George Gordon Byron

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8


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les Dix réunis au Doge décidèrent de sa perte? Le lendemain, à l'heure du crépuscule, Carmagnuola rencontre le Doge, et lui demande, en plaisantant, s'il doit lui souhaiter le bonjour ou le bonsoir. Sa seigneurie répondit qu'en effet il avait veillé toute la nuit dernière: «Et, ajouta-t-il avec le plus gracieux sourire, dans cette nuit il a souvent été question de vous 3.» Il disait vrai; on y avait résolu la mort de Carmagnuola huit mois avant sa mort. Et cependant le vieux Doge, qui connaissait l'arrêt, l'accueillait avec une hypocrite bienveillance avant l'exécution; – certes, quatre-vingts années peuvent seules apprendre une pareille dissimulation. Le brave Carmagnuola est mort; le jeune Foscari et ses frères le sont également: – jamais ils ne m'ont fait sourire.

BARBARIGO

      Étiez-vous donc l'ami de Carmagnuola?

LORÉDANO

      Il était la sauve-garde de Venise. Dans sa jeunesse, il avait été son ennemi; mais dans sa virilité il fut son sauveur d'abord, et puis sa victime.

BARBARIGO

      Tel est le châtiment de ceux qui sauvent les républiques. Celui que nous poursuivons maintenant, non-seulement a sauvé la nôtre, il en a réduit d'autres sous son pouvoir.

LORÉDANO

      Les Romains (et nous sommes leurs émules) donnaient une couronne à qui prenait une ville: ils en donnaient également une à celui qui parvenait à sauver un citoyen dans le combat. La récompense était la même. Que si nous comparons aujourd'hui le nombre des cités prises par le Doge Foscari, à celui des citoyens mis à mort par lui, ou durant son gouvernement, la balance sera terriblement contre lui, quand on se bornerait aux désastres particuliers, nés de sa haine pour mon malheureux père.

BARBARIGO

      Ainsi vous êtes inébranlable?

LORÉDANO

      Qui donc aurait pu m'ébranler?

BARBARIGO

      Ce qui m'a ébranlé moi-même. Pour vous, je le sais, vous êtes de marbre dans votre haine. Mais quand tout sera accompli, quand le vieillard sera déposé, son nom flétri, sa famille déshonorée, tous ses enfans morts, vous et les vôtres triomphans, comment dormirez-vous?

LORÉDANO

      Plus profondément.

BARBARIGO

      Vous vous abusez, et vous serez forcé de le reconnaître avant de vous assoupir près de vos pères.

LORÉDANO

      Ils ne sommeillent pas dans leurs tombes prématurées; ils ne le veulent pas tant que Foscari ne remplit pas la sienne. Chaque nuit je les vois se lever en sourcillant autour de ma couche, désigner le palais ducal, et m'exhorter à la vengeance.

BARBARIGO

      Erreur de l'imagination! Aucune passion n'évoque comme la haine les spectres et les fantômes; l'amour lui-même ne peuple pas les airs d'illusions comme cette maladie du cœur.

(Un officier entre.)LORÉDANO

      Où allez-vous?

OFFICIER

      Disposer, par l'ordre du Doge, la cérémonie des funérailles du dernier Foscari.

BARBARIGO

      Depuis quelques années les voûtes de leur sépulture se sont ouvertes bien souvent.

LORÉDANO

      Elles seront bientôt comblées, et cesseront à jamais de s'ouvrir.

OFFICIER

      Puis-je continuer?

LORÉDANO

      Passez.

BARBARIGO

      Mais comment le Doge supporte-t-il cette dernière calamité?

OFFICIER

      Avec une fermeté désespérée. Il parle peu en présence de témoins, mais j'ai vu ses lèvres s'entr'ouvrir de tems en tems; une ou deux fois même je l'ai entendu, de l'appartement voisin, murmurer ces paroles: Mon fils! Je dois m'éloigner.

(L'officier sort.)BARBARIGO

      Cette catastrophe va mettre tout Venise de son côté.

LORÉDANO

      Sans doute. Il faut nous hâter: réunissons les membres délégués pour faire connaître la résolution du conseil.

BARBARIGO

      Je proteste dès maintenant contre elle.

LORÉDANO

      À votre aise: – je n'en recueillerai pas moins les voix; et voyons qui de nous deux aura le plus d'influence sur les esprits.

(Sortent Barbarigo et Lorédano.)

      FIN DU QUATRIÈME ACTE.

      ACTE V

SCÈNE PREMIÈRE(Les appartemens du Doge.)LE DOGE, DOMESTIQUEDOMESTIQUE

      Monseigneur, la députation attend; mais elle ajoute que si vous désiriez la recevoir à une autre heure elle attendrait votre plaisir.

LE DOGE

      Pour moi toutes les heures sont égales. Qu'ils entrent.

(Le domestique sort.)OFFICIER

      Prince! j'ai rempli votre ordre.

LE DOGE

      Quel ordre?

OFFICIER

      Un bien triste. – J'ai disposé le convoi de-

LE DOGE

      Oui-oui-oui, – pardon. Je commence à perdre la mémoire; je me fais trop vieux, – aussi vieux que l'annoncent mes années. Jusqu'à présent j'avais lutté contre elles; mais elles commencent à l'emporter sur moi.

(Entre la députation composée de six de la seigneurie et du chef des Dix.)LE DOGE

      Soyez les bien-venus, nobles seigneurs!

LE CHEF DES DIX

      Avant tout, le conseil partage avec le Doge le chagrin de son dernier malheur privé.

LE DOGE

      Assez-assez de cela.

LE CHEF DES DIX

      Le Doge refuse-t-il cet hommage de respect?

LE DOGE

      Je le reçois comme on le présente. – Poursuivez.

LE CHEF DES DIX

      Les Dix, réunis à une giunta tirée du sénat, et composée de vingt-cinq des plus nobles patriciens, ayant délibéré sur l'état de la république, et sur les soucis qui, en ce moment, doivent doublement oppresser vos années depuis si long-tems dévouées à la patrie, ont jugé convenable de solliciter humblement de votre sagesse (qui ne pourra s'empêcher d'y consentir) la résignation de l'anneau ducal, que vous avez si long-tems et si glorieusement porté. Et pour témoigner qu'ils ne sont ingrats ni insensibles envers vos années et vos services, ils vous destinent un apanage de deux mille ducats d'or, pour entourer votre retraite d'un éclat digne de celle d'un prince.

LE DOGE

      L'ai-je bien entendu?

LE CHEF DES DIX

      Ai-je besoin de répéter?

LE DOGE

      Non. – Avez-vous fait?

LE CHEF DES DIX

      J'ai parlé. Vingt-quatre heures vous sont accordées pour rendre réponse.

LE DOGE

      Je n'aurais pas besoin du même nombre de secondes.

LE CHEF DES DIX

      Nous n'avons plus qu'à nous retirer.

LE DOGE

      Restez! vingt-quatre heures ne changeront rien à ce que j'ai à dire.

LE CHEF DES DIX

      Parlez!

LE DOGE

      Quand par deux fois j'ai exprimé le vœu d'abdiquer, on m'en a refusé la liberté; et non-seulement on me l'a refusée, mais vous m'avez arraché le serment de ne plus jamais à l'avenir renouveler cette demande. J'ai alors juré de mourir dans l'exercice des fonctions que ma patrie m'avait ici confiées; je dois écouter la voix de l'honneur, de ma conscience: – je ne puis violer mon serment.

LE CHEF DES DIX

      Ne nous réduisez pas à recourir à la nécessité d'un décret, à défaut de votre assentiment.

LE DOGE

      La Providence se plaît à prolonger