la mort de Napoléon, il s'est trouvé un autre homme duquel on parle tous les jours à Moscou comme à Naples, à Londres comme à Vienne, à Paris comme à Calcutta.
La gloire de cet homme ne connaît d'autres bornes que celles de la civilisation, et il n'a pas trente-deux ans! Je vais essayer de tracer une esquisse des circonstances qui, si jeune, l'ont placé à cette hauteur.
Les titres du conteur à la confiance du lecteur, sont d'avoir habité huit ou dix ans les villes que Rossini électrisait par ses chefs-d'œuvre; l'auteur a fait des courses de cent milles pour se trouver à la première représentation de plusieurs d'entre eux; il a su, dans le temps, toutes les petites anecdotes qui couraient dans la société, à Naples, à Venise, à Rome, lorsqu'on y jouait les opéras de Rossini.
L'auteur de l'ouvrage suivant en a déjà fait deux ou trois autres, toujours sur des sujets frivoles. Les critiques lui ont dit que quand on se mêlait d'écrire, il fallait employer les précautions oratoires, académiques, etc.; qu'il ne saurait jamais faire un livre, etc., etc.; qu'il n'aurait jamais l'honneur d'être homme de lettres. A la bonne heure. Quelques personnes que le public nommera, ont si bien arrangé ce titre, que tel galant homme peut s'estimer fort heureux de n'y arriver jamais.
Le présent livre n'est donc pas un livre. A la chute de Napoléon, l'écrivain des pages suivantes, qui trouvait de la duperie à passer sa jeunesse dans les haines politiques, se mit à courir le monde. Se trouvant en Italie, lors des grands succès de Rossini, il eut occasion d'en écrire à quelques amis d'Angleterre et de Pologne.
Des lambeaux de ces lettres, transcrits de suite, voilà ce qui forme la brochure qu'on va lire, parce que l'on aime Rossini, et non pas pour le mérite de la brochure. De quelque manière que l'histoire soit écrite, elle plaît, dit-on, et celle-ci a été écrite en présence des petits événements qu'elle raconte.
Je m'attends bien qu'il y aura trente ou quarante inexactitudes dans le nombre infini de petits faits qui remplissent les pages suivantes.
Il est si difficile d'écrire l'histoire d'un homme vivant! et d'un homme comme Rossini, dont la vie ne laisse d'autres traces que le souvenir des sensations agréables dont il remplit tous les cœurs! Je voudrais bien que ce grand artiste, qui est en même temps un homme charmant, eût l'idée d'écrire lui-même ses Mémoires, à la manière de Goldoni. Comme il a cent fois plus d'esprit que Goldoni, et qu'il se moque de tout, ses Mémoires seraient bien autrement piquants. J'espère qu'il y aura assez d'inexactitudes dans cette Vie de Rossini pour le fâcher un peu, et l'engager à écrire. Avant qu'il se fâche (s'il se fâche), j'ai besoin de lui dire que je le respecte infiniment, et bien autrement, par exemple, que tel grand seigneur envié. Le seigneur a gagné un gros lot en argent à la loterie de la nature, lui y a gagné un nom qui ne peut plus périr, du génie, et surtout du bonheur.
Le présent livre avait été fait pour être publié en anglais; c'est une école de musique qu'il a vue près de la place Beauvau, qui a donné à l'auteur l'audace d'imprimer en France.
INTRODUCTION
I
Le 11 janvier 1801, Cimarosa mourut à Venise, des suites des traitements barbares qu'il venait d'éprouver à Naples, dans les prisons où l'avait fait jeter la reine Caroline.
Paisiello n'est mort qu'en 1816; mais on peut dire que depuis les dernières années de l'autre siècle, le génie musical, qui se manifeste de si bonne heure, mais s'éteint si vite, avait cessé d'animer le compositeur aimable et gracieux plutôt qu'énergique et brillant du Roi Théodore et de la Scuffiara.
Cimarosa agit sur l'imagination par de longues périodes musicales qui joignent, à une extrême richesse, une extrême régularité.
Je citerai pour exemple les deux premiers duetti du Matrimonio segreto, et entre autres le second:
Io ti lascio perchè uniti.
Ces chants sont les plus beaux qu'il ait été donné à l'âme humaine de concevoir: remarquez cependant qu'ils sont réguliers, et d'une régularité que notre esprit peut saisir: c'est un grand mal; dès qu'on en connaît plusieurs, on peut en quelque sorte prévoir la suite et le développement de ceux dont on entend le début. Tout le mal est dans ce mot prévoir, et c'est de là que nous verrons dans peu sortir le style et la gloire de Rossini.
Paisiello ne remue jamais aussi profondément que Cimarosa; il n'évoque pas dans l'âme du spectateur les images qui donnent des jouissances aux passions profondes, ses émotions ne s'élèvent guère au delà de la grâce; mais il a excellé dans ce genre; sa grâce est celle du Corrège, tendre, rarement piquante, mais séduisante, mais irrésistible. Je citerai comme exemple connu à Paris, le quartetto de la Molinara.
Quelli la,
lorsque le notaire Pistofolo se charge si plaisamment de faire à la meunière les déclarations d'amour du gouverneur et du seigneur féodal, ses rivaux.
La manière bien remarquable de Paisiello est de répéter plusieurs fois le même trait de chant, et à chaque fois avec des grâces nouvelles qui le font entrer de plus en plus avant dans l'âme du spectateur.
Rien au monde n'est plus opposé au style de Cimarosa, étincelant de verve comique, de passion, de force et de gaieté. Rossini aussi se répète, mais ce n'est pas exprès; et ce qui fait le comble de la grâce chez Paisiello, est en lui belle paresse incarnée. Je me hâte d'ajouter, de peur qu'on ne me range avec les détracteurs de cet homme aimable, que, seul parmi les modernes, il a mérité d'être comparé aux deux grands maîtres qui cessèrent de briller vers le commencement du XIXe siècle. En connaissant mieux le style de ces grands artistes, nous serons tout étonnés un beau jour de sentir et de voir dans leur musique des choses dont nous ne nous doutions pas auparavant. Réfléchir sur les beaux-arts fait sentir.
II
DIFFÉRENCE DE LA MUSIQUE ALLEMANDE ET DE LA MUSIQUE D'ITALIE
En musique, on ne se rappelle bien que les choses que l'on peut répéter; or un homme seul se retirant chez lui le soir, ne peut pas répéter de l'harmonie avec sa voix seule.
Voilà sur quoi est basée l'extrême différence de la musique allemande et de la musique italienne. Un jeune Italien plein d'une passion, après y avoir réfléchi quelque temps en silence, pendant qu'elle est plus poignante, se met à chanter à mi-voix un air de Rossini, et il choisit, sans y songer, parmi les airs de sa connaissance, celui qui a quelque rapport à la situation de son âme; bientôt, au lieu de le chanter à mi-voix, il le chante tout haut, et lui donne, sans s'en douter, l'expression particulière de la nuance de passion qu'il endure. Cet écho de son âme le console; son chant est, si l'on veut, comme un miroir dans lequel il s'observe: son âme était irritée contre le destin, il n'y avait que de la colère; elle va finir par avoir pitié d'elle-même.
A mesure que le jeune Italien se distrait par son chant, il remarque cette couleur nouvelle qu'il donne à l'air qu'il a choisi; il s'y complaît, il s'attendrit. De cet état de l'âme à écrire un air nouveau, il n'y a qu'un pas; et comme le climat et leurs habitudes ont donné aux habitants de l'Italie méridionale une voix très-forte, le plus souvent ils n'ont pas besoin de piano pour composer7. J'ai connu vingt jeunes gens à Naples qui écrivent un air avec aussi peu de prétention qu'à Londres on fait une lettre ou à Paris un couplet. Souvent en rentrant chez eux le soir, ils se mettent au piano, et, sous ce délicieux climat, passent une partie de la nuit à chanter et à improviser. Leur esprit est à mille lieues de songer à écrire et à la gloriole d'auteur; ils ont donné jour à la passion qui les anime, voilà tout leur secret, voilà tout leur bonheur. En Angleterre, un jeune homme, dans des circonstances semblables, aurait lu jusqu'à une heure ou deux quelque auteur favori, mais il aurait moins créé que le Napolitain, son âme aurait été moins active; donc il a eu moins de plaisir. Il n'y a plus de distraction possible dès qu'on improvise au piano, et l'on ne songe qu'à l'expression;