Constantin-François Volney

Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I


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dans un climat aussi rongeur que l'est la Judée. Il y aurait eu des lacunes; l'écriture même aurait dû être différente, et beaucoup de mots tombés en désuétude; car il est sans exemple qu'une langue et qu'une forme d'écriture aient subsisté 800 ans sans altération. Cependant le secrétaire Saphan le lit couramment et à livre ouvert: il porte le livre au roi, et le roi entendant le contenu, est surpris, effrayé au point de déchirer ses vêtements. Quoi, le roi Josiah, élevé par le grand-prêtre, ne connaissait pas la loi de Moïse! cette loi, dont tout prince, à son avénement, devait avoir une copie transcrite à son usage par les prêtres, selon un ordre exprès du Deutéronome, chapitre 17. Tout était donc oublié; ou bien tout est simulé. Le roi Josiah de suite fait consulter Dieu; l'oracle auquel on s'adresse est une vieille femme, exerçant le métier de devineresse, et jouissant d'un grand crédit sur le peuple, c'est-à-dire dans la classe des ouvriers que le roi a gratifiés. Le grand-prêtre, le secrétaire Saphan, Akbour et d'autres prêtres, se rendent en pompe chez cette femme.... N'est-il pas clair que l'intention d'une telle démarche est de produire une vive sensation sur le peuple et de donner de l'éclat à une chose nouvelle?

      La prophétesse répond dans le sens désiré..... Elle annonce que Iahouh, Dieu d'Israël, va envoyer contre Jérusalem et ses habitants, toutes les calamités écrites dans le livre que le roi a entendu, et cela parce que les Juifs ont abandonné leur Dieu, et qu'ils ont sacrifié à des dieux étrangers.

      Ces expressions nous deviendront bientôt utiles; mais pour le présent remarquons que cette prophétie de Holdah a une analogie frappante avec les autres prophéties que depuis cinq ans proclamait Jérémie: or, dans sa qualité de prêtre et de fils de prêtre, Jérémie avait des rapports nécessaires avec le pontife; il était, comme Holdah, dans la dépendance plus ou moins médiate de Helqiah50; et lorsque nous trouvons que peu d'années après les fils de Saphan et d'Akbour furent les amis et protecteurs zélés de Jérémie contre la colère de Ihouaqim, nous avons lieu de soupçonner que déja il avait des liaisons avec Saphan et Akbour, qui figurent dans cette affaire; que par conséquent il était lui-même, comme Holdah, l'un des confidents de ce drame concerté; qu'en un mot il y a eu dans cette occasion un pacte secret, un plan combiné entre le grand-prêtre, le roi, le secrétaire Saphan, le prêtre Akbour, le prophète Jérémie et la prophétesse Holdah; et cela, pour un motif, une affaire d'état de la plus haute importance, puisqu'il s'agissait de sauver la nation du danger imminent d'une destruction absolue ou d'une dispersion prochaine.

      En effet, à l'époque dont nous parlons, l'an 621, le royaume de Jérusalem se trouvait dans les circonstances les plus désastreuses. Depuis quatre ans les Scythes, venus du Caucase, exerçaient ces ravages dont parle Hérodote, et dont leurs pareils, les Tatars de Genghizkan et de Tamerlan, nous ont fourni d'effrayants exemples dans les temps modernes. Vainqueurs de Kyaxare et de ses Mèdes, maîtres de la haute et de la basse Asie, les Scythes n'avaient pu parvenir à Azot, où les arrêta Psammitik, sans inonder la Syrie et la Palestine: leur cavalerie innombrable avait ravagé tout le pays plat, avec cette cruauté féroce et impitoyable qui a toujours caractérisé les Tatars; le pays montueux, investi de toutes parts, privé de toutes communications, attaqué dans ses postes faibles, menacé dans toute sa masse, ressemblait à une grande place assiégée, et subissait tous les maux attachés à cette situation: or voilà premièrement le tableau que trace Jérémie dans ses dix-sept premiers chapitres.

      «L'an 13 de Josiah, dit cet écrivain, le (Dieu de Moïse) Iahouh, m'adressa la parole51, «Et il me dit (chap. 1): Que vois-tu? Je vois une chaudière bouillante; elle est dans le nord (prête à verser), et Dieu dit: Du nord accourt le mal sur tous les habitants de cette terre; car voici que j'appelle toutes les familles des royaumes du nord, et elles viennent établir chacune leur tente aux portes de Jérusalem, autour de ses murs et dans toutes les villes de Juda, et je prononcerai mes décrets contre les pervers qui m'ont abandonné, et qui ont sacrifié aux dieux étrangers».

      Cette dernière phrase est mot pour mot, le motif allégué par la prophétesse Holdah. Les chapitres suivants sont remplis de reproches, de menaces et d'exhortations.

      Le prophète s'écrie (ch. 4): «Annoncez dans Juda; publiez dans Jérusalem; sonnez de la trompette; criez et dites: Rassemblez-vous; retirez-vous dans les villes fortes; élevez des signaux de fuite; ne restez pas, parce que, dit le Seigneur, voici que j'apporte du nord une calamité, une grande destruction; le lion a quitté son repaire; le destructeur des peuples est parti de son pays pour réduire cette terre en solitude».

      Ceci convient parfaitement aux Scythes; ce qui suit les caractérise encore mieux:

      «Voici qu'un peuple vient du nord; une grande nation est sortie des flancs de la terre....; ils portent l'arc et le bouclier; ils brisent et déchirent sans pitié....; leur bruit ressemble au bruissement des flots; ils montent des chevaux armés (et bardés) eux-mêmes comme un guerrier, etc.»: voilà bien les cavaliers scythes.

      «Voici que (l'ennemi) monte comme une nue, ses chars (volent) comme un tourbillon; ses chevaux sont plus légers que les aigles.... Malheur à nous! nous sommes ravagés.—Un cri d'alarme vient du côté de Dan; on apprend des horreurs (iniquitatem) de la montagne d'Éphraïm..... Faites entendre dans Jérusalem que des troupes d'éclaireurs viennent d'une terre lointaine.....

      «J'ai regardé le pays, il est désert… J'ai vu les montagnes, et elles tremblent; les collines, et elles se choquent; j'ai regardé (partout), il n'y a plus d'hommes; les oiseaux du ciel se sont envolés..... J'ai regardé le Carmel, il est désert, et toutes les villes détruites devant la face de Iahouh et de sa fureur».

      (Chap. 5, v. 15): «J'amène sur vous une nation lointaine, une nation robuste, antique, dont vous ne connaissez point le langage, dont vous ne comprenez point les paroles…: son carquois est un sépulcre ouvert…; tous ses guerriers sont forts. Ils mangeront votre pain, votre moisson, vos enfants, vos bœufs, vos figues, vos raisins, etc.»

      (Chap. 6, v. 1): «Enfants de Benjamin, fuyez de Jérusalem; sonnez de la trompette, parce que de l'aquilon vient un fléau, une dévastation».

      Et (Ch. 8, v. 16 à 20): «Du côté de Dan on entend le bruit de leurs chevaux; la terre retentit de leurs violents hennissements; ils accourent; ils dévorent la terre et son abondance, la ville et ses habitants..... La moisson est passée, l'été est fini, et nous ne sommes pas délivrés».

      Nous verrons ailleurs que cette dernière circonstance cadre très-bien avec la date de l'irruption des Scythes, que nous plaçons en 625.

      Tous ces maux dépeints par Jérémie duraient donc depuis 4 ans, lorsque Helqiah tira de l'oubli ou du néant un livre qui devait sauver la nation en la régénérant; et cependant le danger qu'elle éprouvait de la part des Scythes n'était pas le seul. Deux puissances voisines, devenues plus ambitieuses depuis quelques années, menaçaient dans leur choc prochain d'écraser le petit royaume de Jérusalem: l'Égypte, d'une part, délivrée des guerres étrangères et civiles qui l'avaient long-temps déchirée, venait de concentrer toutes ses forces dans les mains de Psammitik; et ce prince heureux et habile, avait, par la prise d'Azot et de la Palestine, annoncé à la Syrie les projets d'agrandissement que poursuivit Nekos son fils. D'autre part, les rois de Babylone, héritiers de l'empire ninivite, renouvelaient, sur la Phénicie et la Judée, les prétentions et les attaques de Sennacherib et de Salmanasar. Selon la chronique des Jours52, l'un deux avait fait saisir et emmener captif le roi Manassé, grand-père de Josiah. Helqiah, grand-prêtre et régent en 638, avait pu être témoin de cet événement arrivé 18 ou 20 ans auparavant.—A l'époque présente, c'est-à-dire l'an 621, Nabopolasar, père de Nabukodonosor, régnait depuis 4 ans, et son règne préparait le règne de son fils. Une grande lutte s'annonçait entre l'Égypte et la Chaldée; et dans cette lutte, les politiques juifs ne pouvaient manquer de sentir que leur nation faible et d'ailleurs divisée d'opinions, était menacée d'une entière dissolution. Si le salut était possible, ce n'était qu'en réunissant les esprits, en ressuscitant le caractère national; et si