10, l'empereur résolut de marcher à l'ennemi, et de s'emparer de Smolensk en s'y portant par l'autre rive du Borysthène. Le roi de Naples et le maréchal duc d'Elchingen partirent de Liozna, et se rendirent sur le Borysthène, près de l'embouchure de la Bérésina, vis-à-vis Khomino, où, dans la nuit du 13 au 14, ils jetèrent deux ponts sur le Borysthène. Le vice-roi partit de Souraj, et se rendit par Janovitski et Lionvavistchi à Rasasna, où il arriva le 14.
Le prince d'Eckmülh réunit tout son corps à Donbrowna le 13.
Le général comte Grouchy réunit le troisième corps de cavalerie à Rasasna le 12.
Le général comte Eblé fit jeter trois ponts à Rasasna le 13.
Le quartier-général partit de Witepsk, et arriva à Rasasna le 13.
Le prince Poniatowski partit de Mohilow et arriva le 13 à Romanow.
Le 14, à la pointe du jour, le général Grouchy marcha sur Liadié; il en chassa deux régimens de cosaques, et s'y réunit avec le corps de cavalerie du général comte Nansouty.
Le même jour le roi de Naples, appuyé par le maréchal duc d'Elchingen, arriva à Krasnoi. La vingt-septième division ennemie, forte de cinq mille hommes d'infanterie, soutenue par deux mille chevaux et douze pièces de canon, était en position devant cette ville. Elle fut attaquée et dépostée en un moment par le duc d'Elchingen. Le vingt-quatrième régiment d'infanterie légère attaqua la petite ville de Krasnoi à la baïonnette avec intrépidité. La cavalerie exécuta des charges admirables. Le général de brigade baron Bordesoult et le troisième régiment de chasseurs se distinguèrent. La prise de huit pièces d'artillerie, dont cinq de 12 et deux licornes, et de quatorze caissons attelés, quinze cents prisonniers, un champ de bataille jonché de plus de mille cadavres russes, tels furent les avantages du combat de Krasnoi, où la division russe, qui était de cinq mille hommes, perdit la moitié de son monde.
S. M. avait, le 15, son quartier-général à la poste de Kovonitza. Le 16, au matin, les hauteurs de Smolensk furent couronnées; la ville présenta à nos yeux une enceinte de murailles de quatre mille toises de tour, épaisses de dix pieds et hautes de vingt-cinq, entremêlées de tours, dont plusieurs étaient armées de canons de gros calibre.
Sur la droite du Borysthène, on apercevait et l'on savait que les corps ennemis tournés revenaient en grande hâte sur leurs pas pour défendre Smolensk. On savait que les généraux ennemis avaient des ordres réitérés de leur maître de livrer la bataille et de sauver Smolensk. L'empereur reconnut la ville, et plaça son armée, qui fut en position dans la journée du 16. Le maréchal duc d'Elchingen eut la gauche appuyant au Borysthène, le maréchal prince d'Eckmühl le centre, le prince Poniatowski la droite; la garde fut mise en réserve au centre; le vice-roi en réserve à la droite, et la cavalerie sous les ordres du roi de Naples à l'extrême droite; le duc d'Abrantès, avec le huitième corps, s'était égaré et avait fait un faux mouvement.
Le 16, et pendant la moitié de la journée du 17, on resta en observation. La fusillade se soutint sur la ligne. L'ennemi occupait Smolensk avec trente mille hommes, et le reste de son armée se formait sur les belles positions de la rive droite du fleuve, vis-à-vis la ville, communiquant par trois ponts. Smolensk est considéré par les Russes comme ville forte et comme le boulevard de Moscou.
Le 17, à deux heures après midi, voyant que l'ennemi n'avait pas débouché, qu'il se fortifiait devant Smolensk, et qu'il refusait la bataille; que, malgré les ordres qu'il avait et la belle position qu'il pouvait prendre, sa droite à Smolensk, et sa gauche au cours du Borysthène, le général ennemi manquait de résolution, l'empereur se porta sur la droite, et ordonna au prince Poniatowski de faire un changement de front, la droite en avant, et de placer sa droite au Borysthène, en occupant un des faubourgs par des postes et des batteries pour détruire le pont et intercepter la communication de la ville avec la rive droite. Pendant ce temps, le maréchal prince d'Eckmühl eut ordre de faire attaquer deux faubourgs que l'ennemi avait retranchés à deux cents toises de la place, et qui étaient défendus chacun par sept ou huit mille hommes d'infanterie et par du gros canon. Le général comte Friant eut ordre d'achever l'investissement, en appuyant sa droite au corps du prince Poniatowski, et sa gauche à la droite de l'attaque que faisait le prince d'Eckmühl.
A deux heures après midi, la division de cavalerie du comte Bruyères, ayant chassé les cosaques et la cavalerie ennemie, occupa le plateau qui se rapproche le plus du pont en amont. Une batterie de soixante pièces d'artillerie fut établie sur ce plateau, et tira à mitraille sur la partie de l'armée ennemie restée sur la rive droite de la rivière, ce qui obligea bientôt les masses d'infanterie russe à évacuer cette position.
L'ennemi plaça alors deux batteries de vingt pièces de canon à un couvent, pour inquiéter la batterie qui le foudroyait et celles qui tiraient sur le pont. Le prince d'Eckmühl confia l'attaque du faubourg de droite au général comte Morand, et celle du faubourg de gauche au général comte Gudin. À trois heures, la canonnade s'engagea; à quatre heures et demie commença une vive fusillade, et à cinq heures, les divisions Morand et Gudin enlevèrent les faubourgs retranchés de l'ennemi avec une froide et rare intrépidité, et le poursuivirent jusque sur le chemin couvert, qui fut jonché de cadavres russes.
Sur notre gauche, le duc d'Elchingen attaqua la position que l'ennemi avait hors de la ville, s'empara de cette position, et poursuivit l'ennemi jusque sur le glacis.
A cinq heures, la communication de la ville avec la rive droite devint difficile, et ne se fit plus que par des hommes isolés.
Trois batteries de pièces de 12, de brèche, furent placées contre les murailles, à six heures du soir, l'une par la division Friant, et les deux autres par les divisions Morand et Gudin. On déposta l'ennemi des tours qu'il occupait, par des obus qui y mirent le feu. Le général d'artillerie comte Sorbier rendit impraticable à l'ennemi l'occupation de ses chemins couverts, par des batteries d'enfilade.
Cependant, dès deux heures après midi, le général ennemi, aussitôt qu'il s'aperçut qu'on avait des projets sérieux sur la ville, fit passer deux divisions et deux régimens d'infanterie de la garde pour renforcer les quatre divisions qui étaient dans la ville. Ces forces réunies composaient la moitié de l'armée russe. Le combat continua toute la nuit: les trois batteries de brèche tirèrent avec la plus grande activité. Deux compagnies de mineurs furent attachées aux remparts.
Cependant la ville était en feu. Au milieu d'une belle nuit d'août, Smolensk offrait aux Français le spectacle qu'offre aux habitans de Naples une éruption du Vésuve.
A une heure après minuit, l'ennemi abandonna la ville, et repassa la rivière. A deux heures, les premiers grenadiers qui montèrent à l'assaut ne trouvèrent plus de résistance; la place était évacuée; deux cents pièces de canon et mortiers de gros calibre, et une des plus belles villes de la Russie étaient en notre pouvoir, et cela à la vue de toute l'armée ennemie.
Le combat de Smolensk, qu'on peut à juste titre appeler bataille, puisque cent mille hommes ont été engagés de part et d'autre, coûte aux Russes la perte de quatre mille sept cents hommes restés sur le champ de bataille, de deux mille prisonniers, la plupart blessés, et de sept a huit mille blessés. Parmi les morts se trouvent cinq généraux russes. Notre perte se monte à sept cents morts et à trois mille cent ou trois mille deux cents blessés. Le général de brigade Grabouski a été tué; les généraux de brigade Grandeau et Dalton ont été blessés. Toutes les troupes ont rivalisé d'intrépidité. Le champ de bataille a offert aux yeux de deux cent mille personnes qui peuvent l'attester, le spectacle d'un cadavre français sur sept ou huit cadavres russes. Cependant les Russes ont été, pendant une partie des journées du 16 et du 17, retranchés et protégés par la fusillade de leurs créneaux.
Le 18, on a rétabli les ponts sur le Borysthène que l'ennemi avait brûlés: on n'est parvenu à maîtriser le feu qui consumait la ville que dans la journée du 18, les sapeurs français ayant travaillé avec activité. Les maisons de la ville sont remplies de Russes morts et mourans.
Sur douze divisions qui composaient la grande armée russe, deux divisions ont été entamées et défaites aux combats d'Ostrowno; deux l'ont été au combat de Mohilow, et six au combat