de ces épées n'a la moindre valeur”, répliqua-t-il.
Fervil rougit et s'avança d'un air menaçant. Marco mit une main entre eux.
“On part”, dit Marco.
Alec baissa soudain la pointe de l'épée contre le sol, leva le pied en l'air et, d'un coup de pied bien net, la brisa en deux.
Des éclats volèrent partout, ce qui stupéfia Fervil et les garçons.
“Est-ce qu'une bonne épée devrait faire ça ?” demanda Alec avec un sourire narquois.
Fervil cria et fonça sur Alec mais, alors qu'il s'approchait, Alec tendit le bout déchiqueté de la lame brisée et Fervil s'arrêta sur place.
En voyant la confrontation, les autres garçons tirèrent l'épée et se précipitèrent en avant pour défendre Fervil pendant que Marco et ses amis tiraient aussi l'épée pour défendre Alec. Tous les garçons restèrent là, se faisant face dans une confrontation tendue.
“Qu'est-ce que tu fais ?” demanda Marco à Alec. “Nous avons tous la même cause. C'est de la folie.”
“Et c'est pour cela que je ne peux pas les laisser se battre avec n'importe quoi”, répondit Alec.
Alec jeta l'épée brisée, tendit le bras et retira lentement une longue épée de sa ceinture.
“Voici mon travail”, dit Alec d'une voix forte. “J'ai réalisé moi-même cette épée dans la forge de mon père. Vous ne trouverez jamais de meilleure épée.”
Alec tourna soudain l'épée, saisit la lame et tendit le pommeau à Fervil.
Dans le silence tendu, Fervil regarda vers le bas. Il ne s'était visiblement pas attendu à ça. Il saisit le pommeau, ce qui laissa Alec sans défense et, un moment, on aurait dit qu'il envisageait de transpercer Alec avec cette épée.
Pourtant, Alec resta fièrement sur place sans avoir peur.
Lentement, les traits de Fervil s'adoucirent. Il comprenait visiblement qu'Alec s'était lui-même mis dans une situation où il était sans défense et il le regarda avec plus de respect. Il regarda vers le bas et examina l'épée. Il la soupesa dans sa main et la tint à la lumière. Finalement, au bout d'un long moment, il regarda Alec à nouveau, impressionné.
“C'est ton travail ?” demanda-t-il avec incrédulité.
Alec fit oui de la tête.
“Et je peux en forger beaucoup d'autres”, répondit-il.
Il s'avança et regarda Fervil avec intensité.
“Je veux tuer des Pandésiens”, ajouta-t-il. “Et je veux le faire avec de vraies armes.”
Un silence pesant et prolongé se fit dans la salle. Finalement, Fervil secoua lentement la tête et sourit.
Il baissa l'épée et tendit un bras. Alec le serra. Lentement, tous les garçons baissèrent les armes.
“J’imagine”, dit Fervil en souriant de plus en plus, “qu'on va pouvoir te trouver une place.”
CHAPITRE HUIT
Aidan voyageait seul sur la route de la forêt. Il n'était jamais parti aussi loin et il se sentait complètement seul au monde. Si ce n'était pour son Chien des Bois à côté de lui, il se serait senti abandonné, désespéré, mais Blanc lui donnait de la force quand Aidan passait la main dans sa courte fourrure blanche, malgré ses blessures graves. Ils boitaient tous les deux, tous les deux blessés par leur rencontre avec ce sauvage de charretier. A mesure que le ciel s'assombrissait, chacun de leurs pas leur faisait mal. A chaque boitement, Aidan se jurait que, s'il revoyait jamais cet homme, il le tuerait de ses propres mains.
Blanc gémit à côté de lui. Aidan tendit le bras et lui caressa la tête. Le chien était presque aussi grand que lui et c'était plus une bête sauvage qu'un chien. Aidan lui était reconnaissant non seulement pour sa compagnie mais aussi pour le fait qu'il lui avait sauvé la vie. Il avait sauvé Blanc parce que quelque chose en lui refusait de le laisser mourir et, en récompense, il avait survécu. Il le referait s'il le fallait, même s'il savait que cela reviendrait à être abandonné ici, au milieu de nulle part, certain de mourir de faim. Ça en valait quand même la peine.
Blanc gémit à nouveau et Aidan lui avoua qu'il avait faim lui aussi.
“Je sais, Blanc”, dit Aidan. “Moi aussi, j'ai faim.”
Aidan regarda les blessures de Blanc, d'où suintait encore du sang, et secoua la tête. Il se sentait mal à l'aise et démuni.
“Je ferais n'importe quoi pour t'aider”, dit Aidan. “Si seulement je savais comment !”
Aidan se pencha et l'embrassa sur la tête. Blanc avait la fourrure douce. Il posa la tête contre celle d'Aidan. C'était l'étreinte de deux personnes qui allaient ensemble vers la mort. Les sons produits par les créatures sauvages formaient une symphonie dans la forêt qui s'assombrissait et Aidan sentait brûler ses petites jambes, sentait qu'ils ne pourraient pas continuer bien plus longtemps, qu'ils allaient mourir ici. Ils étaient encore à plusieurs jours de n'importe où et, comme la nuit tombait, ils étaient vulnérables. Aussi puissant qu'il soit, Blanc n'avait plus la force de se repousser qui que ce soit, et Aidan, sans arme, blessé, ne valait pas mieux. Cela faisait des heures qu'aucun chariot n'était passé et Aidan soupçonnait qu'il n'en passerait aucun avant plusieurs jours.
Aidan pensa à son père, qui était à quelque endroit inconnu, et il sentit qu'il l'avait laissé tomber. S'il fallait qu'il meure, Aidan aurait au moins voulu mourir quelque part aux côtés de son père, en train de se battre pour une grande cause, ou chez lui, dans le confort de Volis. Pas ici, tout seul au milieu de nulle part. Chaque pas qu'il faisait semblait le rapprocher de la mort.
Aidan réfléchit à la courte vie qu'il avait vécue jusque-là, repensa à tous les gens qu'il avait connus et aimés, son père, ses frères et surtout Kyra, sa sœur. Il s'interrogea sur elle, se demanda où elle était à l'instant même, si elle avait traversé Escalon, si elle avait survécu au voyage à Ur. Il se demanda si elle pensait parfois à lui, si elle serait fière de lui maintenant qu'il essayait de l'imiter, de traverser Escalon lui aussi, à sa façon, pour aider leur père et la cause. Il se demanda s'il serait jamais devenu un grand guerrier et ressentit une profonde tristesse en se disant qu'il ne la reverrait jamais.
Aidan sentait qu'il s'affaiblissait à chaque pas qu'il faisait et, à présent, il ne pouvait pas faire grand chose d'autre que céder à ses blessures et à son épuisement. Il avançait de plus en plus lentement. Il jeta un coup d’œil à Blanc et le vit traîner les pattes, lui aussi. Bientôt, il faudrait qu'ils s'allongent et se reposent ici même, sur cette route, quoi qu'il arrive. C'était une pensée horrible.
Aidan crut entendre un bruit, faible au premier abord. Il s'arrêta et écouta attentivement. Blanc s'arrêta, lui aussi, et le regarda d'un air interrogateur. Aidan espéra, pria. S'était-il fait des idées ?
Soudain, le bruit se fit à nouveau entendre. Il en était sûr, cette fois-ci. Un grincement de roues. De bois. De fer. C'était un chariot.
Aidan se retourna. Son cœur s'emballa. Il plissa les yeux dans la lumière déclinante. D'abord, il ne vit rien puis, lentement, sûrement, il vit apparaître quelque chose. Un chariot. Plusieurs chariots.
Le cœur d'Aidan battait la chamade dans sa gorge. Tout juste capable de retenir son excitation, il sentait le grondement, entendait les chevaux et regardait la caravane se diriger vers lui. Cependant, à ce moment-là, son excitation se calma et il se demanda si ces gens pouvaient être hostiles. Après tout, qui d'autre pouvait bien voyager sur cette longue portion de route désolée, si loin de toute destination ? Il ne pouvait pas se battre, et Blanc, qui grognait sans conviction, n'avait plus vraiment la force de se battre, lui non plus. Ils étaient à la merci de tous ceux qui approchaient. C'était une pensée effrayante.
Le son devenait assourdissant à mesure que les chariots s'approchaient. Aidan se tenait avec assurance au centre de la route, comprenant qu'il ne pouvait pas se cacher. Il fallait qu'il prenne ce risque.