vallée calcaire qui se prolonge entre elles sans interruption depuis la Delaware et les territoires d’Easton et de Nazareth, jusqu’aux sources de la Shenandoa, par-delà Staunton34.
La troisième chaîne principale, l’Alleghany proprement dit, est le sillon le plus élevé à l’ouest qui, partageant toutes les eaux, sans être traversé d’aucune, a mérité le nom d’Endless ou Sillon sans fin. Celui-là pris à son extrémité sud, vient de l’angle de la Géorgie et de la Caroline, où il reçoit les noms divers de montagnes du Chêne-blanc, du Grand-fer, de montagne Chauve, et même de montagne Bleue35. Là il verse à l’ouest quelques branches de la rivière Tennessee; à l’est les fleuves des deux Carolines, auxquelles il sert de limite occidentale: arrivé en Virginie, il forme l’arc dont j’ai parlé, en se courbant vers le nord-ouest, et enveloppant les sillons précédents; puis il reprend sa route nord nord-est, envoie à l’Ohio les eaux du grand Kanhawa et de la Monongahéla; à l’océan Atlantique, celles des fleuves James, Potômac, Susquehannah, etc.: mais vers les sources de la branche ouest de ce dernier, il se divise en rameaux divers, dont les plus considérables se dirigent à l’est, et vont à travers toutes les eaux de la Susquehannah, se terminer au Catskill et aux sources de la Delaware sur l’Hudson; tandis que d’autres rameaux à l’est enveloppent les sources mêmes de la Susquehannah, et par Tyoga, vont fournir celles des lacs Iroquois ou du Génessee: à moins que l’on ne veuille attribuer ces rameaux à un sillon plus occidental qui, sous les noms de Gauley, de Laurel et de Chesnut-ridge, vient aussi se terminer dans cette contrée.
Outre les trois chaînes principales de la Virginie que je viens de décrire, il est encore plusieurs sillons intermédiaires, qui souvent les égalent en hauteur, en roideur, en continuité: tels sont ceux de Calf-pasture, de Cow-pasture36 et de Jackson, que j’ai traversés en me rendant de Staunton à Greenbrïar. C’est dans ces dernières montagnes que sont situées les eaux thermales de diverses qualités, célèbres en Virginie pour leurs cures, et désignées sous les noms de Warm-spring, source chaude tempérée; Hot-spring, source très-chaude; Red-spring, source rouge, etc.; Warm-spring que j’ai vu, est une source sulfureuse ammoniacale d’environ 20 degrés de chaleur: elle est située au fond d’un profond vallon en forme d’entonnoir, que tout indique avoir été le cratère d’un volcan éteint.
A l’ouest de l’Alleghany, vers le bassin d’Ohio, il est aussi plusieurs sillons remarquables; j’en ai traversé un premier sous le nom de Reynick37 et High-ballantines, 8 milles à l’ouest du town ou village de Green-brïar, et il m’a paru aussi élevé, mais bien plus large que Blue-ridge. De son plateau j’en vis une foule d’autres vers sud-ouest et nord-est. Quinze milles plus loin, par une route tortueuse, j’entrai dans une série d’autres chaînons que je ne cessai de traverser, pendant 38 milles, au nombre de 8 ou 10 jusqu’à celui de Gauley, le plus élevé, le plus rapide de tous, et le plus étroit sur sa crète. Je regarde tout l’espace de ces 38 milles, comme une seule et même plate-forme assez élevée. Par-delà le Gauley l’on ne traverse plus de haut chaînon qu’avec le cours des eaux dont on suit la direction, et souvent le lit; mais j’ai remarqué que le lit du grand Kanhawa se fait souvent jour à travers l’un des pays les plus scabreux que j’y aie rencontré. Beaucoup de ces sillons se dirigent sur l’Ohio, et nous verrons que quelques-uns doivent l’avoir traversé: ce Gauley-ridge prend son origine aux sources du grand Kanhawa, au sud-ouest de l’arc d’Alleghany; et sous le nom de Laurel-hill, de Chesnut-ridge, il va dans le nord se terminer aux têtes de la Susquehannah: au sud, les colons de Kentucky et de Tennessee ont étendu le nom de grand Laurel au rameau principal qui sépare le Kentucky de la Virginie; et ils ont communiqué le nom de Cumberland à sa continuation, qui côtoie et limite la rivière de Cumberland jusqu’à son embouchure. Je n’ai pas de renseignements suffisants sur cette partie. Le gouvernement des États-Unis a en main un moyen très-simple de s’en procurer un corps complet; ce serait de soumettre tous les arpenteurs par une ordonnance du collége de William et Mary de Williamsburg, où ils subissent leur examen et reçoivent leur patente, à ajouter des détails de topographie aux stériles procès verbaux de leurs alignements. En peu d’années, l’on aurait sans frais un système complet des montagnes et des eaux.
Il me reste à donner sur la structure intérieure de ces montagnes, c’est-à-dire sur la disposition et la nature des bancs et couches de pierre qui leur servent de noyau, les renseignements que j’ai pu me procurer; quelque incomplets qu’ils puissent être, j’ai lieu de croire qu’ils seront de quelque intérêt, ne fût-ce que par leur nouveauté; leur ensemble et le soin que j’y ai donné pour satisfaire les lecteurs qui attachent à la géographie physique l’importance que mérite cette science. Pour qui sait observer des faits et en tirer de sages inductions, la structure de notre globe est un livre bien autrement instructif et authentique sur ses révolutions et sur leur histoire, que les traditions, vagues d’abord et sans autorité, des peuples ignorants et sauvages, érigées ensuite en systèmes dogmatiques chez les peuples civilisés.
CHAPITRE IV. Structure intérieure du sol
PENDANT le cours de mes divers voyages dans les États-Unis, j’ai attaché un intérêt et un soin particuliers à recueillir des échantillons des bancs et couches de pierres que j’ai trouvés les plus dominants et les plus répandus: me trouvant quelquefois à pied plusieurs jours de suite, je n’ai pu me charger que de petits volumes; mais ils ont suffi à mon objet; et tous ces morceaux réunis ou comparés à ceux que des voyageurs étrangers m’ont communiqués ou donnés à Philadelphie, m’ont servi à déterminer à Paris, avec les secours de quelques minéralogistes, le genre et les dénominations de leurs couches-mères, et à mettre en ordre une espèce de géographie physique des États-Unis38.
En jugeant d’après ces moyens d’instruction, je crois pouvoir établir avec assez d’exactitude que le grand pays compris entre l’Atlantique et le Mississipi est divisé en 5 régions ou natures différentes de sol classées comme il suit.
§ I
La première région, qui est celle des granits, a pour limite la mer Atlantique, à prendre depuis Long-Island jusqu’à l’embouchure du Saint-Laurent; de là une ligne remontant ce fleuve jusqu’au lac Ontario, ou plutôt jusqu’à Kingston (alias Frontenac), et au lieu appelé Mille-îles; se portant, par les sources et le cours du Mohawk jusqu’au fleuve Hudson, le long duquel elle revient à son point de départ, Long-Island. Dans tout cet espace, le sol est assis sur des bancs granitiques qui forment la charpente des montagnes, et qui n’admettent, que par exception, des bancs d’autre nature. Le granit se montre à nu dans tous les environs de la ville de New-York: il est le noyau de Long-Island (Ile longue), autour de laquelle des sables ont été entassés et moulés par la mer: on le suit sans interruption sur toute la côte de Connecticut, de Rhode-Island, de Massachusets, en exceptant le cap Cod, qui est formé de sables apportés par le grand courant du golfe du Mexique et de Bahama39, dont j’aurai occasion de parler. Le granit se prolonge encore sur le rivage de New-Hamsphire et de Maine, où il est mêlé de quelques grès, et aussi de pierres à chaux, dont ce dernier pays approvisionne Boston. Il compose les nombreux écueils de la côte d’Acadie et le noyau des montagnes dites de Notre-Dame et de la Madeleine, situées à droite de l’embouchure du Saint-Laurent. Les rives de ce fleuve sont généralement schisteuses, cela n’empêche pas le granit de s’y montrer fréquemment en blocs détachés, et en écueils adhérents au lit. On le retrouve dans tous les environs de Québec; dans la masse du roc qui porte la citadelle; dans les montagnes assez hautes, qui sont au nord-ouest de cette ville; enfin, sous la cascade dite de Montmorency, où une petite rivière, qui vient du nord, se jette dans le Saint-Laurent, d’une