Виктор Мари Гюго

Les contemplations. Aujourd'hui, 1843-1856


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puisque dans mes douleurs

      Je marche, sans trouver de bras qui me secourent,

      Puisque je ris à peine aux enfants qui m'entourent,

      Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs;

      Puisqu'au printemps, quand Dieu met la nature en fête,

      J'assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour;

      Puisque je suis à l'heure où l'homme fuit le jour,

      Hélas! et sent de tout la tristesse secrète;

      Puisque l'espoir serein dans mon âme est vaincu;

      Puisqu'en cette saison des parfums et des roses,

      O ma fille! j'aspire à l'ombre où tu reposes,

      Puisque mon coeur est mort, j'ai bien assez vécu.

      Je n'ai pas refusé ma tâche sur la terre.

      Mon sillon? Le voilà. Ma gerbe? La voici.

      J'ai vécu souriant, toujours plus adouci,

      Debout, mais incliné du côté du mystère.

      J'ai fait ce que j'ai pu; j'ai servi, j'ai veillé,

      Et j'ai vu bien souvent qu'on riait de ma peine.

      Je me suis étonné d'être un objet de haine,

      Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.

      Dans ce bagne terrestre où ne s'ouvre aucune aile,

      Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,

      Morne, épuisé, raillé par les forçats humains,

      J'ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle.

      Maintenant, mon regard ne s'ouvre qu'à demi;

      Je ne me tourne plus même quand on me nomme;

      Je suis plein de stupeur et d'ennui, comme un homme

      Qui se lève avant l'aube et qui n'a pas dormi.

      Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,

      Répondre à l'envieux dont la bouche me nuit.

      O Seigneur! ouvrez-moi les portes de la nuit

      Afin que je m'en aille et que je disparaisse!

Avril 1848.

      XIV

      Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,

      Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.

      J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.

      Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

      Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

      Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

      Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,

      Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

      Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,

      Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

      Et, quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe

      Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

3 Septembre 1847.

      XV

      A VILLEQUIER

      Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres,

      Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux;

      Maintenant que je suis sous les branches des arbres,

      Et que je puis songer à la beauté des cieux;

      Maintenant que du deuil qui m'a fait l'âme obscure

      Je sors, pâle et vainqueur,

      Et que je sens la paix de la grande nature

      Qui m'entre dans le coeur;

      Maintenant que je puis, assis au bord des ondes,

      Ému par ce superbe et tranquille horizon,

      Examiner en moi les vérités profondes

      Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon;

      Maintenant, ô mon Dieu! que j'ai ce calme sombre

      De pouvoir désormais

      Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l'ombre

      Elle dort pour jamais;

      Maintenant qu'attendri par ces divins spectacles,

      Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté,

      Voyant ma petitesse et voyant vos miracles,

      Je reprends ma raison devant l'immensité;

      Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire;

      Je vous porte, apaisé,

      Les morceaux de ce coeur tout plein de votre gloire

      Que vous avez brisé;

      Je viens à vous, Seigneur! confessant que vous êtes

      Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant!

      Je conviens que vous seul savez ce que vous faites,

      Et que l'homme n'est rien qu'un jonc qui tremble au vent;

      Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme

      Ouvre le firmament;

      Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme

      Est le commencement;

      Je conviens à genoux que vous seul, père auguste,

      Possédez l'infini, le réel, l'absolu;

      Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste

      Que mon coeur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu!

      Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive

      Par votre volonté.

      L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive,

      Roule à l'éternité.

      Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses;

      L'autre plonge en la nuit d'un mystère effrayant.

      L'homme subit le joug sans connaître les causes.

      Tout ce qu'il voit est court, inutile et fuyant.

      Vous faites revenir toujours la solitude

      Autour de tous ses pas.

      Vous n'avez pas voulu qu'il eût la certitude

      Ni la joie ici-bas!

      Dès qu'il possède un bien, le sort le lui retire.

      Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours,

      Pour qu'il s'en puisse faire une demeure, et dire:

      C'est ici ma maison, mon champ et mes amours!

      Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient;

      Il vieillit sans soutiens.

      Puisque ces choses sont, c'est qu'il faut qu'elles soient;

      J'en conviens, j'en conviens!

      Le monde est sombre, ô Dieu! l'immuable harmonie

      Se compose des pleurs aussi bien que des chants;

      L'homme n'est qu'un atome en cette ombre infinie,

      Nuit où montent les bons, où tombent les méchants.

      Je sais que vous avez bien autre chose