Edmond de Goncourt

La maison d'un artiste, Tome 2


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très sage, je vous jure, et ne veux prendre personne jusqu'à nouvel ordre…

      Dans cette traversée, prend cependant naissance la grande liaison de la Duthé avec sir Lée, et j'ai eu entre les mains la lettre où elle parle «d'un jeune benêt d'Anglais qui lui tient la tête et qu'elle a appris être très riche». Mais, sur cette liaison, donnons les notes que j'ai pu copier sur un mémorandum, fourni par M. Henry Pimberton, parent de M. Lée:

      Liaison de la Duthé et de Lée, née sur le bateau de Calais à Douvres. Lée soigne la Duthé, quoique malade lui-même. Liaison qui finit deux ans avant le retour de la Duthé en France. Sans doute, la Duthé descendit à Londres chez M. Lée qui demeurait Dover-Street.

       Grand train de la Duthé. Revenu de non moins de cent soixante mille francs. L'éclat était pour elle tout, la simplicité rien. Livrée bleu et jaune. Toilette extravagante, robes extravagantes, jusqu'à huit jupes. Recherche de grands laquais, – peu importait le service, – mais de six et même de sept pieds. Son luxe, quatre grands escogriffes derrière son carosse; elle! vêtue de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel 14 , souriant aux passants, ce qui dépitait Lée qui était très jaloux.

      Elle voulut recevoir la haute aristocratie, mais certains refus, particulièrement du duc de Richmond, la dégoûtèrent de la ville, et pour la première fois elle alla passer six mois dans la campagne de M. Lée, où elle s'ennuya à la mort. Un jeune homme la consola; amourettes et rendez-vous pendant la chasse de Lée.

      Elle revint à Londres et se mit en quête d'un autre entreteneur. Séduisit Sir Busham, un des plus nobles et des plus élégants cavaliers de Londres. Il lui donna une parure de diamants de 75,000 francs, six grands laquais, voiture, etc. Ça ne dura pas longtemps. Elle se mit à dépenser les restes de la générosité de Busham, soutenue d'ailleurs par ses revenus de France. Tantôt caprice avec un grand seigneur, tantôt avec un valet, Maison Clarges-Street. Grande prodigalité. Logeait dans sa maison trois ou quatre compatriotes, particulièrement une M lle Aurore, ancienne danseuse. Allait à l'Opéra et aux petits spectacles, quoiqu'elle ne comprît qu'imparfaitement la langue anglaise. M. Parks, peintre anglais distingué, fit son portrait, mais il le reprit, n'étant pas payé.

      Le pied très mignon. Elle passait pour avoir une dent postiche, en ayant perdu une dans une rixe, à la suite d'une orgie, mais elle était si bien mise qu'on ne s'en apercevait pas. Le visage assez joli, mais les traits sans mobilité. Pas bête, mais l'esprit commun et n'excellant qu'à dire des grivoiseries, dont aurait rougi une fille du Ranelagh. Elle s'amouracha de Kemble au beau profil, qui la dédaigna; alors elle se consola avec un petit musicien d'Hay-Market, nommé Lewis.

      Ce séjour en Angleterre, la Révolution et ses terreurs le prolongèrent de longues années, et, au mois d'août 1789, la peureuse courtisane écrivait avec une orthographe plus affolée que jamais:

       Mon cher tuteur, malgré le desir que j'ai d'aller vous voir, je ne me sens pas assé Brave 15 pour m'i resoudre avant que vous ne m'ayé assuré que je puis m'i rendre sans dangé… J'ai mendé à Sanville que, si l'on trouvois six milles louis de ma maison, je la vendrois de bien Bon cœur, c'est-a-dir Argen comtent. Adieu mon bon tuteur. Je dérésonn à force de peure 16

      Madame Gardel. – «Notice sur madame Gardel, par Amanton. Dijon, de l'imprimerie de Trautin, 1793.»

      Mademoiselle de Lécluse. – «Mémoire pour messire Jean Louis de Lestandart, chevalier, marquis de Bully, Defendeur. Contre Edme-Élisabeth de Lécluse, dite de Mereuil, ci-devant actrice de l'Opéra. Demanderesse.» Un mémoire dans lequel la ci-devant actrice de l'Opéra fait tout à coup apparaître sur la scène un enfant de dix-huit ans, dont elle rapporte l'honneur de la paternité au marquis, factum spirituellement troussé, et donnant l'historique vrai d'une liaison de théâtre de ce temps, avec le premier souper, l'évanouissement feint ou fortuit de la demoiselle, ses apparentes velléités d'entrer au couvent, et finalement la tromperie de l'entreteneur avec son intendant.

      Mademoiselle Lemaure. – «Manifeste de mademoiselle Lemaure, pour faire part au public de ses sentiments sur l'Opéra et des raisons qu'elle a de le quitter», manifeste dans lequel elle se plaint «de l'emprisonnement injurieux et tortionnaire de sa personne ès-prisons du Fort-l'Évêque».

      – «Lettre au sujet de la rentrée de la demoiselle Le Maure à l'Opéra, écrite à une dame de province par un solitaire de Paris… A Bruxelles, 1740.»

      La lettre raconte plaisamment la notification de la chanteuse à son directeur par laquelle elle se consacre à la piété, ses succès aux Ténèbres, sa conversion par l'abbé B… ses combats entre la dévotion et ses anciens goûts, enfin sa défaite par le diable, et sa rentrée triomphale à l'Opéra17.

      Mlle Pélissier. – «Mémoires-anecdotes pour servir à l'histoire de M. Duliz et la suite de ses aventures après la catastrophe de celle de mademoiselle Pélissier, actrice de l'Opéra de Paris, Londres, 1739.»

      Roman peignant, avec des traits connus des contemporains, la rapacité de la grande chanteuse de l'Opéra.

      Mademoiselle Petit. – «Recueil de pièces pour et contre concernant l'affaire de mademoiselle Petit, actrice de l'Opéra de Paris. A Cythère, de l'imprimerie de Vénus, 1741.»

      A propos de la révocation de cette danseuse, qui s'était laissé surprendre dans sa loge par sa camarade, mademoiselle Jaquet, dans le moment où elle avait des complaisances, la toile levée, pour un quidam.

      Mademoiselle Prévost. – Mémoire pour la demoiselle Prévost en réponse à celui de M. l'ambassadeur de Malte (copie manuscrite du temps).

      Le premier de ces mémoires, où la verve de style d'un avocat dans une affaire scandaleuse, commence à amuser la Cour, la ville et les provinces, et qui nous montre le coup de cœur du chevalier de Mesme devant la danse de Fanchonette, et son entrée dans la pauvre chambre où errent quatre chaises et une bergame, et son offre de se charger des mémoires du rôtisseur et du cabaretier. Puis changement de décoration. Voici le chevalier de Mesme, bailli de Malte, ambassadeur, et aussitôt beaux habits, bijoux, avec meubles et vaisselle plate, et maison montée, dont un jour Fanchonette, devenue Mlle Prévost, prie, d'un air digne, le bailli d'en sortir.

      Saint-Huberty. – Papiers de famille.

      – Recueil de lettres adressées à son amant et plus tard son mari, le comte d'Antraigues.

      Ces papiers et lettres doivent paraître dans une biographie de la Saint-Huberty, sous presse.

      COMÉDIE-FRANÇAISE

      Mademoiselle Candeille. – Recueil de lettres du commencement du xixe siècle, relative à sa littérature, à ses romans. Une de ses lettres raconte qu'un moment, les jeunes élèves de David ont porté des barbes postiches de philosophes grecs, et cette lettre contient un post-scriptum de son mari Perié, s'inscrivant, pour son compte, contre le mot postiche.

      Mademoiselle Contat. – Lettre autographe, signée de ses initiales (sans date), dans laquelle elle conjure un homme d'affaires de lui épargner une saisie «qui ferait un esclandre dans sa maison et lui causerait un chagrin mortel».

      Mademoiselle Clairon. – Ordre de doubler la demoiselle Dangeville, signé du duc de Gesvres:

      Nous duc de Gesvres, Pair de France, Premier gentilhomme de la chambre du Roi,

      Voulant que chacun des acteurs et actrices de la Comédie-Française se prête à tout ce qui peut faire le bien du service, et connaissant la nécessité d'avoir plus d'une actrice pour remplir les rôles de soubrette, en expliquant en tant que besoin est l'ordre de réception donné à la demoiselle Clairon, lui ordonnons de se tenir prête à doubler la demoiselle Dangeville dans tous les rôles de son emploi.

      Mandons à M. de Bonneval, Intendant des Menus Plaisirs, en exercice,