de nouveau d'Italie, et si le code de Justinien en bannit enfin les lois bavaroises, lombardes et tudesques, qui y avaient régné tour-à-tour, on le dut peut-être au soin que prit Mathilde de faire revoir ce code et d'engager par des récompenses un jurisconsulte célèbre à cet utile travail 194.
Enfin des divers ports d'Italie, on commençait à naviguer chez des nations étrangères; on rapportait des connaissances acquises et le désir d'en acquérir de nouvelles. On trouvait en Orient les lettres et quelques parties de la philosophie, jouissant encore d'une sorte d'honneur; on voyait fleurir en Espagne, parmi les Maures, dont la domination y était alors prospère et fastueuse, une littérature nouvelle, l'étude et l'admiration des sciences et de la philosophie grecque; et l'on revenait de Constantinople avec des manuscrits grecs, et d'Espagne avec des manuscrits arabes, soit originaux dans cette langue, soit traduits du grec.
Ce fut par des traductions de cette espèce qu'Hippocrate commença d'être connu; que ses ouvrages et d'autres, tant grecs qu'arabes, sur la médecine, se répandirent dans l'Italie méridionale. Ils y furent apportés et interprétés par un aventurier savant et laborieux, nommé Constantin, et donnèrent naissance à la fameuse école de Salerne, ou du moins commencèrent sa célébrité. On en fait remonter beaucoup plus haut l'existence. Ce qu'il y a de certain, c'est que, dès la fin du dixième siècle, on allait à Salerne consulter sur ses maladies et rétablir sa santé. Un historien du douzième siècle (Orderic Vital), parle aussi de cette école de médecine, comme étant déjà fort ancienne. L'opinion la plus probable est que les Arabes ou Sarrazins, qui occupèrent une grande partie de ces provinces, y apportèrent leurs sciences et leurs livres, parmi lesquels il s'en trouvait beaucoup de médecine. Ils réveillèrent dans ces contrées le goût pour cette science, et l'arrivée de Constantin y donna une nouvelle activité.
Il était Africain et né à Carthage. L'ardeur de s'instruire dans toutes les sciences le conduisit chez tous les peuples qui les cultivaient alors. Il étudia long-tems à Bagdad, où il apprit la grammaire, la dialectique, la physique, la médecine, l'arithmétique, la géométrie, les mathématiques, l'astronomie, la nécromancie, la musique des Caldéens, des Arabes, des Persans et des Sarrazins. De là il passa dans les Indes, et s'instruisit encore de toutes les sciences de ces peuples. Il en fit autant en Égypte. Enfin, après 39 ans de voyages et d'études, il revint à Carthage. La science presque universelle, qui lui avait coûté tant de peines à acquérir, le fit prendre dans son pays, comme Gerbert dans le nôtre, pour un magicien. On voulut se défaire de lui; il le sut, prit la fuite et passa secrètement à Salerne. Il y obtint la faveur du fameux prince normand, Robert Guiscard. Mais ensuite dégoûté du monde, il se retira au Mont Cassin, où il prit l'habit religieux. Il s'y occupa le reste de sa vie à traduire de l'arabe, du grec et du latin des livres de médecine, et à en composer lui-même. Ils lui firent alors une grande réputation 195. Ils répandirent de plus en plus à Salerne la passion pour la médecine, et les moyens de la mieux étudier. C'est dans ce sens que Constantin peut être regardé comme l'un des créateurs de cette école, comme l'une des causes de sa célébrité, et que l'on peut voir aussi dans les Arabes, de qui il avait tant appris, une influence favorable à la renaissance des lettres. Ces mêmes Sarrazins que nous n'avons nommés jusqu'ici que comme des barbares, destructeurs actifs des lumières partout où ils étendaient leurs conquêtes, nous les voyons donc figurer ici parmi les causes qui rallumèrent le flambeau qu'ils avaient ailleurs contribué à éteindre; et bientôt nous fixerons plus spécialement notre attention sur cette révolution particulière, qui se fait apercevoir dans la grande révolution générale.
Quant aux Grecs de Constantinople, après un long sommeil, les sciences et les lettres semblaient aussi renaître parmi eux. Pendant le huitième siècle, les sanglantes querelles entre les iconoclastes et les adorateurs des images, avaient servi de prétexte à la destruction des monuments des arts et des lettres, et détourné de plus en plus des études utiles et paisibles, par des argumentations bruyantes, soutenues à main armée. Mais au neuvième, après que la dynastie des Basilides eût renversé la race Isaurienne, qui avait remplacé les descendants d'Héraclius, les esprits, ayant repris un peu de calme, se reportèrent vers les études.
Ils y furent excités par un nouveau mobile. Lorsque les Arabes, destructeurs des écoles d'Athènes et d'Alexandrie, rassasiés de conquêtes sanglantes, et voulant en faire de plus douces, recherchèrent ces mêmes productions de l'ancienne Grèce, qu'ils avaient autrefois livrées aux flammes, les Grecs, qui les avaient eux-mêmes oubliées depuis long-temps 196, rapprirent à en connaître le prix. Occupés de les copier et de les vendre, ils voulurent aussi les étudier. Quelques écoles furent rétablies, et le peu d'hommes qui cultivaient encore, dans l'obscurité, les lettres et la philosophie, furent encouragés et honorés.
Le savant patriarche Photius, célèbre par le schisme dont il fut la cause, et qui, sans changer d'opinion, fut excommunié par un grand concile, absous par un autre, et derechef excommunié par un troisième, fut l'homme le plus éclairé et le plus éloquent de son siècle; il eut pour élève un empereur qui s'honora du surnom de Philosophe 197; et il nous a laissé dans son ouvrage, connu sous le titre de Bibliothèque, des preuves de son amour pour l'étude, de son savoir, et de l'indépendance de son esprit. Vers le même temps, ou un peu plus tard, dans le dixième siècle, Suidas écrivit le plus ancien Lexique qui nous soit parvenu, nécessaire pour l'intelligence des anciens classiques grecs, et qui contient un grand nombre de fragments d'auteurs qui auraient aussi été classiques, mais que le temps a dévorés. Ils existaient encore alors: la Bibliothèque de Photius nous l'atteste. Constantinople possédait l'histoire de Théopompe, les oraisons d'IIyperide, les comédies de Ménandre, les odes d'Alcée et de Sapho, et les ouvrages d'une foule d'autres auteurs, poètes, orateurs, historiens, philosophes, que nous n'avons plus.
Constantin Porhyrogénète suivit la route que son père, Léon-le-Philosophe, lui avait tracée, et s'y avança plus loin que lui. Ce fut un homme de lettres sur le trône. Il a laissé plusieurs ouvrages, l'un sur l'administration de l'Empire, l'autre contenant une description de ses provinces, un troisième sur la tactique et les opérations militaires. Le quatrième est un assez gros livre sur un sujet moins important, sur le cérémonial de la cour de Bysance; mais enfin il cultiva les lettres, la musique, la peinture; et lorsque Romain Lecapenus l'eut renversé du trône, où il remonta ensuite, il sut, dit-on, se faire une ressource de ses talents et de la vente de ses tableaux; ressource que peu de Souverains pourraient se procurer en pareil cas.
Ce fut vers lui que fut envoyé en ambassade, par Bérenger II, roi d'Italie, un jeune littérateur, devenu depuis un historien de quelque célébrité. Liutprand, dont c'est ici l'occasion de parler, était né à Pavie, d'un père qui avait été député vers la même cour par le roi Hugues, prédécesseur de Bérenger. Hugues conserva au fils la protection qu'il avait accordée au père. Les talents qu'annonçait le jeune Liutprand, favorisèrent ces dispositions, surtout la beauté de sa voix, que ce roi, qui aimait la musique, se plaisait beaucoup à entendre. Quand Bérenger, marquis d'Ivrée, eut forcé Hugues à lui céder son trône, il garda auprès de lui Liutprand, le fit son secrétaire, et l'envoya quelques années après 198, à Constantinople, en qualité d'ambassadeur. Liutprand profita de cette mission pour apprendre le grec, et ce fut à peu près tout le fruit qu'il en retira. De cette haute faveur où il était, il tomba tout-à-coup dans la disgrâce, et fut obligé de se retirer en Allemagne. C'est dans cet exil qu'il composa l'histoire de son temps 199. Il était alors chanoine de l'église de Pavie, titre qu'il prend au commencement de chacun des livres de son histoire. Elle est écrite avec esprit, en latin meilleur que celui des autres écrivains du dixième siècle, et avec une petite pointe de malignité satirique, qui passe même la mesure quand il est question de Bérenger et de sa femme. L'accueil distingué que Liutprand reçut de Constantin Porphyrogénète, fut accordé à son mérite autant qu'à son titre; et il nous a laissé, outre l'histoire dont on vient de parler, une relation piquante de son voyage et de son ambassade 200,