Виктор Мари Гюго

Les contemplations. Aujourd'hui, 1843-1856


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je m'en souviens, vous veniez chez ma mère.

      Vous me faisiez parfois réciter ma grammaire;

      Vous m'apportiez toujours quelque bonbon exquis;

      Et nous étions cousins quand on était marquis.

      Vous étiez vieux, j'étais enfant; contre vos jambes

      Vous me preniez, et puis, entre deux dithyrambes

      En l'honneur de Coblentz et des rois, vous contiez

      Quelque histoire de loups, de peuples châtiés,

      D'ogres, de jacobins, authentique et formelle,

      Que j'avalais avec vos bonbons, pêle-mêle,

      Et que je dévorais de fort bon appétit

      Quand j'étais royaliste et quand j'étais petit.

      J'étais un doux enfant, le grain d'un honnête homme.

      Quand, plein d'illusions, crédule, simple, en somme,

      Droit et pur, mes deux yeux sur l'idéal ouverts,

      Je bégayais, songeur naïf, mes premiers vers,

      Marquis, vous leur trouviez un arrière-goût fauve,

      Les Grâces vous ayant nourri dans leur alcôve;

      Mais vous disiez: «Pas mal! bien! c'est quelqu'un qui naît!»

      Et, souvenir sacré! ma mère rayonnait.

      Je me rappelle encor de quel accent ma mère

      Vous disait: «Bonjour.» Aube! avril! joie éphémère!

      Où donc est ce sourire? où donc est cette voix?

      Vous fuyez donc ainsi que les feuilles des bois,

      O baisers d'une mère! aujourd'hui, mon front sombre,

      Le même front, est là, pensif, avec de l'ombre,

      Et les baisers de moins et les rides de plus!

      Vous aviez de l'esprit, marquis. Flux et reflux,

      Heur, malheur, vous avaient laissé l'âme assez nette;

      Riche, pauvre, écuyer de Marie-Antoinette,

      Émigré, vous aviez, dans ce temps incertain,

      Bien supporté le chaud et le froid du destin.

      Vous haïssiez Rousseau, mais vous aimiez Voltaire.

      Pigault-Lebrun allait à votre goût austère,

      Mais Diderot était digne du pilori.

      Vous détestiez, c'est vrai, madame Dubarry,

      Tout en divinisant Gabrielle d'Estrée.

      Pas plus que Sévigné, la marquise lettrée,

      Ne s'étonnait de voir, douce femme rêvant,

      Blêmir au clair de lune et trembler dans le vent,

      Aux arbres du chemin, parmi les feuilles jaunes,

      Les paysans pendus par ce bon duc de Chaulnes,

      Vous ne preniez souci des manants qu'on abat

      Par la force, et du pauvre écrasé sous le bât.

      Avant quatre-vingt-neuf, galant incendiaire,

      Vous portiez votre épée en quart de civadière;

      La poudre blanchissait votre dos de velours;

      Vous marchiez sur le peuple à pas légers-et lourds.

      Quoique les vieux abus n'eussent rien qui vous blesse,

      Jeune, vous aviez eu, vous, toute la noblesse,

      Montmorency, Choiseul, Noaille, esprits charmants,

      Avec la royauté des querelles d'amants;

      Brouilles, roucoulements; Bérénice avec Tite.

      La Révolution vous plut toute petite;

      Vous emboîtiez le pas derrière Talleyrand;

      Le monstre vous sembla d'abord fort transparent,

      Et vous l'aviez tenu sur les fonts de baptême.

      Joyeux, vous aviez dit au nouveau-né: Je t'aime!

      Ligue ou Fronde, remède au déficit, protêt,

      Vous ne saviez pas trop au fond ce que c'était;

      Mais vous battiez des mains gaîment, quand Lafayette

      Fit à Léviathan sa première layette.

      Plus tard, la peur vous prit quand surgit le flambeau.

      Vous vîtes la beauté du tigre Mirabeau.

      Vous nous disiez, le soir, près du feu qui pétille,

      Paris de sa poitrine arrachant la Bastille,

      Le faubourg Saint-Antoine accourant en sabots,

      Et ce grand peuple, ainsi qu'un spectre des tombeaux,

      Sortant, tout effaré, de son antique opprobre,

      Et le vingt juin, le dix août, le six octobre,

      Et vous nous récitiez les quatrains que Boufflers,

      Mêlait en souriant à ces blêmes éclairs.

      Car vous étiez de ceux qui, d'abord, ne comprirent

      Ni le flot, ni la nuit, ni la France, et qui rirent;

      Qui prenaient tout cela pour des jeux innocents;

      Qui, dans l'amas plaintif des siècles rugissants

      Et des hommes hagards, ne voyaient qu'une meute;

      Qui, légers, à la foule, à la faim, à l'émeute,

      Donnaient à deviner l'énigme du salon;

      Et qui, quand le ciel noir s'emplissait d'aquilon,

      Quand, accroupie au seuil du mystère insondable

      La Révolution se dressait formidable,

      Sceptiques, sans voir l'ongle et l'oeil fauve qui luit,

      Distinguant mal sa face étrange dans la nuit,

      Presque prêts à railler l'obscurité difforme,

      Jouaient à la charade avec le sphinx énorme.

      Vous nous disiez: «Quel deuil! les gueux, les mécontents,

      Ont fait rage; on n'a pas su s'arrêter à temps.

      Une transaction eût tout sauvé peut-être.

      Ne peut-on être libre et le roi rester maître?

      Le peuple conservant le trône eût été grand.»

      Puis vous deveniez triste et morne; et, murmurant:

      «Les plus sages n'ont pu sauver ce bon vieux trône.

      Tout est mort; ces grands rois, ce Paris Babylone,

      Montespan et Marly, Maintenon et Saint-Cyr!»

      Vous pleuriez. – Et, grand Dieu! pouvaient-ils réussir,

      Ces hommes qui voulaient, combinant vingt régimes

      La loi qui nous froissa, l'abus dont nous rougîmes,

      Vieux codes, vieilles moeurs, droit divin, nation,

      Chausser de royauté la Révolution?

      La patte du lion creva cette pantoufle!

II

      Puis vous m'avez perdu de vue; un vent qui souffle

      Disperse nos destins, nos jours, notre raison,

      Nos coeurs, aux quatre coins du livide horizon;

      Chaque homme dans sa nuit s'en va vers sa lumière.

      La seconde âme en nous se greffe à la première;

      Toujours la même tige avec une autre fleur.

      J'ai