Edmond de Goncourt

La maison d'un artiste, Tome 2


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de pourpre. Hercule. La tunique, la chaussure, la culotte de satin couleur de feu… Divinité Infernale. Un manteau de satin couleur de chair tannée, exprimée au dessin, à préférer à la couleur rouge employée à Paris.»

      Du reste, le pauvre diable de costumier fait tous ses efforts pour arriver à la couleur locale, il supplie M. de Zibel de supprimer les bas de soie blanche pour les soldats de la suite d'Hercule, et il lui prêche une révolution, l'engageant à remplacer sur les bras, supposés nus, les manches de taffetas couleur de chair et attachées avec des boutons, par un tricot.

      Et, à côté de ce manuscrit, voici le «Catalogue de vente des costumes, tableaux, dessins, gravures, composant le cabinet de feu François-Joseph Talma», où nous trouvons son costume de Néron dans «Britannicus»: Deux manteaux, l'un pourpre et l'autre bleu de ciel avec brocarts d'or; deux tuniques bourre de soie blanche brodées en or: deux mouchoirs blancs et une ceinture bleue rehaussée d'or. Le costume d'Othello était: «un habit de casimir écarlate orné de broderies et velours noir avec dessous en reps blanc enrichi d'or; autre gilet en drap de castor jaune, une ceinture et sa cordelière en soie avec brocarts d'or.»

      Les pièces de théâtre du dix-huitième siècle ne sont pas nombreuses chez moi. On y trouve un frais exemplaire du Mariage de Figaro décoré des figures de Saint-Quentin, un Théâtre de Diderot, dont les pièces originales ont été réunies, lors de leur apparition, dans un beau vieux maroquin rouge, un Théâtre de Mme de Montesson, également en maroquin rouge; deux volumes imprimés dans une imprimerie particulière, et que Quérard croit tirés à douze exemplaires; enfin, le recueil en 16 volumes des opéras, imprimés par Ballard, l'exemplaire de Sophie Arnould avec son ex libris et quelques notes jetées en marge; – et c'est tout8. Cependant j'ai recherché des pièces dans lesquelles étaient mis en scène des vivants, et sur les planches de la bibliothèque sont rangés: l'Actrice nouvelle, pièce allusive à la Lecouvreur, qui en fit défendre la représentation et la publication; – la Faculté vengée, dont la scène se passe aux Écoles de médecine, rue de la Bucherie, et où la Tulipe est Falconet; Don Quichotte, Dionis; Sot-en-Ville, Bouillac; Grésillon, Helvétius; Savantasse, Astruc; Muscadin, Sidobre; – le Bureau d'esprit, qui représente Mme Geoffrin sous le nom de Mme de Folincourt; Diderot, de Cocus; le baron d'Holbach, de Cucurbitin; d'Alembert, de Rectiligne; Condorcet, du marquis d'Orsimont; Thomas, de Thomassin; Marmontel, de Féaribole; La Harpe, de M. du Luth; etc.

      Maintenant passons aux livres, dans tous les genres, consacrés spécialement à l'Opéra, à la Comédie-Française, à la Comédie-Italienne.

      Je laisse, pour l'Opéra, les ordonnances, les règlements, les traités sérieusement historiques, les innombrables brochures sur la querelle de la musique italienne et française, et, dans le tas de papier imprimé et cartonné, je choisis quatre ou cinq plaquettes, qui nous donnent la vie vivante du tripot lyrique.

      Voici les Réflexions d'un peintre sur l'Opéra, 1743: une spirituelle photographie de ce qui se voit, en même temps qu'une sténographie de ce qui s'entend à une représentation. C'est un baron étranger qui dit, en prenant place au balcon: «Je viens voir ce fâcheux Opéra.» Au parterre, on n'entend que: «Ah! bonjour, vous voilà! que venez-vous faire ici? Le tambourin est manqué, les paroles sont horribles, et j'ai compté plus de cinq rimes qui ne seroient pas reçues à l'Opéra-Comique.» Dans un coin, un prôneur du passé, un admirateur de Perrin, s'écrie: «Oui, messieurs, je le soutiens, oui, je trouve plus de conduite, plus de décence, plus de gentillesse dans la pastorale de Pomone, que dans tous vos poèmes alambiqués.» Dans une première loge, une femme de la cour, nonchalamment couchée, dit, en allongeant ses mots, négligeant les r, grasseyant par intervalles: «Mais, mon Dieu, il y a ici un monde effroyable. En vérité, il faut avoir perdu l'esprit pour venir s'ennuyer de ce charivari: c'est de la musique pour les étrangers.» Une grosse brune qui remplit la moitié d'une seconde loge, jette à ses voisins: «Cet Opéra, il n'a pas quatre représentations dans le ventre: aussi, il le mérite bien, il n'y a pas le moindre chariot volant!» Et, sur le pas de la porte d'un corridor, on entend un jeune et sémillant magistrat lancer à un ami: «Adieu, ton opéra m'ennuie, je le sais à présent par cœur, il y a trop de monde, je m'en vais à la foire.» Cela, pendant que le foyer retentit de cette phrase adressée à toutes les danseuses et les chanteuses: Bonjour, la reine: vous êtes adorable, vous avez joué comme mille anges!

      La Lettre familière de M. le comte d'Albar… à madame la duchesse de L*** sur l'Opéra, nous montre le comte d'Albaret tenant sa chaire de musique, au no 12 des premières loges, avec un tel enthousiasme lyrique, qu'il fait dire à celui-ci: «Où donc a dîné d'Albaret? Il est sorti trop tard de table, il est venu trop tôt à l'Opéra»; qu'il fait dire à celui-là: «Comment, mon Dieu, d'Albaret n'est pas mort! Ah! si je l'eusse cru en vie, je ne serais pas venu à l'amphithéâtre.»

      Et la jolie et raillarde mise en scène d'une assemblée générale des premiers sujets de l'Opéra et de leur plaisante levée de boucliers contre Devisme, dans la «Lettre des premiers sujets de l'Académie royale de Musique et de Danse à M. Duval, premier commis au café du Caveau, département des Glaces», où Vestris prend ainsi la parole: «Messioux, vous voyez devant vous oun soujet, qui sert depouis trente-oun ans l'Académie royale de Mousique et de Danse, en qualité de premier dansour; il ne s'est jamais vou, et ne se verra peut-être jamais oun homme conserver si long-temps le bonhour de plaire au poublic, dans oun premier genre, mais ce qui sera non moins rare, c'est de voir oun petit souffisant tomber des noues comme oune masse sur notre tête, vouloir nous traiter comme des poulissons. Par la chacoune de M. le Brethon, je ne souffrirai pas oune telle infamie, et j'aimerois mieux que moi et mon fils oussions les gambes cassées, que de danser pour faire oun tel homme riche…» Noverre lui succède et dit: «Ce que z'avance est connu de tout le monde; c'est moi qui menai M. de V*** (de Visme) zès mademoiselle Guimard. Dans ce temps-là il n'avoit pas les mêmes fasons qu'auzourd'hui; il n'avoit pas ze beau diamant qu'il porte au doigt; il ne parloit pas de mettre tout le monde au Fort-l'Évêque ou dans la rue… En revanze, il avoit d'essellentes qualités; il étoit doux poli, révérenzieux, il faisoit le punch zès zette aimable demoiselle avec un zèle, une perfection à faire tourner la tête…» Et tour à tour parlent Mlle Levasseur, Mlle Guimard, parodiées dans l'emphase de leurs prétentions et le comique de leur majesté. A ces petits livres d'observation ironique, viennent naturellement se joindre les ironies toutes pures qui ont pour titre: le Code lyrique, ou Règlement pour l'Opéra de Paris, 1743, et la Constitution du patriarche de 1744. Le Code lyrique, plein de notules instructives, demande qu'on bâtisse un hôtel sur le modèle de l'hôtel des Invalides, à l'effet de servir de retraite aux pauvres chanteuses et danseuses, aux nécessiteuses, que leurs longs services et l'altération de leur santé ou de leurs talents obligeront de quitter l'Opéra.

      Sur la Comédie-Française, des livres et des brochures de toutes sortes et de tout format, des traités ex professo de l'excommunication, des règlements, des remontrances, des extraits du registre des délibérations, des coups d'œil sur la salle, des mémoires contre l'entrepreneur du spectacle du faubourg Saint-Antoine et autres, des observations, des doléances, un procès contre la dame Vestris, la demoiselle Desgarcins, le sieur Dugazon, le sieur Talma qui ont déserté la Comédie de la rue Richelieu, etc.

      Sur la Comédie-Italienne, des annales du Théâtre-Italien, quatre ou cinq brochures spirituelles parlant des Bouffons, et au milieu d'elles un Règlement pour les Comédiens-Italiens ordinaires du Roi, 1781, dans une magnifique reliure en maroquin rouge, et portant dans son écusson autour des trois fleurs de lys: Menus Plésirs du Roy (sic).

      Un théâtre, de date plus récente, a son foyer et son monde peints dans deux petits livres. C'est le théâtre Montansier, sur lequel ont paru: l'Optique du jour, ou le Foyer de Montansier, par Joseph R*** (Rosny), Paris, an VII, et le Tableau comique, ou l'Intérieur d'une troupe de Comédiens, faisant suite à l'Optique du jour. Paris, an VII.

      Nous voici enfin arrivés à la partie théâtrale collectionnée avec amour, à la biographie des acteurs et actrices, qui se divise en biographies générales des trois grands théâtres, biographies générales