savoir votre tante dans une position douce et agréable. Elle serait heureuse sans le fardeau qu'elle supporte avec tant de patience et de douceur. Elle en est sur les dents. C'est un enfant acariâtre qu'il faut endurer tout le jour et veiller la nuit; elle se sacrifie à l'intérêt de ce malheureux enfant, qui ne peut pas lui en savoir gré, avec une résignation et une tendresse dont le coeur d'une mère est seul capable.
Nous avons beaucoup couru au Mont-Dore, aux environs, à Clermont, à Pontgibaud, où sont les mines de plomb, à Aubusson, où sont les belles manufactures de tapis. Enfin ce que nous avons fait en peu de temps est remarquable. J'ai pris la douche, j'ai été au bal, j'ai galopé à cheval, j'ai versé en voiture, et je pourrais faire une très longue relation de ce court voyage; mais je vous en épargne l'ennui.
Je me borne à vous dire, ma chère maman, que tout le monde se porte à merveille, gendre, fille et petit-fils. J'ai un appétit effrayant et j'ai pris l'habitude de dormir, que je trouve très agréable.
XVII
A M. CARON, A PARIS
Nohant, 22 novembre 1827.
Il y a bien longtemps, mon bon ami, que je veux vous écrire, et ma mauvaise santé, de jour en jour plus détraquée, m'empêche de faire rien qui vaille, de m'appliquer même au travail qui m'est le plus agréable, c'est-à-dire de m'entretenir avec les gens que j'aime. Au lieu de cela, il faut m'ennuyer en cérémonies depuis une semaine avec des gens occupés de politique et d'élections, que je comprends fort peu, mais qu'il faut avoir l'air de comprendre sous peine d'impolitesse, et devant qui il faut sembler s'intéresser prodigieusement au succès de choses dont on entend parler pour la première fois. Casimir avait l'air tout ce temps d'un chef de parti; et, grâce à ses efforts, des députés parfaitement libéraux ont été nommés dans tous les collèges environnants. J'en suis charmée, et je le suis encore davantage de voir cette corvée terminée et de ne plus voir la fièvre sur tous les visages.
Casimir m'a dit que vous aviez été malade, mon cher Caron. Donnez-nous de vos nouvelles; vous nous oubliez tout à fait, et vous avez tort; car vous avez toujours en nous de vrais et fidèles amis.
Ne craignez donc aucun refroidissement de notre part: ma mauvaise santé et les ennuyeuses élections ont été la seule cause de mon long silence. Casimir m'a dit que vous aviez éprouvé beaucoup de chagrins. Quelle qu'en soit la cause, croyez que je les partage du fond du coeur et qu'ils ne me trouveront jamais indifférente.
Voici l'ami Dutheil et le beau docteur34 qui me chargent de vous assurer de leur amitié et me forcent de vous dire adieu. Mais, auparavant, nous nous réunissons en corps pour vous prier de venir vous reposer ici de tous vos ennuis et boire sur eux le fleuve d'oubli, composé de vin de Champagne dont Casimir à découvert une nouvelle source dans sa cave.
Je crois que je serai obligée d'aller passer une huitaine à Paris pour consulter sur ma santé. Vous seriez bien aimable de me ramener ici et d'y passer une partie de l'hiver. Vous êtes bien sûr que j'emmènerai Pauline.
Adieu, mon cher Latreille; je vous embrasse de tout mon coeur et compte que vous accueillerez ma proposition favorablement.
AURORE.
XVIII
A M. CARON, A PARIS
Nohant, 1er avril 1828.
Mon cher Caron,
Il y a bien longtemps que je veux vous écrire; mais mon Maurice a été si malade pendant tout l'hiver, et moi, j'ai été si tourmentée de ses maux et des miens, que je n'ai donné signe de vie à personne; ce dont je reçois de vifs reproches de tous côtés.
Quoique vous y mettiez plus d'indulgence que les autres, en ne me grondant pas, je ne veux pas abuser plus longtemps de votre longanimité, et je viens enfin vous dire que je ne vous ai point oublié; car nous parlons de vous bien souvent, avec mon mari et nos amis de la Châtre, qui demandent toujours quand vous viendrez. Je voudrais bien avoir une bonne réponse à leur donner et je n'en perds pas l'espérance; car vous trouverez bien quelque temps à nous consacrer et vous savez qu'il y a ici de bon vin et de bons garçons.
J'espère que, dans quelques jours, nous aurons du beau temps qui me rendra moins maussade et mieux portante. Pour le présent, je suis tout à fait ganache et misérable, ne pouvant bouger de ma chambre et à peine de mon lit. Je suis grosse par-dessus le marché, et cela fait une complication de maux peu agréable. Il ne me faudrait pas moins que vous pour me rendre ma bonne humeur et la santé.
Que faites-vous maintenant, mon gros ami? avez-vous guéri ce vilain rhume qui vous fatiguait si fort, et êtes-vous un peu au courant de votre nouvel état de choses? Il y a bien longtemps aussi que Casimir dit tous les jours qu'il veut vous demander de vos nouvelles. Mais vous savez comme il est paresseux de l'esprit et enragé des jambes. Le froid, la boue, ne l'empêchent point d'être toujours dehors, et, quand il rentre, c'est pour manger ou ronfler.
Votre belle Pauline est-elle toujours aussi grosse et aussi bonne? Maurice est un lutin achevé. Il a été abîmé d'une coqueluche qui lui a ôté, pendant deux mois, le sommeil et l'appétit. Heureusement il va à merveille maintenant.
Quand vous viendrez, je veux que vous m'ameniez Pauline; vous savez que j'en aurai bien soin, et elle est si aimable et si douce, qu'elle ne vous sera guère à charge en route.
Voyez-vous souvent la famille Saint-Agnan35? J'ai été si paresseuse envers elle, que je ne sais ce qu'elle devient.
Maurice, qui s'endort sur mes genoux et me fatigue beaucoup, m'empêche de vous en dire davantage. Je laisse à Casimir le soin de vous répéter que nous vous aimons toujours et vous désirons vivement.
XIX
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS
Nohant, 7 avril 1828.
Ma chère maman,
Vous me traitez bien sévèrement, juste au moment où je venais de vous écrire, ne m'attendant guère à vous voir fâchée contre moi. Vous me prêtez une foule de motifs d'indifférence dont vous ne me croyez certainement pas coupable. J'aime à croire qu'en me grondant, vous avez un peu exagéré mes torts, et qu'au fond du coeur vous me rendiez plus de justice; car, vous m'aviez cru insensible à de si graves reproches, vous ne me les auriez pas faits.
J'espère qu'en apprenant que ma maladie avait été la seule cause de ce long silence, vous m'avez entièrement pardonné. Dites-le-moi bien vite; c'est un mauvais traitement pour moi que vos reproches, et j'ai besoin, pour me mieux porter, de savoir que vous m'avez rendu vos bontés.
J'ai appris de la famille Maréchal36 des nouvelles qui m'ont bien profondément affligée. J'en suis malade de chagrin et d'inquiétude. Je viens pourtant de recevoir une lettre d'Hippolyte m'annonçant que Clotilde est beaucoup mieux. Mais sa fille est morte! pauvre Clotilde, qu'elle est malheureuse! si bonne et si aimable! Elle ne méritait pas ces cruels chagrins. Elle ignore encore la perte de son enfant; mais il faudra qu'elle l'apprenne, et combien ce nouveau malheur lui sera amer! Je suis sûre que ma pauvre tante a le coeur brisé. Tout est chagrin et misère ici-bas.
Vous me mandez que Caroline est malade. Qu'a-t-elle donc? J'espère que cela n'est pas sérieux, puisque vous m'en parlez si brièvement. Veuillez m'en parler avec plus de détails, ma chère maman, ainsi que de vous-même. Je ne sais si c'est pour me punir que vous me donnez de mauvaises nouvelles sans y ajouter un mot pour les adoucir. Ce serait trop de sévérité.
Maurice va à merveille. Il est tous les jours plus aimable et plus joli.
Mais je me reproche de vanter mon bonheur, quand je pense à cette pauvre Clotilde, dont le sort, à cet égard, est si différent. L'aisance et les plaisirs ne sont rien au coeur d'une mère en comparaison de ses enfants. Si je perdais Maurice, rien sur la terre ne m'offrirait de consolation dans la retraite où je vis. Il m'est si nécessaire, qu'en son absence, je ne passe pas une heure sans m'ennuyer.
Ne me laissez pas plus