dans les vingt-quatre dernières heures, avaient enfoui beaucoup d'objets. On a lutté contre le feu; mais le gouverneur avait eu l'affreuse précaution d'emmener ou de faire briser toutes les pompes.
L'armée se remet de ses fatigues; elle a en abondance du pain, des pommes de terre, des choux, des légumes, des viandes, des salaisons, du vin, de l'eau-de-vie, du sucre, du café, enfin des provisions de toute espèce.
L'avant-garde est à vingt werstes sur la route de Kasan, par laquelle se retire l'ennemi. Une autre avant-garde française est sur la route de Saint-Pétersbourg où l'ennemi n'a personne.
La température est encore celle de l'automne: le soldat a trouvé et trouve beaucoup de pelisses et des fourrures pour l'hiver. Moscou en est le magasin.
Trois cents chauffeurs ont été arrêtés et fusillés. Ils étaient armés d'une fusée de six pouces, contenue entre deux morceaux de bois; ils avaient aussi des artifices qu'ils jetaient sur les toits. Ce misérable Rostopchin avait fait confectionner ces artifices en faisant croire aux habitans qu'il voulait faire un ballon qu'il lancerait, plein de matières incendiaires, sur l'armée française. Il réunissait, sous ce prétexte, les artifices et autres objets nécessaires à l'exécution de son projet.
Dans la journée du 19 et dans celle du 20, les incendies ont cessé. Les trois quarts de la ville sont brûlés, entre autres le beau palais de Catherine, meublé à neuf. Il reste au plus le quart des maisons.
Pendant que Rostopchin enlevait les pompes de la ville, il laissait soixante mille fusils, cent cinquante pièces de canon, plus de cent mille boulets et bombes, quinze cent mille cartouches, quatre cent milliers de poudre, quatre cent milliers de salpêtre et de soufre. Ce n'est que le 19 qu'on a découvert les quatre cent milliers de salpêtre et de soufre, dans un bel établissement situé à une demi-lieue de la ville; cela est important. Nous voilà approvisionnés pour deux campagnes.
On trouve tous les jours des caves pleines de vin et d'eau-de-vie.
Les manufactures commençaient à fleurir à Moscou; elles sont détruites. L'incendie de cette capitale retarde la Russie de cent ans.
Le temps paraît tourner à la pluie. La plus grande partie de l'armée est casernée dans Moscou.
Le consul général Lesseps a été nommé intendant de la province de Moscou. Il a organisé une municipalité et plusieurs commissions, toutes composées de gens du pays.
Les incendies ont entièrement cessé. On découvre tous les jours des magasins de sucre, de pelleteries, de draps, etc.
L'armée ennemie paraît se retirer sur Kalouga et Toula. Toula renferme la plus grande fabrique d'armes qu'ait la Russie. Notre avant-garde est sur la Pakra.
L'empereur est logé au palais impérial du Kremlin. On a trouvé au Kremlin plusieurs ornemens servant au sacre des empereurs, et tous les drapeaux pris aux Turcs depuis cent ans.
Le temps est à peu près comme à la fin d'octobre à Paris. Il pleut un peu, et l'on a eu quelques gelées blanches. On assure que la Moskwa et les rivières du pays ne gèlent point avant la mi-novembre.
La plus grande partie de l'armée est cantonnée à Moscou, où elle se remet de ses fatigues.
L'avant-garde, commandée par le roi de Naples, est sur la Nara, à vingt lieues de Moscou. L'armée ennemie est sur Kalouga. Des escarmouches ont lieu tous les jours. Le roi de Naples a eu dans toutes l'avantage, et a toujours chassé l'ennemi de ses positions.
Les cosaques rôdent sur nos flancs. Une patrouille de cent cinquante dragons de la garde, commandée par le major Marthod, est tombée dans une embuscade de cosaques, entre le chemin de Moscou et de Kalouga. Les dragons en ont sabré trois cents, se sont fait jour, mais ils ont en vingt hommes restés sur le champ de bataille, qui ont été pris, parmi lesquels le major, blessé grièvement.
Le duc d'Elchingen est à Boghorodock; l'avant-garde du vice-roi est à Troitsa, sur la route de Dmitrow.
Les drapeaux pris par les Russes sur les Turcs dans différentes guerres, et plusieurs choses curieuses trouvées dans la Kremlin, sont partis pour Paris. On a trouvé une madone enrichie de diamans; on l'a aussi envoyée à Paris.
Il paraît que Rostopchin est aliéné. A Voronovo, il a mis le feu à son château, et a laissé l'écrit suivant attaché à un poteau:
«J'ai embelli pendant huit ans cette campagne, et j'y ai vécu heureux au sein de ma famille. Les habitans de cette terre, au nombre de dix-sept cent vingt, la quittent à votre approche, et moi je mets le feu à ma maison pour qu'elle ne soit pas souillée par votre présence.—Français, je vous ai abandonné mes deux maisons de Moscou avec un mobilier d'un demi-million de roubles.—Ici, vous ne trouverez que des cendres.» Signé comte FEDOR ROSTOPCHIN.
Le palais du prince Kurakin est un de ceux qu'on est parvenu à sauver de l'incendie. Le général comte Nansouty y est logé.
On est parvenu avec beaucoup de peine à tirer des hôpitaux et des maisons incendiées une partie des malades russes. Il reste encore environ quatre mille de ces malheureux. Le nombre de ceux qui ont péri dans l'incendie est extrêmement considérable.
Il a fait depuis huit jours, du soleil, et plus chaud qu'à Paris dans cette saison. On ne s'aperçoit pas qu'on soit dans le Nord.
Le duc de Reggio, qui est à Wilna, est entièrement rétabli.
Le général en chef ennemi Bagration est mort des blessures qu'il a reçues à la bataille de la Moskwa.
L'armée russe désavoue l'incendie de Moscou. Les auteurs de cet attentat sont en horreur aux Russes. Ils regardent Rostopchin comme une espèce de Marat. Il a pu se consoler dans la société du commissaire anglais Wilson.
L'état-major fait imprimer les détails du combat de Smolensk et de la bataille de la Moskwa, et fera connaître ceux qui se sont distingués.
On vient d'armer le Kremlin de cinquante pièces de canon, et l'on a construit des flèches à tous les rentrans. Il forme une forteresse. Les fours et les magasins y sont établis.
Le général baron Delzons s'est porté sur Dmitrow. Le roi de Naples est à l'avant-garde sur la Nara, en présence de l'ennemi, qui est occupé à refaire son armée, en la complétant par des milices.
Le temps est encore beau. La première neige est tombée hier. Dans vingt jours il faudra être en quartiers d'hiver.
Les forces que la Russie avait en Moldavie ont rejoint le général Tormazow. Celles de Finlande ont débarqué à Riga. Elles sont sorties et ont attaqué le dixième corps. Elles ont été battues; trois mille hommes ont été faits prisonniers. On n'a pas encore la relation officielle de ce brillant combat, qui fait tant d'honneur au général d'Yorck.
Tous nos blessés sont évacués sur Smolensk, Minsk et Mohilow. Un grand nombre sont rétablis et ont rejoint leurs corps.
Beaucoup de correspondances particulières entre Saint-Pétersbourg et Moscou font bien connaître la situation de cet empire. Le projet d'incendier Moscou ayant été tenu secret, la plupart des seigneurs et des particuliers n'avaient rien enlevé.
Les ingénieurs ont levé le plan de la ville, en marquant les maisons qui ont été sauvées de l'incendie. Il résulte que l'on n'est parvenu à sauver du feu que la dixième partie de la ville. Les neuf-dixièmes n'existent plus.
Tous les malades qui étaient aux hôpitaux de Moscou, ont été évacués dans les journées du 15, du 16, du 17 et du 18 sur Mojaïsk et Smolensk. Les caissons d'artillerie, les munitions prises, et une grande quantité