Various

Choix de contes et nouvelles traduits du chinois


Скачать книгу

celui d'un paravent enrichi de mille couleurs. Partout on voyait des plantes rares, et l'une était à peine fanée qu'une autre commençait à s'ouvrir.

      En face du soleil était disposée une porte en bois à deux battants; après avoir passé cette porte, on trouvait une double haie de bambous, aux deux côtés de laquelle s'élevait une rangée de cyprès, très rapprochés, pour servir d'abri. Cette allée conduisait à trois salles couvertes en chaume; mais malgré ces grossiers éléments, elles étaient élevées, spacieuses, bien aérées, et recevaient des fenêtres une lumière abondante. Dans l'appartement principal était suspendu un petit tableau sans nom d'auteur; les lits, les tables et les autres meubles, tous en bois uni, se faisaient remarquer par un brillant et une propreté extraordinaires: on eût balayé le sol sans rencontrer un atome de poussière. Par-derrière, il y avait encore d'autres jolis petits appartements, dont la chambre à coucher faisait partie.

      Or, comme nous l'avons dit, toutes les fleurs sans exception décoraient ce jardin, elles y brillaient en abondance; dans les quatre saisons elles se succédaient à l'envi, et les huit divisions de l'année n'étaient qu'un éternel printemps. On y voyait donc:

      «Le prunier qui lève une tige luisante; la vanille dont le parfum se trahit dans l'ombre; le thé qui inspire de belles rimes, le prunier sauvage qui secoue peu à peu sa riche parure; l'amandier dont les pluies printanières doublent l'éclat; la matricaire qui brave la rigueur des gelées; l'immortelle des eaux à l'écorce glacée, au corps de jade; la pivoine, ornement de la terre, et dont l'arôme vient des cieux; l'hémérocalle toujours debout sur les degrés de marbre; le lotus argenté, abondant au milieu des bassins; la pæonia dont rien n'égale le parfum et la beauté; la grenade fière et pompeuse qui n'a pas de rivale; la canelle qui exhale au souffle de la brise une odeur dérobée à la lune; l'hibiscus à la grâce sévère comme les bords neigeux du fleuve Kiang; le poirier à la fleur pure et blanche ainsi que la lune au milieu de la nuit; le pêcher aux pétales rouges, éclatant comme s'ils reflétaient le soleil; la mussænda dont les boutons, pareils à des diamants, sont nommés précieux; le calycanthe qui embaume avec son calice ouvert en carré comme la clochette de pierre; le poirier du Japon, souverain dans les palais de l'occident; le daphné, si beau avec ses bordures dorées; la rose panachée, l'azalea pareils à des écharpes aux nuances vaporeuses, la petite prune Yo-Ly, surnommée le ballon de soie brodée.

      On ne saurait décrire toutes ces plantes, ces arbres mêlant leurs magnifiques couleurs, ces mille fleurs qui répandent en foule leur éclat et leur parfum. »

      En dehors et précisément en face de cette haie, se trouvait un lac appelé Tchao-Tien-Hou (l'Etang du Soleil levant), et vulgairement, la Pièce d'eau du Nénuphar (Ho-Hoa-Tang). La perspective en était ravissante, en toutes saisons; que le soleil parût ou que la pluie tombât, c'était toujours même beauté. Tsieou-Sien avait amassé de la terre et formé une digue sur le rivage; là étaient plantés, dans toute la longueur du lac, des pêchers et des saules. A chaque retour du printemps, quand brillait le rouge des fleurs et le vert des feuilles, c'était un coup-d'œil aussi charmant que celui du lac Sy-Hou5. La rive était complètement entourée d'hibiscus; et au milieu des eaux apparaissaient des nénuphars magnifiques; quand ils venaient à s'épanouir, les fleurs, ouvertes par milliers, donnaient au lac l'aspect d'une nuée étincelante: c'était un parfum à enivrer les promeneurs.

      On allait dans de petits bateaux à rames cueillir des châtaignes d'eau, et la voix des chanteurs retentissait comme le bruit de la brise et des flots. Lorsqu'il s'élevait un vent oblique, les bateliers s'exerçaient volontiers à traverser le lac à la voile, et passaient d'une rive à l'autre, comme s'ils eussent eu des ailes. Sous les saules, les pêcheurs abritaient leurs barques et faisaient sécher leurs filets; ceux-ci se livraient à des jeux, ceux-là travaillaient aux instruments de la pêche; les uns, après avoir bu, se couchaient à la proue des nacelles, les autres se défiaient à la nage: le bruit joyeux des cris et des chants ne cessait jamais. Des passants, qui prenaient plaisir au milieu des nénuphars, se promenaient sur des bateaux peints, en jouant de la flûte, par troupes nombreuses; puis quand le ciel était devenu obscur, ils s'en retournaient en ramant; et les dix mille lumières de leurs lanternes étaient telles, qu'il était difficile de ne pas les confondre avec la clarté des étoiles et l'étincelle des vers luisants.

      Vers le milieu de l'automne, quand le vent qui porte la gelée a commencé à souffler, et que les arbres des forêts se teignent d'une nuance dorée et violette, les hibiscus et les saules du rivage, mêlés aux plantes de toutes couleurs, dérobaient aux regards les limites du lac. Au milieu des roseaux, les oies sauvages et les grues réunies en troupes poussaient leurs cris vers les nuages, et leurs voix tristes faisaient une impression profonde. Au temps de l'hiver, quand des nuées roses se pressent sur le ciel, la neige6 sautillait et dansait, le ciel et la terre se confondaient en une même teinte: c'était pendant toute l'année un ravissant paysage que les paroles ne peuvent exprimer.

      Il y a des vers qui en font foi:

      Dans le lac Tchao-Tien, les eaux semblent toucher la

      voûte des cieux;

      Sans que personne leur marque la mesure, les pêcheurs

      chantent en cueillant les lotus;

      Peu à peu une foule de plantes et de fleurs magnifiques

      s'y sont multipliées à l'infini;

      Chaque jour le maître du lieu vient se reposer en face de

      son jardin et de son lac.

      Mais rentrons dans les limites de notre récit. » – Tsieou-Sien, levé chaque jour de grand matin, lavait les fleurs et enlevait les feuilles tombées; il puisait de l'eau pour arroser, et vers le soir il les rafraîchissait une seconde fois. Y en avait-il une près de s'ouvrir, tout hors de lui, il chantait et dansait; tantôt il faisait chauffer une coupe de vin, tantôt il faisait bouillir une tasse de thé, et s'inclinant vers ses fleurs avec de profondes révérences, il faisait devant elles des libations, en répétant par trois fois: Fleurs, soyez heureuses! puissiez-vous vivre dix siècles! Ensuite, assis à leurs pieds, il vidait son verre en le savourant goutte à goutte. Lorsque le vin lui avait monté l'imagination, il chantait et sifflait au gré de sa fantaisie; puis, quand la fatigue le prenait, faisant d'une pierre son oreiller, il s'endormait à la racine de ses plantes. Ainsi, depuis le moment où le bouton se cache encore jusqu'à celui où il est bien ouvert, il demeurait à poste fixe dans son parterre: l'éclat trop vif du soleil desséchait-il une fleur, à l'aide d'un petit balai de millet, il l'aspergeait d'eau fraîche; lorsque la lune brillait, il passait toutes les nuits sans se coucher; et venait-il à souffler un vent nuisible, tombait-il une pluie violente, Tsieou-Sien endossait son habit d'écorce, déployait son parasol et parcourait le jardin pour tout examiner en détail; s'il y avait une branche lésée, il l'étayait avec un roseau; au milieu même de la nuit, il se relevait à plusieurs reprises pour faire son inspection.

      Quand enfin tout était passé, fané, c'étaient, pendant bien des jours, des soupirs qui allaient jusqu'aux larmes; il ne pouvait se séparer de l'objet de ses affections. Ramassant donc les fleurs tombées, il les essuyait délicatement avec le balai de millet, et les déposait sur des bassins de faïence; après en avoir bien nourri ses regards, jusqu'à ce qu'elles fussent entièrement desséchées, il les plaçait dans des cruches très propres, et faisait en leur honneur une seconde libation de thé et de vin. Comme il eût été trop cruel pour Tsieou-Sien de les jeter, il prenait alors avec tendresse ses cruches pleines, et les allait enfouir sous un grand amas de terre: il appelait cela «enterrer les fleurs ».

      Les pétales que la pluie avait salis, il les lavait trois ou quatre fois dans une eau limpide, et les plongeait ensuite respectueusement dans le lac: cela s'appelait «baigner les fleurs ».

      Monter sur les arbres et cueillir les branches fleuries, destinées à fructifier, voilà deux choses qui lui avaient toujours singulièrement déplu; et il avait coutume de formuler sa pensée par ce raisonnement: – Dans toute l'année, les fleurs n'ont qu'une fois à s'épanouir; sur quatre saisons, elles n'en prennent qu'une pour elles, et sur cette saison même il