Гастон Леру

Les etranges noces de Rouletabille


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monsieur, calmez-vous, je ne mange pas de ce pain-là! interrompit Vladimir avec une admirable expression de dégoût! C'est ce que, chaque fois qu'elle parlait ainsi, j'ai fait comprendre à la princesse qui, voyant qu'elle me froissait dans mes sentiments naturels, voulut bien ne pas insister. Mais voici ce qui arriva. Ce manteau était l'objet de la jalousie de quelques amies de la princesse qui en discutaient le prix de façon fort déplaisante et qui ne voulaient point croire qu'elle l'eût payé cinquante mille roubles à un marchand de Moscou… à cause de quoi la princesse m'avait dit:

      «—Vladimir, pour les faire taire, ces péronnelles, vous devriez un jour ou l'autre porter ma fourrure au clou, la faire estimer, refuser bien entendu le prix que l'on vous en offrirait, et revenir avec mon manteau en proclamant la somme que l'on était prêt à vous avancer dessus!…»

      «Voilà ce que m'avait dit la princesse, et voilà ce que j'ai fait, monsieur, pas autre chose!… je le jure!…

      –Et moi, je jure que je ne comprends pas très bien, dit Rouletabille.

      –Vous allez comprendre, monsieur, et vous auriez déjà compris si votre impatience ne vous faisait m'interrompre tout le temps… Voilà la chose… Elle est simple… Le jour même de notre départ de Sofia, quand vous nous eûtes annoncé que nous partions pour une grande et longue expédition, quel a été mon premier mouvement?… Mon premier mouvement a été de courir chez la princesse pour me débarrasser de ce précieux manteau, que je ne voulais pas conserver plus longtemps sous ma responsabilité; le hasard fit que je pris justement par la rue où se trouve le Mont-de-Piété, et que, me trouvant en face de cette institution dont il avait été si souvent question entre la princesse et moi, je me suis mis à penser: «Tiens! voilà l'occasion de faire estimer le manteau!» J'entrai. On m'offrit de me prêter dessus la valeur de 43.000 francs!…

      –Et vous avez accepté?…

      –Non, monsieur, j'ai refusé. J'ai dit: Non!

      –Alors?

      –Alors, je ne sais par quelle fatalité, l'employé, qui était sans doute distrait, comprit que je lui répondais: Oui. Et voilà comment on m'allongea 43.000 levas sans que j'aie eu même le temps de protester!

      –Mais vous avez eu le temps de les ramasser!…

      –Ne me jugez pas mal, monsieur. En sortant du Mont-de-Piété, mon premier soin a été de renvoyer à la princesse sa «reconnaissance!»

      –Ah! ah! vous lui avez renvoyé sa «reconnaissance»… répéta Rouletabille, stupide devant un si prodigieux toupet…

      –Oui, monsieur, c'est comme je vous le dis! Je lui ai renvoyé sa «reconnaissance», et ainsi elle pourra retirer son manteau quand elle le voudra!

      –Oui-da! j'espère que la bonne dame vous sera reconnaissante d'une aussi délicate attention!…

      –Elle n'y manquera point, monsieur, je la connais..

      –Et qu'elle vous remerciera d'avoir pensé à un aussi infime détail…

      –Monsieur, entre nous, je lui devais bien ça!…

      –Mais vous lui devez aussi les 43.000 francs!

      –Qui est-ce qui le nie? monsieur. En même temps que je lui faisais parvenir sa «reconnaissance», qu'elle pourra montrer à ses amis, ce qui lui sera, comme elle le désirait, un motif de triomphe, je la prévenais que, partant le soir même, je n'avais pas le temps de passer chez elle, mais que je lui rapporterais cet argent dès mon retour à Sofia!

      –Brigand! Vous avez usé de cet argent comme s'il vous appartenait!

      –Eh! monsieur, la première chose que j'ai faite a été, à cause de mon bon coeur, de prêter quinze cents levas à La Candeur puis d'en distraire quinze cents pour moi, ce qui nous a permis à tous deux de nous présenter devant vous avec un équipement convenable.

      –Non content de payer vos effets avec de l'argent qui ne vous appartenait pas, vous avez joué le reste et vous l'avez perdu!…

      –Eh, monsieur, voilà pourquoi vous me voyez si ennuyé! Perdre son argent n'est rien, mais celui des autres peut vous causer bien des désagréments!…

      Rouletabille se retourna vers La Candeur.

      –Tu ne voudrais pas conserver cet argent volé? lui dit-il.

      –Et pourquoi donc? répondit La Candeur avec des larmes dans la voix, je ne l'ai pas volé, moi, cet argent! je l'ai honnêtement gagné, il est à moi!…

      Rouletabille ne répondit à cette parole égoïste et peu scrupuleuse que par un regard de mépris qui fit courber la tête à La Candeur. Finalement, le chef de l'expédition fit disparaître la liasse de billets dans sa poche.

      –Ah! mon Dieu! gémit le géant, je ne les reverrai plus.

      –Non, tu ne les reverras plus, fais-en ton deuil!… Je les remettrai moi-même à la princesse Kochkaref, à notre retour à Sofia!

      Vladimir déclara à son tour d'une voix plaintive et non dénuée d'amertume:

      –Du moment, monsieur, que vous trouvez que j'ai mal fait, c'est encore la meilleure solution. Au fond, que l'argent de cette dame soit dans votre poche ou dans celle de La Candeur, le résultat n'est-il pas le même pour moi?

      –Mais pour moi, canaille! crois-tu que c'est la même chose, glapit La Candeur en sautant sur Vladimir.

      Rouletabille dut les séparer.

      –Excuse-moi, Rouletabille, fit le pauvre La Candeur, en se laissant tomber sur son lit de camp qui, illico, s'effondra, c'était la première fois que je gagnais!…

      Rouletabille, sortit sans répondre, raide comme la justice. En rentrant sous sa tente, il trouva Athanase Khetew, éveillé, qui avait tout entendu.

      –Vous avez bien fait, lui dit le Bulgare, de leur prendre tout cet argent. Il pourra nous servir par les temps qui courent!

      Et il se retourna du côté de la toile pour continuer son somme, interrompu.

      Rouletabille en resta les bras ballants, puis il se remit, se coucha et s'endormit en se disant:

      –Décidément, je n'ai encore rien compris à l'âme slave!

      III

      LES COMITADJIS

      Le lendemain matin, la petite troupe continua de s'enfoncer vers le Sud-Est.

      –Il me semble que nous nous éloignons bien de l'armée, dit Rouletabille.

      –Je vous ai donné ma parole que nous la retrouverons à temps, répliqua Athanase.

      –Et Gaulow! lui cria la voix gutturale d'Ivana.

      –Nous le retrouverons aussi, Ivana!… mes cavaliers m'ont quitté pour faire de la bonne besogne… Quand ils auront des nouvelles sûres de Kara-Sélim, ils me les feront savoir… tranquillisez-vous!…

      Elle cingla sa bête et prit de l'avance, sans répondre.

      Athanase marchait tantôt très en avant de la bande et tantôt en arrière.

      Il paraissait encore plus sombre et préoccupé qu'à l'ordinaire.

      Soudain l'attention de Rouletabille fut attirée par une figure qu'il n'avait pas encore vue. Ce nouveau personnage avait dû rejoindre les muletiers à la première heure du jour. C'était un vieillard qui frappait par un certain air de majesté, bien qu'il fût habillé de haillons et qu'il marchât la tête basse et comme plongé dans un rêve…

      Rouletabille se rapprocha d'Athanase:

      –Qui est-ce? demanda-t-il.

      –C'est le bonhomme Cyrille, célèbre pour ses malheurs.

      –Il a l'air, en effet, très malheureux, dit Rouletabille.

      –Non, maintenant, la joie l'habite… Il a pu s'échapper des prisons d'Anatolie, et est revenu dans le pays qu'il n'avait point revu depuis la guerre de l'Indépendance.

      –Et