Gautier Théophile

Victor Hugo


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l'attendons dans Marion Delorme, avec la plus vive impatience. N'oublions pas Ligier, qui a été très convenable dans tout son rôle, et qui a particulièrement bien dit le grand monologue.

      IX

      DÉBUTS DE MADEMOISELLE EMILIE GUYON DANS HERNANI

(THÉÂTRE-FRANÇAIS)15 juin 1841.

      Hernani est toujours pour nous le drame de Victor Hugo que nous préférons, non pas que nous pensions, comme M. de Salvandy, que l'illustre poète n'ait rien fait qui vaille depuis sa pièce couronnée aux Jeux floraux: mais Hernani réveille en nous de tels souvenirs d'enthousiasme et de jeunesse, qu'il nous est impossible de ne pas avoir pour lui quelque partialité. C'était un beau temps que celui-là! Un temps de lutte, de passion, d'enivrement et de fanatisme; jamais la querelle littéraire ne fut débattue plus vivement. Les représentations étaient de vraies batailles rangées: on sifflait, on applaudissait avec fureur; chaque vers était pris et repris, on combattait des heures entières pour le moindre hémistiche. Un jour, les romantiques emportaient le vieillard stupide; l'autre jour les classiques, que ce mot choquait particulièrement comme une allusion personnelle, le reprenaient à l'aide d'une supérieure artillerie de sifflets. Nous avons assisté pour notre compte à plus de quarante représentations consécutives d'Hernani; nous allions là par bandes, tous fous de poésie, d'amour de l'art, fanatiques comme des Turcs, et prêts à tout faire pour notre Mahomet. Nous entrions dès trois heures, nous attendions le lever du rideau en nous récitant des tirades de la pièce, que nous savions mieux que les acteurs. C'était charmant! On demandait, par-ci par-là, la tête de quelque académicien. Qui eût dit alors que notre chef passerait à l'ennemi et serait académicien lui-même! Et l'on battait un peu les bourgeois, qui ne comprenaient pas. Nous avions, d'ailleurs, la mine singulièrement farouche avec nos barbes, nos moustaches, nos royales, nos cheveux mérovingiens, nos chapeaux excessifs, nos gilets de couleur féroce. Certes, tout cela peut sembler ridicule aujourd'hui; mais c'était une belle chose que toute cette jeunesse ardente, passionnée, combattant pour la liberté de l'esprit, et introduisant de force dans le temple de Melpomène la muse moderne dont Victor Hugo était, à cette époque le prêtre le plus fidèle; une chose encore distingue cette époque: c'est l'absence d'envie et de jalousie littéraires; l'on s'aimait et l'on s'admirait franchement: dès que l'on avait fait une pièce de vers, ou un sonnet, on courait les montrer aux camarades, on se félicitait, on se complimentait: et certes il y avait de quoi, car la poésie, enterrée par les versifications de l'Empire, venait enfin de ressusciter.

      Nous avions raison, cependant, nous les jeunes fous, les enragés qui faisions de si belles peurs aux membres de l'Institut, tout inquiets dans leurs stalles; Hernani n'est interrompu aujourd'hui que par les applaudissements; cette passion si chaste et si dévouée, cette couleur romanesque et sauvage, cette fierté héroïque et castillane dont Victor Hugo semble avoir dérobé le secret à Corneille, tout cela a été compris et senti admirablement par cette même foule qui repoussait autrefois le poète au nom d'Aristote, qu'elle n'a jamais lu.

      Mademoiselle Émilie Guyon, jeune et belle personne que le public avait déjà eu occasion d'applaudir dans la Fille du Ciel, de M. Casimir Delavigne, débutait par le rôle de doña Sol où Mademoiselle Mars et Madame Dorval avaient déjà montré un talent si brillant et si divers; elle a bien compris la physionomie de cette figure profondément espagnole, passionnément calme, hautaine, et douce, fière et tendre à la fois, qui s'honore de l'amour d'un banni et s'offense du caprice d'un' roi. Son costume de velours, noir et or, semble dérobé à un portrait de Zurbarán et lui sied à ravir. Beauvallet, qui manque peut-être de suavité dans les portions amoureuses de son rôle, a parfaitement rendu l'âpre mélancolie, la majesté sauvage et l'allure romanesque du chef de montagnards: il est, sous ce rapport, bien supérieur à Firmin. Guyon n'a qu'un défaut dans le Ruy Gomez de Silva, c'est qu'il est trop vert encore sous ses cheveux blancs, sa belle voix, sonore et vibrante comme un timbre de cuivre, a de la peine à imiter le chevrotement de la sénilité. À part ce défaut que nous lui pardonnons bien volontiers, et dont il n'est pas responsable, il a été simple, majestueux, et bon … Quant à Ligier, c'est un tragédien d'un grand talent sans doute, mais il nous est impossible de le prendre, ne fût-ce qu'un instant, pour le jeune roi don Carlos, avec sa barbe rousse et sa lèvre autrichienne.

      X

      REPRISE D'HERNANI

12 février 1844.

      On a repris cette semaine Hernani à la Comédie-Française. Le chef-d'œuvre du maître, cet admirable poème dramatique interprété par Ligier, Guyon, Beauvallet et Madame Mélingue qui prenait possession du rôle de doña Sol, a été accueilli, nous ne dirons pas seulement avec attention et respect, mais avec le plus vif enthousiasme. Pour ceux qui comme nous ont assisté aux luttes des premières représentations, où chaque mot soulevait une tempête, où chaque vers était disputé pied à pied, c'est à coup sûr une chose merveilleuse que de voir aujourd'hui toutes les pensées, toutes les intentions du poète unanimement comprises et applaudies. Pourquoi donc, si ce n'est sous prétexte de longueurs, Messieurs les comédiens ont-ils cru devoir écourter la magnifique apostrophe de don Ruy Gomez, au premier acte la scène des tableaux, le monologue de Charles-Quint, etc.? Ne serait-ce pas, au contraire, le moment de rétablir le texte primitif, de jouer la pièce telle que l'auteur l'avait d'abord conçue et qu'elle se trouve imprimée dans la Bibliothèque Charpentier? Les tragédies classiques nous amusent médiocrement, on le sait; à notre avis, les plus courtes sont tes meilleures, mais, lorsqu'on fait tant que de les représenter, nous les voulons entières, et toutes les modifications qu'on s'aviserait d'y introduire au nom d'un prétendu bon goût nous paraîtraient sacrilèges. A plus forte raison devons-nous protester contre les mutilations qu'on a fait subir à Hernani. La pièce est très bien jouée, du reste, par Ligier, Guyon et Beauvallet, qui ont tort de reculer devant certaines parties de leurs rôles; c'est vraiment trop modeste à eux. Madame Mélingue a parfaitement saisi le côté pathétique du rôle de doña Sol; le cinquième acte surtout a été pour elle un triomphe; il lui a valu presque une ovation de la part des habitués, de de l'orchestre, fort prévenus, comme on sait, contre tout ce qui vient du Boulevard. Encore quelques succès pareils, et Madame Mélingue aura, nous l'espérons, complètement lavé sa tache originelle.

      XI

      REPRISE D'HERNANI

10 mars 1845.

      La reprise Hernani attire la foule au Théâtre-Français; on écoute avec admiration, avec recueillement ce beau drame qui ressemble à une tragédie de Corneille non retouchée par MM. Andrieux ou Planat.

      Quand on songe aux tumultes, aux cris, aux rages de toutes sortes soulevés par cette pièce, il y a dix ans, on est tout étonné que la postérité soit venue si vite pour elle; on y assiste comme à un des chefs-d'œuvre de nos grands maîtres, et chaque spectateur achève lui-même le vers commencé par l'acteur. Cet Hernani, si sauvage, si féroce, si baroque, si extravagant, qui a fait soupçonner M. Hugo de cannibalisme par les bonnes têtes de l'époque, est aujourd'hui une œuvre calme, sereine, se mouvant et planant comme l'aigle des montagnes dans cette région d'azur éternel et de neige immaculée que le fumier et les brouillards ne peuvent atteindre. On en met des morceaux dans les cours de littérature, et les jeunes gens en apprennent des tirades pour se former le goût. C'est maintenant une pièce classique.

      Une chose qui pourrait donner un nouvel attrait à ces représentations, qui certes n'en ont pas besoin, ce serait de jouer la pièce dans son intégrité, telle que l'auteur l'a écrite. Le public est assez mûr pour applaudir ce qu'il aurait sifflé autrefois. Pourquoi ne restituerait-on pas au rebelle Hernani quelques détails caractéristiques effacés à regret par le poète? Pourquoi ne rendrait-on pas à don Carlos son sublime monologue et ces beaux vers qui n'ont jamais été prononcés à la scène:

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