parce que ce n’est pas de lui que j’ai traité; mais ils sont nombreux, soignés, et la plupart nouveaux sur l’état physique dont je me suis spécialement occupé.
TABLEAU DU CLIMAT ET DU SOL DES ÉTATS-UNIS
CHAPITRE PREMIER. Situation géographique des Etats-Unis, et superficie de leur territoire
POUR donner l’idée la plus simple de la situation géographique des États-Unis, je devrais dire que leur territoire occupe cette partie de l’Amérique du nord, qui a pour bornes, à l’orient, l’océan d’Afrique et d’Europe; au midi, la mer des Antilles et le golfe du Mexique; au couchant, le grand fleuve de la Louisiane11; au nord enfin, celui du Canada, et les cinq grands lacs dont il tire ses eaux. Dans un temps où l’on reconnaît si bien l’avantage des limites naturelles, celles-ci sont tellement caractérisées, qu’il est difficile de croire qu’elles ne se réalisent pas tôt ou tard; mais la précision de l’état politique actuel veut que l’on en retranche, au midi, la presqu’île et le littoral des Florides; et au nord, le cours inférieur du Saint-Laurent depuis le lac Saint-François, ainsi que l’Acadie et le nouveau Brunswick, c’est-à-dire, presque toutes les anciennes possessions des Français dans le Canada inférieur.
Mesuré du nord au sud, ce vaste territoire comprend plus de 16 degrés de latitude, savoir: depuis le 31e précis, jusque vers le 47e latitude nord. De l’est à l’ouest, il a plus de 25 degrés de longitude, ce qui semble produire une surface immense; mais parce que la côte atlantique fuit diagonalement du nord-est au sud-ouest, et parce que les cinq lacs du Canada rentrent par une grande courbe, jusqu’au 40e degré de latitude, la superficie réelle se trouve diminuée de plus d’un tiers.
Le géographe Hutchins qui, le premier après la paix de l’indépendance (1783), essaya de calculer cette surface, l’estima un million de milles anglais carrés (environ 112,000 anciennes lieues carrées de France): en sorte que le territoire des États-Unis égalerait près de quatre fois l’étendue de la France, à l’époque de 1789; presque autant de fois l’étendue de l’Espagne et du Portugal réunis, et près de sept fois celle de la Grande-Bretagne, y compris l’Irlande. Les anglo-américains citent ces comparaisons avec complaisance, et leur amour-propre, qui aime à anticiper sur l’avenir, mesure déja les étrangers sur cette échelle de proportion: cependant, si l’on observe que sur ce vaste pays, il n’existe, en 180112, que 5,214,801 habitants, dont environ 880,000 esclaves noirs, c’est-à-dire, un sixième du tout; et que ces habitants y sont en grande partie disséminés, l’on sentira que cette étendue est, dans le temps présent, une véritable cause de faiblesse, et ne promet pas dans le temps à venir, d’être un moyen d’union; d’ailleurs Hutchins, qui n’a point connu les sources du Mississipi, et pas très-bien le nord de l’Ohio,13 a amplifié beaucoup de terrains, et les calculs de ce géographe, quoique homme estimable, et quoique suffisants à mon objet, n’ont point l’autorité péremptoire que ses successeurs lui attribuent par écho.
Maintenant, si nous comparons les États-Unis à notre hémisphère, sous le rapport des latitudes, nous trouvons que leurs parties méridionales, telles que la Géorgie et la Caroline, correspondent aux pays de Maroc et de la côte barbaresque, presque au rivage d’Égypte; et il est remarquable que l’embouchure du Mississipi coïncide en sens inverse à celle du Nil, l’une par les 29, l’autre par les 31 degrés de latitude, le Nil venant du sud, le Mississipi du nord, tous les deux avec des phénomènes de débordement, de richesse et de bonté presque semblables. L’analogie des pays américains se continue sur la Syrie, le centre de la Perse, le Tibet et le centre de la Chine. Savanah, Tripoli, Alexandrie, Gaza, Basra, Ispahan, Lahor, Nankin, sont à un degré près sous le même parallèle. Les parties du nord au contraire, telles que le Massachusets et le Newhampshire, correspondent au sud de la France, au centre de l’Italie, à la Turkie d’Europe, à la mer Noire, au centre de la Caspienne, aux déserts tartares et au nord de la Chine: Boston et Barcelone, Ajaccio, Rome, presque Constantinople et Derbend, ont aussi, à un degré près, la même latitude: de tels rapports indiquent de grandes diversités de climats; et en effet, les États-Unis cumulent les extrêmes de tous les pays que je viens de citer; seulement l’on y observe une gradation relative aux latitudes, et plus encore au niveau des terrains, dans laquelle certains caractères particuliers me font distinguer quatre nuances principales.
La première, celle du climat le plus froid, comprend les états dits de Nord-Est, ou Nouvelle-Angleterre, dont la limite physique est tracée par la côte méridionale de Rhode-Island et de Connecticut sur l’Océan; et dans l’intérieur du pays, par la chaîne montueuse qui verse les eaux de la Delaware et de la Susquehannah.
La seconde nuance, que j’appelle climat moyen, s’applique aux États du milieu, c’est-à-dire, au sud de New-York,14 à la Pensylvanie, au Maryland, jusqu’au fleuve Potomac, ou plus précisément, jusqu’à la rivière Patapsco.
La troisième, celle du climat chaud, comprend les états au sud, c’est-à-dire, le plat pays de la Virginie, des deux Carolines, de la Géorgie jusqu’à la Floride, où les gelées cessent d’être connues par le 29e de latitude.
La quatrième enfin, est le climat des pays d’Ouest, tels que le Tennessee, le Kentucky, le Nord-d’Ohio, ou North-west-territory, placés derrière la chaîne des montagnes Alleghany, et au couchant des états précédents; ce climat a pour caractère distinctif d’être plus chaud de près de trois degrés de latitude que les pays qui lui correspondent sur la côte Atlantique, avec la seule séparation des montagnes Alleghany, ainsi que je l’exposerai par la suite.
CHAPITRE II. Aspect du pays
POUR un voyageur européen, et surtout pour un voyageur habitué, comme moi, aux contrées nues de l’Égypte, de l’Asie et des bords de la Méditerranée, le trait saillant du sol américain est un aspect sauvage de forêt presque universelle qui se présente dès le rivage de l’Océan et qui se continue de plus en plus épaisse dans l’intérieur des terres. Pendant le long voyage que je fis en 1796, depuis l’embouchure de la Delaware par la Pensylvanie, le Maryland, la Virginie et le Kentucky, jusqu’à la rivière Wabash; de là au nord, à travers le North-west-territory, jusqu’au Fort-Détroit; puis par le lac Érié à Niagâra, à Albany, et l’année suivante, de Boston jusqu’à Richmond en Virginie, à peine ai-je marché trois milles de suite en terrain nu et déboisé:15 sans cesse j’ai trouvé les chemins, ou plutôt les sentiers bordés et ombragés de bois-taillis ou de futaies, dont le silence, la monotonie, le sol tantôt aride, tantôt marécageux; et surtout dont les arbres renversés par vétusté ou par tempête, gisants et pourrissants, sur la terre; dont enfin les essaims persécuteurs de taons, de mosquites et de gnats,16 n’ont pas les effets charmants que rêvent au sein de nos cités d’Europe, des écrivains romanciers. Il est vrai que sur la côte atlantique, cette forêt continentale offre déja d’assez grands vides, à raison des marais saumâtres et des champs cultivés qui s’étendent chaque jour davantage autour du foyer absorbant des villes: elle a également des lacunes considérables dans le pays d’Ouest, surtout depuis la Wabash jusqu’au Mississipi, et vers les bords du lac Erié, du Saint-Laurent, dans le Kentucky et le Tennesse, où la nature du sol, et plus encore les incendies anciens et annuels des Sauvages ont occasioné de vastes déserts, appelés Savanas par les Espagnols, et Prairies par les Canadiens et par les Américains qui adoptent ce mot; je ne compare point ces déserts à ceux que j’ai vus en Syrie et en Arabie, mais plutôt à ce que l’on nous dit des steps ou déserts de la Tartarie, les prairies étant comme les steps couvertes de plantes ligneuses, épaisses et hautes de trois et quatre pieds,