Guillaume Apollinaire

Alcools


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triste à mourir le jour où tu t'y vis

      Tu ressembles au Lazare affolé par le jour

      Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont à rebours

      Et tu recules aussi dans ta vie lentement

      En montant au Hradchin et le soir en écoutant

      Dans les tavernes chanter des chansons tchèques

      Te voici à Marseille au milieu des pastèques

      Te voici à Coblence à l'hôtel du Géant

      Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon

      Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et

      qui est laide

      Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde

      On y loue des chambres en latin Cubicula locanda

      Je m'en souviens j'y ai passé trois jours et autant à Gouda

      Tu es à Paris chez le juge d'instruction

      Comme un criminel on te met en état d'arrestation

      Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages

      Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'âge

      Tu as souffert de l'amour à vingt et à trente ans

      J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps

      Tu n'oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais

      sangloter

      Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a épouvanté

      Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants

      Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants

      Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare

      Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages

      Ils espèrent gagner de l'argent dans l'Argentine

      Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune

      Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez

      votre coeur

      Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels

      Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent

      Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges

      Je les ai vus souvent le soir ils prennent l'air dans la rue

      Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs

      Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque

      Elles restent assises exsangues au fond des boutiques

      Tu es debout devant le zinc d'un bar crapuleux

      Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux

      Tu es la nuit dans un grand restaurant

      Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant

      Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant

      Elle est la fille d'un sergent de ville de Jersey

      Ses mains que je n'avais pas vues sont dures et gercées

      J'ai une pitié immense pour les coutures de son ventre

      J'humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche

      Tu es seul le matin va venir

      Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues

      La nuit s'éloigne ainsi qu'une belle Métive

      C'est Ferdine la fausse ou Léa l'attentive

      Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie

      Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie

      Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied

      Dormir parmi tes fétiches d'Océanie et de Guinée

      Ils sont des Christ d'une autre forme et d'une autre croyance

      Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances

      Adieu Adieu

      Soleil cou coupé

      LE PONT MIRABEAU

      Sous le pont Mirabeau coule la Seine

      Et nos amours

      Faut-il qu'il m'en souvienne

      La joie venait toujours après la peine.

      Vienne la nuit sonne l'heure

      Les jours s'en vont je demeure

      Les mains dans les mains restons face à face

      Tandis que sous

      Le pont de nos bras passe

      Des éternels regards l'onde si lasse

      Vienne la nuit sonne l'heure

      Les jours s'en vont je demeure

      L'amour s'en va comme cette eau courante

      L'amour s'en va

      Comme la vie est lente

      Et comme l'Espérance est violente

      Vienne la nuit sonne l'heure

      Les jours s'en vont je demeure

      Passent les jours et passent les semaines

      Ni temps passé

      Ni les amours reviennent

      Sous le pont Mirabeau coule la Seine

      LA CHANSON DU MAL-AIMÉ

A Paul Léautaud

      Et je chantais cette romance

      En 1903 sans savoir

      Que mon amour à la semblance

      Du beau Phénix s'il meurt un soir

      Le matin voit sa renaissance.

      Un soir de demi-brume à Londres

      Un voyou qui ressemblait à

      Mon amour vint à ma rencontre

      Et le regard qu'il me jeta

      Me fit baisser les yeux de honte

      Je suivis ce mauvais garçon

      Qui sifflotait mains dans les poches

      Nous semblions entre les maisons

      Onde ouverte de la Mer Rouge

      Lui les Hébreux moi Pharaon

      Que tombent ces vagues de briques

      Si tu ne fus pas bien aimée

      Je suis le souverain d'Égypte

      Sa soeur-épouse son armée

      Si tu n'es pas l'amour unique

      Au tournant d'une rue brûlant

      De tous les feux de ses façades

      Plaies du brouillard sanguinolent

      Où se lamentaient les façades

      Une femme lui ressemblant

      C'était son regard d'inhumaine

      La cicatrice à son cou nu

      Sortit saoule d'une taverne

      Au moment où je reconnus

      La fausseté de l'amour même

      Lorsqu'il