qui semble mettre ces deux mots en comparaison synonyme. Quoique moins sonore qu’Apalache, le nom d’Alleghany a obtenu dans l’usage une préférence que je ne lui disputerai point; mais, pour plus de clarté, j’appellerai Apalache le rameau qui, comme je l’ai dit, se détourne à l’angle de la Géorgie, et qui, moins élevé et moins rapide, se divise en une foule de monticules et de sillons dont est couvert le pays jusqu’au Mississipi: là ils se terminent brusquement en escarpements scabreux, appelés Cliffs, régnant depuis le coteau de Natchez jusque vers l’embouchure de l’Ohio: ils ne traversent point le Mississipi, dont l’autre rive, basse et plate, est un marécage de 20 lieues de largeur moyenne, depuis son embouchure jusqu’à celle d’Ohio, distante de 7 degrés (140 lieues); là finit la forêt continentale, et commencent les immenses steps ou savanes qui se prolongent vers l’ouest, jusqu’aux montagnes nord du Mexique et aux Stony-mountains, que j’appellerai dans le cours de cet ouvrage chaîne Chipéwane, du nom générique de la race des sauvages qui l’habitent.
Il résulte de cette disposition de terrain que je viens de décrire une sorte de partage physique des États-Unis en 3 longues contrées parallèles, prises dans le sens de la côte, c’est-à-dire du nord-est au sud-ouest, savoir:
Une 1re contrée orientale située entre l’Océan et les montagnes (vulgairement côte atlantique).
Une 2e contrée occidentale située entre le Mississipi et les montagnes (pays d’ouest ou Back-country).
Une 3e enfin, celle de ces montagnes elles-mêmes, qui est intermédiaire aux deux autres: et parce que chacune de ces contrées a des caractères particuliers de climat, de sol, de configuration et de structure intérieure, il me paraît convenable d’entrer dans quelques détails relatifs à chacune.
§ I
La côte atlantique, ainsi nommée de l’Océan qui la baigne, et où elle verse toutes ses eaux, s’étend depuis le Canada jusqu’à la Floride, sur une largeur croissante du nord au sud, qui varie depuis 20 jusqu’à 70 lieues. Elle est le siége originel et principal des États de l’Union, qui y sont rangés dans l’ordre suivant.
Georgie, Caroline-sud, Caroline-nord, Virginie, Maryland, Delaware, Pensylvanie, New-Jersey, New-York, Connecticut, Rhode-island, Massachusets, Newhampshire, Vermont et Maine.
Dans toute sa longueur, le pays est d’un niveau peu élevé, plus plat dans les États du sud jusqu’au Maryland, même jusqu’en New-Jersey: plus inégal et presque montueux dans les États du nord, surtout en Connecticut, Massachusets et Rhode-island. L’on peut considérer Long-island (Ile longue) comme un point de partage assez précis entre ces deux caractères de terrain: car de cette île allant au nord jusqu’à la rivière Sainte-Croix22, et même jusqu’à l’embouchure du Saint-Laurent, le rivage est élevé, rocailleux, parsemé de récifs qui tiennent au noyau du continent adjacent: au contraire, allant de Long-island vers le sud, la côte est continuellement une plage basse presque à fleur d’eau et de pur sable: ce sable, qui s’annonce pour un délaissement de la mer, se retrouve fort avant dans les terres. Il y sert de lit à la forêt de pins, sapins, et autres résineux dont j’ai parlé: à l’approche des montagnes, il se mêle avec une portion d’argile ou de gravier que les eaux ont amenée des hauteurs voisines: il en résulte un terrain jaunâtre, maigre, et meuble, qui domine dans la lisière moyenne des États du sud, dans le Maryland, la Pensylvanie, et le haut New-Jersey, à tel point que l’on peut considérer ces trois derniers États comme de grandes alluvions des fleuves Potômac, Susquehannah, Delaware et Hudson. Plus au nord, spécialement en Connecticut, Rhode-island et Massachusets, le pays est sillonné de monticules et de chaînons qui rendent âpre et raboteuse toute la Nouvelle-Angleterre proprement dite: l’on serait même tenté de croire cette contrée un prolongement de la lisière montueuse, si la nature granitique de ses pierres et la confusion de ses sillons ne la distinguaient des Alleghanys, essentiellement formés de grès, et qui concourent sur une ligne plus intérieure et plus occidentale.
§ II
La seconde contrée qui est située à l’est des Alleghanys, mérite le nom de Bassin de Mississipi, en ce que la presque totalité des rivières qui l’arrosent, versent médiatement ou immédiatement dans ce fleuve. Ce bassin a pour limites, à l’est, les Alleghanys; à l’ouest, le Mississipi; au nord, les lacs Michigan, Érié et Ontario; au sud enfin les Florides: l’on remarquera que vers le sud, dans la Géorgie occidentale, la majeure partie des eaux se rend au golfe du Mexique, et semble former une contrée distincte; mais le peu d’étendue qu’aurait cette contrée, relativement aux autres, et l’analogie de son climat, de ses productions, même de ses relations futures, m’engagent à comprendre dans le pays d’ouest ou de Mississipi, tout ce qui est situé au couchant de la rivière Apalache, que je regarde comme la limite naturelle de la côte atlantique, dans l’intérieur et vers sud-ouest.
Les États contenus dans le bassin de Mississipi sont, la Géorgie occidentale, le Tennessee, le Kentucki, le grand district Nord-d’Ohio, appelé Northwest-territory, et quelques portions occidentales des États de Virginie, de Pensylvanie et de New-York. Les habitants de la côte atlantique donnent à toute cette partie le nom de Back-Country (Pays de derrière), indiquant par-là leur attitude morale, constamment tournée vers l’Europe, berceau et foyer de leurs intérêts et de leurs pensées: par un cas singulier et cependant naturel, à peine eus-je traversé les Alleghanys, que j’entendis les riverains du grand Kanhawa23 et de l’Ohio, appeler aussi la côte atlantique Back-Country (Pays de derrière); ce qui prouve que déja leur situation géographique a donné à leurs regards et à leurs intérêts une direction nouvelle, conforme à celle des eaux qui leur servent de routes et de portes vers le golfe mexicain, foyer principal de l’ambition spéculative de tous les Américains.
Si l’on examine avec plus de détail cette grande contrée, l’on trouvera que la nature du sol et certaines limites naturelles de fleuves et de montagnes y forment une subdivision de 3 grands districts bien distincts.
Le premier est le pays situé au sud de la rivière Tennessee et du chaînon de l’Apalache qui l’enveloppe, d’où les rivières se versent au golfe du Mexique et au bas du Mississipi. Dans sa partie maritime, qui est la Floride, le sol est absolument plat, sablonneux et stérile au bord de la mer; marécageux, formant des prairies naturelles, quand on avance dans les terres, et alors gras et fécond principalement sur les banquettes des fleuves, où le riz et le maïs croissent de la plus grande taille. A peine trouverait-on une pierre de 2 ou 3 livres à la distance de 12 à 15 lieues du rivage. A mesure que l’on remonte vers l’intérieur, le pays devient plus collineux, le sol plus rocailleux, et aussi moins fertile, comme l’attestent les arbres de sa forêt, l’ilex, le pin, le sapin, les chênes rouge et noir, le magnolia, les cèdres rouge et blanc, le cyprès, et une foule d’arbustes indigènes des pays chauds. Un voyageur botaniste anglais24 en a fait un vrai paradis terrestre; mais en renvoyant ses descriptions poétiques aux romans sentimentaux, ce sera traiter raisonnablement ce pays, que de le comparer au Portugal ou à la côte de Barbarie, et assurément ce lot est beau.
Le second district a pour limites, au sud, la rivière de Tennessee; au nord, celle d’Ohio; à l’est, les Alleghanys; et à l’ouest, le Mississipi. Il comprend l’État de Kentucki et celui de Tennessee, que j’ai vu se constituer en 1796. Tout cet espace est prodigieusement brisé de monticules et de sillons rapides, et cependant la plupart boisé. Il est surtout traversé de l’est à l’ouest par le chaînon dit Cumberland qui a jusqu’à 30 milles de largeur, et qui court entre la rivière du même nom et celle de Tennessee. Dans les vallons et dans ce qu’il y a de plaines, le sol est