travers mes songes sans nombre,
J'écoutais son parler joyeux,
Et mon front s'éclairait dans l'ombre
A la lumière de ses yeux.
Elle avait l'air d'une princesse
Quand je la tenais par la main;
Elle cherchait des fleurs sans cesse
Et des pauvres dans le chemin.
Elle donnait comme on dérobe,
En se cachant aux yeux de tous.
Oh! la belle petite robe
Qu'elle avait, vous rappelez-vous?
Le soir, auprès de ma bougie,
Elle jasait à petit bruit,
Tandis qu'à la vitre rougie
Heurtaient les papillons de nuit.
Les anges se miraient en elle.
Que son bonjour était charmant!
Le ciel mettait dans sa prunelle
Ce regard qui jamais ne ment.
Oh! je l'avais, si jeune encore,
Vue apparaître en mon destin!
C'était l'enfant de mon aurore,
Et mon étoile du matin!
Quand la lune claire et sereine
Brillait aux cieux, dans ces beaux mois,
Comme nous allions dans la plaine!
Comme nous courions dans les bois!
Puis, vers la lumière isolée
Étoilant le logis obscur,
Nous revenions par la vallée
En tournant le coin du vieux mur;
Nous revenions, coeurs pleins de flamme,
En parlant des splendeurs du ciel.
Je composais cette jeune âme
Comme l'abeille fait son miel.
Doux ange aux candides pensées,
Elle était gaie en arrivant… -
Toutes ces choses sont passées
Comme l'ombre et comme le vent!
VII
Elle était pâle, et pourtant rose,
Petite avec de grands cheveux.
Elle disait souvent: Je n'ose,
Et ne disait jamais: Je veux.
Le soir, elle prenait ma Bible
Pour y faire épeler sa soeur,
Et, comme une lampe paisible,
Elle éclairait ce jeune coeur.
Sur le saint livre que j'admire,
Leurs yeux purs venaient se fixer;
Livre où l'une apprenait à lire,
Où l'autre apprenait à penser!
Sur l'enfant, qui n'eût pas lu seule,
Elle penchait son front charmant,
Et l'on aurait dit une aïeule
Tant elle parlait doucement!
Elle lui disait: «Sois bien sage!»
Sans jamais nommer le démon;
Leurs mains erraient de page en page
Sur Moïse et sur Salomon,
Sur Cyrus qui vint de la Perse,
Sur Moloch et Leviathan,
Sur l'enfer que Jésus traverse,
Sur l'éden où rampe Satan!
Moi, j'écoutais… – O joie immense
De voir la soeur près de la soeur!
Mes yeux s'enivraient en silence
De cette ineffable douceur.
Et dans la chambre humble et déserte
Où nous sentions, cachés tous trois,
Entrer par la fenêtre ouverte
Les souffles des nuits et des bois,
Tandis que, dans le texte auguste,
Leurs coeurs, lisant avec ferveur,
Puisaient le beau, le vrai, le juste,
Il me semblait, à moi, rêveur,
Entendre chanter des louanges
Autour de nous, comme au saint lieu,
Et voir sous les doigts de ces anges
Tressaillir le livre de Dieu!
VIII
A qui donc sommes-nous? Qui nous a? qui nous mène?
Vautour fatalité, tiens-tu la race humaine?
Oh! parlez, cieux vermeils,
L'âme sans fond tient-elle aux étoiles sans nombre?
Chaque rayon d'en haut est-il un fil de l'ombre
Liant l'homme aux soleils?
Est-ce qu'en nos esprits, que l'ombre a pour repaires,
Nous allons voir rentrer les songes de nos pères?
Destin, lugubre assaut!
O vivants, serions-nous l'objet d'une dispute?
L'un veut-il notre gloire, et l'autre notre chute?
Combien sont-ils là-haut?
Jadis, au fond du ciel, aux yeux du mage sombre,
Deux joueurs effrayants apparaissaient dans l'ombre.
Qui craindre? qui prier?
Les Manès frissonnants, les pâles Zoroastres
Voyaient deux grandes mains qui déplaçaient les astres
Sur le noir échiquier.
Songe horrible! le bien, le mal, de cette voûte
Pendent-ils sur nos fronts? Dieu, tire-moi du doute
O sphinx, dis-moi le mot!
Cet affreux rêve pèse à nos yeux qui sommeillent,
Noirs vivants! heureux ceux qui tout à coup s'éveillent
Et meurent en sursaut!
IX
O souvenirs! printemps! aurore!
Doux rayon triste et réchauffant!
-Lorsqu'elle était petite encore,
Que sa soeur était tout enfant… -
Connaissez-vous sur la colline
Qui joint Montlignon à Saint-Leu,
Une terrasse qui s'incline
Entre un bois sombre et le ciel bleu?
C'est là que nous vivions. – Pénètre,
Mon coeur, dans ce passé charmant! -
Je l'entendais sous ma fenêtre
Jouer le matin doucement.
Elle courait dans la rosée,
Sans