Stendhal

La vie de Rossini, tome II


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valet de chambre Dandini habillé en prince,

      Come il ape ne'giorni d'aprile,

      est extrêmement piquante. Ici le style d'antichambre est à sa place; il y a juste dans la musique, comme dans le libretto, ce vernis léger de vulgarité nécessaire pour rappeler l'état de Dandini, mais il ne choque pas. Dans Cimarosa, nous voyons plutôt les passions des personnages subalternes que les habitudes sociales que leur a fait contracter leur position dans la société; seulement leurs passions sont contrariées par les circonstances d'une position inférieure.

      Cette cavatine, qui sert de concerto à une belle voix de basse, est souvent chantée à Paris, d'une manière délicieuse, par l'excellent Pellegrini: il dit avec une grâce infinie et avec des fioriture tout à fait séduisantes:

      Galoppando s'en va la ragione

      E fra i colpi d'un doppio cannone

      Spalancato è il mio core di gia,

      (Ma al finir della nostra commedia…)

      La rapidité du chant de ce dernier vers est entraînante. L'auteur italien (le signor Feretti, Romain) a eu le bon esprit, comme on voit, de ne pas copier l'esprit français de son original, il lui a fallu du courage. On sait assez que Cendrillon est l'un des plus jolis ouvrages de M. Etienne.

      Après les idées, sinon basses, du moins extrêmement vulgaires que cet opéra nous a présentées jusqu'ici, et dont Rossini a plutôt forcé que modéré la couleur, l'âme est rafraîchie par le jeu de madame Pasta et sa passion enfantine lorsque, courant après son père, qu'elle retient par la basque de son habit brodé, elle lui chante:

      Signor, una parola!

      J'avoue que ce quintetto me fait un grand plaisir; j'ai besoin de quelque chose de noble en musique comme en peinture, et j'ai l'honneur d'être, pour les Téniers, de l'avis de Louis XIV.

      Il fallait le jeu de madame Pasta pour que je puisse pardonner la trivialité du chant

      La belle Venere

      Vezzoza, pomposetta!

      Ce coloris déplaisant disparaît tout à coup dans

      (Ma vattene) Altezzissima!

      La passion se montre chez don Magnifico et à l'instant je ne vois plus la trivialité de ses habitudes. La belle voix de Galli est ravissante à cet instant.

      Il y a un chant fort agréable, quoique encore un peu vulgaire, sur les paroles:

      Nel volto estatico

      Di questo è quello.

      La sortie de don Magnifico, dans la scène suivante, offrait encore à Galli une occasion de faire admirer sa superbe voix dans le vers

      Tenete allegro il re: vado in cantina8.

      Jouant un peu sur le mot cantina (cave), sa voix magnifique descendait jusqu'au la d'en bas.

      Le finale du premier acte, qui débute par un chœur des courtisans du prince, qui ramènent don Magnifico de la cave, à demi ivre, et qui continue par l'air de don Magnifico, est tout à fait dans l'ancien style bouffe de Cimarosa, à la passion près. Je n'ai déjà que trop répété, peut-être, que l'absence de la passion dans les personnages bas laisse paraître tout à coup ce que leur état peut avoir de dégoûtant, et j'avoue que je ne puis pas revoir deux fois Tiercelin dans le Coin de Rue ou dans l'Enfant de Paris.

      Dans l'air de don Magnifico:

      Noi don Magnifico,

      la passion est remplacée, comme de coutume, par l'esprit, et l'esprit, en musique, n'empêche pas toujours d'être un peu plat. Il n'y a que de beaux sons dans cet air, je n'y trouve ni verve ni génie; or, il me semble que la farce n'admet pas la médiocrité. En revanche, le duetto qui suit est entraînant; on disait à Trieste que c'était le chef-d'œuvre de la pièce. Ramire demande à Dandini, son valet de chambre, déguisé en prince, ce qu'il lui semble du caractère des deux filles du baron:

      Zitto, zitto; piano, piano.

      La partie du ténor (Ramire) est d'une fraîcheur délicieuse et tout à fait d'accord avec les sentiments d'un jeune prince à qui l'enchanteur qui le protège a révélé qu'une des filles du baron est digne de tous ses vœux: l'enchanteur veut parler de Cendrillon. La rapidité et la vivacité de ce duetto sont inimitables: c'est un feu d'artifice. Jamais la musique n'a lancé avec cette rapidité et ce succès des sensations nouvelles et piquantes sur l'âme des spectateurs.

      L'homme dans une situation ordinaire, qui assiste à ce duetto, ne peut pas s'empêcher d'être gai; il se sent venir à l'esprit les idées les plus bouffonnes, ou plutôt il se sent ravir par le bonheur que donnent ces idées quand on les goûte. Le quartetto qui se forme par l'arrivée des deux sœurs a des passages jolis et d'une grande vérité dramatique:

      Con un anima plebea!

      Con un aria dozzinale!

      Il y a de la grâce et surtout beaucoup d'esprit dans l'air de la Cenerentola à son entrée dans le salon:

      Sprezza quei don che avversa.

      Le second acte s'ouvre par un air de don Magnifico, dans lequel il nous dit que, lorsqu'une de ses filles sera l'épouse du prince, les revenants-bons pleuvront chez lui:

      Già mi par che questo e quello

      Confinandomi a un cantone

      E cavandosi il cappello

      Incominci: Ser barone

      Alla figlia sua reale

      Porterebbe un memoriale?

      Prendrà poi la cioccolata,

      È una doppia ben coniata.

      Faccia intanto scivolare

      Io rispondo: Eh si vedremo;

      Già è di peso9? parleremo…

      L'air de Ramire, quand il est amoureux et qu'il jure de trouver sa belle.

      Se fosse in grembo a Giove10,

      est agréable et fort piquant; c'est un morceau brillant pour une jolie voix de ténor, cela est admirable dans un concert: sur quoi j'observerai que les imitateurs de Rossini ont bien pris sa rapidité, chose facile à copier en musique, mais ils n'ont jamais pu imiter son esprit.

      Le duetto qui suit,

      Un segreto d'importanza,

      est la perfection de l'art d'imiter. Très-probablement ce duetto n'existerait pas sans celui du second acte du Matrimonio segreto:

      Se fiato in corpo avete.

      Et cependant, même quand on sait par cœur le duetto du Mariage secret, on entend encore celui-ci avec un plaisir infini. Mon assertion peut se vérifier à Paris; ce duetto est supérieurement chanté par Zuchelli et Pellegrini. Les mots

      Son Dandini, il cameriere!

      font toujours rire, par l'extrême vérité dramatique et par le malheur subit de la grosse vanité du baron.

      Que ne puis-je donner au lecteur l'esquisse la plus légère de l'effet que le délicieux bouffe Paccini, chargé du rôle de Dandini, produisait à Trieste! Il fallait le voir jouissant de la sottise du baron lorsqu'ils paraissaient ensemble pour le duetto, l'observant du coin de l'œil sans qu'il y parût, mais tellement attentif à l'observer, qu'en s'asseyant il était toujours sur le point de manquer sa chaise et de tomber à terre; il fallait le voir s'efforçant, mais en vain, de dissimuler le rire fou qui le saisit quand il s'aperçoit de l'importance que le baron attache à la confidence qu'il va lui faire; alors, détournant la tête pour cacher son rire, lequel mouvement désespérait le baron, comme signe de disgrâce de la part du prince, et ensuite, au premier