pour tous deux.
PREMIER SEIGNEUR. – C'est notre espérance, sire, qu'après nous être formés dans le métier de la guerre, nous reviendrons pour trouver Votre Majesté en bonne santé.
LE ROI. – Non, non; cela est impossible: et cependant mon coeur ne veut pas avouer qu'il souffre de la maladie qui mine mes jours. Adieu, jeunes guerriers. Soit que je vive, ou que je meure, montrez-vous les fils des vaillants Français. Que la haute Italie (cette nation dégénérée qui n'a hérité que des défaites de la dernière monarchie 11) reconnaisse que vous ne venez pas seulement pour courtiser l'honneur, mais pour l'épouser. Quand les plus braves de vos rivaux reculeront, sachez trouver ce que vous cherchez pour vous faire proclamer hautement par la renommée. – Je vous dis adieu.
SECOND SEIGNEUR. – Que la santé soit aux ordres de Votre Majesté!
LE ROI. – Et ces jeunes filles d'Italie… Prenez garde à elles. On dit que nos Français n'ont point de langue pour les refuser, lorsqu'elles demandent: prenez garde d'être captifs, avant d'être soldats.
LES DEUX SEIGNEURS. – Nos coeurs conserveront vos avis.
LE ROI. – Adieu. (A quelqu'un de ses gens.) Venez à moi.
PREMIER SEIGNEUR, à Bertrand. – O mon cher seigneur,