en lui disant: Est-ce que tu as envie de faire ton portemanteau aujourd'hui? C'est le mot d'ordre, et vous obtiendrez sa confession.
Adieu, ma chère maman. Clotilde est donc décidément grosse? j'en suis ravie. Caroline ne m'écrit point. Oscar est-il mieux portant et plus fort? Je vous embrasse bien tendrement; donnez-moi de vos nouvelles et croyez en vos enfants.
AURORE.
Comment traitez-vous l'ami vicomte? Faites-lui mes amitiés sincères, si toutefois vous êtes contente de lui.
XI
A M. CARON, A PARIS
Nohant, 19 novembre 1826.
Mon cher Caron,
Je partage bien sincèrement votre douleur, dont j'apprécie l'amertume. Je sais que vous étiez le modèle des bons fils et que jamais larmes ne furent plus vraies que les vôtres. Je n'essayerai point avec vous les vaines et communes consolations qu'on donne en pareil cas. Si vous êtes comme moi, ces stériles efforts ne feraient qu'aigrir votre chagrin. Sûre que votre raison vous dit, mieux que moi, toutes les raisons de notre soumission envers les immuables lois de la destinée, je me bornerai à pleurer avec vous dans toute l'effusion d'un coeur sincèrement attaché, qui partagera toujours vos plaisirs et vos peines.
Vous avez tort d'ajouter à des regrets trop fondés, des réflexions tristes mais imaginaires. Vous dites que cette perte vous laisse seul sur la terre. Sans doute, rien ne remplace une bonne mère; mais il vous reste de vrais amis. Vous êtes fait pour en avoir, et vous savez, j'espère, que vous en possédez de bien vrais dans Casimir et dans sa femme. Je regrette de n'être pas auprès de vous pour vous détourner de ces noires idées, et vous prouver qu'il est encore des coeurs qui s'intéressent à vous.
XII
A MADAME MAURICE DUPIN CHEZ MADAME GAZAMAJOU, A CHARLEVILLE (ARDENNES)
23 décembre 1826.
Ma chère maman,
Vous m'avez laissée bien longtemps sans nouvelles de vous, et j'ai moi-même attendu bien longtemps à vous remercier de votre lettre. Mais j'ai été si souffrante, et je le suis encore tellement, que j'ai bien de la peine à écrire. Ma santé se ressent du mois de décembre, et j'ai des maux de poitrine qui m'épuisent; je n'ai ni sommeil ni appétit. Tout me dégoûte, et je ne trouve de bon que l'eau claire, qui ne m'engraisse pas, comme vous pensez bien. La nuit, j'ai des oppressions insupportables, mon drap me semble peser cent livres, et je suis réduite à regarder les étoiles au lieu de dormir. Tout cela est fort ennuyeux, mais je ne perds pas courage. C'est un temps à passer. Depuis trois ans, l'hiver m'est très contraire, et le printemps me ramène la santé. J'attends cette douce saison avec impatience.
Vous avez bien raison de quitter Paris, où l'on se tue, où l'on se vole, où l'on est moins en sûreté qu'au milieu de la forêt Noire. Caroline doit se trouver bien heureuse de votre compagnie, et ne plus regretter Paris. Oscar vous distrait et vous intéresse. J'ai grande impatience de le revoir, il doit être bien grandi et bien avancé. Maurice est beau comme un ange. Madame Duplessis raffole de lui. Il dit aussi une foule de belles choses dans le plus singulier patois béricho-gascon qui se soit jamais entendu. Vous l'aimerez aussi, outre la parenté, car il a un charmant caractère.
Le pauvre vicomte doit s'ennuyer à périr de votre absence. Vous l'avez laissé bien cruellement, à ce qu'il me semble. C'est votre usage; mais s'accoutume-t-on aux rigueurs? Vous prétendez qu'il s'endort. Moi, je suis bien sûre qu'il médite ou qu'il tombe dans une mélancolie qui ressemble peut-être bien au sommeil; mais je parie que ce sont des soupirs que vous interprétez comme des ronflements dans votre cruauté.
Permettez-moi de vous embrasser, ma chère maman, et de vous souhaiter mille prospérités et une bonne santé surtout. Adieu, donnez-moi un peu plus souvent de vos nouvelles; embrassez pour moi ma soeur. Mes amitiés à Cazamajou30, je vous en prie. Casimir vous baise les mains.
XIII
A M. HIPPOLYTE CHATIRON, A PARIS
Nohant, mars 1827
Ce que tu me dis de St… me fait beaucoup de peine; Il ne veut soigner ni sa santé ni ses affaires, et n'épargne ni son corps ni sa bourse. Qui pis est, il se fâche des bons conseils, traite ses vrais amis de docteurs et les reçoit de manière à leur fermer la bouche. Je savais tout cela bien avant que tu me le dises, et j'avais été, avant toi, bourrée plus d'une fois de la bonne manière.
Je ne m'en suis jamais fâchée, parce que je sais que son caractère est ainsi fait et que, puisque j'ai de l'amitié pour lui, connaissant ses défauts, je ne vois pas de motif à la lui retirer maintenant qu'il suit sa pente. Cette découverte a dû te refroidir, je le conçois. Votre amitié n'était encore qu'une liaison mal affermie, attendant tout de l'avenir et ne recevant rien du passé. Sans doute, à ta place, trouvant cette âpreté de caractère chez quelqu'un que j'aurais jugé tout différent, j'aurais comme toi rabattu beaucoup du cas que j'en faisais.
Quant à moi, je voudrais pouvoir cesser de l'aimer, car ce m'est un continuel sujet de peines que de le voir en mauvais chemin et toujours refusant de s'en apercevoir. Mais on doit aimer ses amis jusqu'au bout, quoi qu'ils fassent, et je ne sais pas retirer mon affection quand je l'ai donnée. Je prévois que St…, avec les moyens de parvenir, n'arrivera jamais à rien. Je le prévois même depuis longtemps. Cette famille est fort décriée dans le pays et à trop juste titre. St… a beaucoup des défauts de ses frères, et c'est tout ce qu'on connaît de lui; car ses qualités, qui sont grandes et belles, celles d'une âme fortement trempée, capable de grandes vertus et de grandes erreurs, ne sont pas de nature à sauter aux yeux des indifférents et à être goûtées autrement qu'à l'épreuve.
On me saura toujours mauvais gré de lui être aussi attachée, et, bien qu'on n'ose me le témoigner ouvertement, je vois souvent le blâme sur le visage des gens qui me forcent à le défendre. Je ne retirerai donc de lui rien qui puisse flatter ma vanité; peut-être, au contraire, aura-t-elle beaucoup à souffrir de sa condition. Je craindrais, en examinant trop attentivement les taches de son caractère, de me refroidir sous ce prétexte, mais effectivement de céder à toutes ces considérations d'amour-propre et d'égoïsme qui font qu'on rapporte tout à soi, et qu'on devrait fouler aux pieds.
St… me sera toujours cher, quelque malheureux qu'il soit. Il l'est déjà, et plus il le deviendra, moins il inspirera d'intérêt, telle est la règle de la société. Moi, du moins, je réparerai autant qu'il sera en moi ses infortunes. Il me trouvera quand tous les autres lui tourneraient le dos, et, dût-il tomber aussi bas que l'aîné de ses frères, je l'aimerais encore par compassion, après avoir cessé de l'aimer par estime;—ceci n'est qu'une supposition pour te montrer quelle est mon amitié;—car on ne soupçonne pas de véritables torts à ceux qu'on aime, et je suis loin de me préparer à recevoir ce nouveau déboire de le voir s'abaisser. Mais il restera dans la misère. De tristes pressentiments m'avertissent que ses efforts pour s'en retirer l'y plongeront plus avant. Ce sera un grand tort aux yeux de tous, excepté aux miens.
Tu penses absolument comme moi à cet égard, puisque tu m'exhortes à ne lui pas retirer mon attachement. Tu peux être tranquille. Quant à toi, ce n'est pas tant de ses folies que tu es choqué que de l'aveuglement qui lui fait préférer ses faux amis aux vrais. Je ne te blâme point de cette impression. Je te demande seulement de la modérer par un sentiment de bonté et d'indulgence qui t'est naturel et qui te fera continuer tes bons offices, soit qu'il les accueille bien ou mal. S'il les méconnaît, ce sera par fausseté de jugement, jamais par vice de coeur.
Si j'étais homme, avec la volonté que j'ai de le servir, je répondrais de lui. Mais, femme, ce que je saurais obtenir de lui devient presque nul par la différence de sexe, d'état, et mille autres choses qui viennent à la traverse de mes bons desseins. Entraves cruelles que mon amitié maudit, mais qu'elle respecte, parce qu'il n'est donné qu'à l'amour. tout faible et inférieur qu'il est à l'autre sentiment, de les rompre.
XIV
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS
Nohant,