tribunaux. Il a eu dix-neuf condamnations et deux jurés suspendus. Pas un seul acquittement.
— C’est assez fort, reconnu Ray. Alors, pourquoi a-t-il changé de camp ?
— Il a fallu creuser pour ça, dit Keri. En fait, c’est Mags qui a compris. Tu veux expliquer ?
— Avec grand plaisir, dit-elle en levant les yeux de la mer de pages devant elle. Je suppose que passer une vie à mener des recherches fastidieuses paye de temps en temps. Jackson Cave avait un demi-frère du nom de Coy Trembley. Ils n’avaient pas le même père mais ont grandis ensemble. Coy avait trois ans de plus que Jackson.
— Coy était-il également avocat ? demanda Ray.
— Au contraire, dit Mags. Coy avait des problèmes avec la justice pendant son adolescence et dans sa vingtaine, des trucs principalement insignifiants. Mais à trente et un an, il a été arrêté pour agression sexuelle. En gros, il a été accusé d’avoir abusé d’une fille de neuf ans qui vivait au bout de la rue.
— Et Cave l’a défendu ?
— Pas officiellement. Mais il a pris un congé de neuf mois au bureau du procureur tout de suite après l’arrestation. Il n’était pas l’avocat officiel de Trembley et son nom ne figure sur aucun document légal remplis par le tribunal sur l’affaire.
— Je sens venir un « mais », dit Ray.
— Tu as raison, mon cher, déclara Mags. Mais, pour des histoires de taxes, il a déclaré travailler en tant que « consultant légal » durant cette période. Et j'ai comparé les termes utilisés dans les dossiers de l'affaire Trembley. Certains des termes et la logique sont très similaires aux affaires plus récentes de Cave. Je pense qu’on peut dire sans se tromper qu’il aidait son frère en secret.
— Comment s’en est-il sorti ? demanda Ray.
— Assez bien. L’affaire Coy Trembley s’est finie avec un jury suspendu. Les procureurs se demandaient s’il fallait le rejuger quand le père de la petite fille s’en pointé à l’appartement de Trembley et lui a tiré dessus cinq fois, dont une fois au visage. Il ne s’en est pas sorti.
— Bon sang, marmonna Ray.
— Ouais, acquiesça Keri. C’est à peu près à ce moment-là que Cave a donné sa démission au bureau du procureur. Il a disparu des radars pendant trois mois après ça. Ensuite, il est soudainement réapparu avec une nouvelle société qui s’occupait principalement de clients d’entreprise. Mais il a aussi fait un peu de défense pour col blanc et, au fil des ans, il a de plus en plus travaillé bénévolement pour des gens comme son demi-frère.
— Attends, dit Ray, incrédule. Je suis censé croire que ce type est devenu avocat de la défense pour honorer la mémoire de son frère mort ou quelque chose comme ça, pour défendre les droits du moralement grotesque ?
Keri secoua la tête.
— Je ne sais pas, Ray, dit-elle. Cave n’a quasiment jamais parlé de son frère au fil des ans. Mais quand il le faisait, il maintenait toujours que Coy avait été accusé à tort. Il était plutôt inflexible là-dessus. Je pense qu’il est possible qu’il ait commencé ses pratiques avec de nobles intentions.
— Ok. Disons que je lui laisse le bénéfice du doute à propos de ça. Alors qu’est-ce qui lui est arrivé, bon sang ?
Mags prit le relais à ce moment.
— Eh bien, il est assez clair que la culpabilité de la plupart de ses premiers clients bénévoles était très douteuse. Certains d'entre eux semblent avoir été choisis parmi des files d'attente ou sortis de la rue. À l'occasion, il s’en débarrassait ; généralement, il ne le faisait pas. Pendant ce temps, il se répandait en discours lors de conférences sur les libertés civiles, de bon discours en fait, très passionnés. On disait même qu'il pourrait se présenter aux élections un jour.
— Jusque-là, on croirait entendre une success story à l’américaine, dit Ray.
— Ça l’était, en convint Keri. Et ce jusqu’à environ dix ans auparavant. C’est à ce moment qu’il a pris l’affaire d’un gars qui ne correspondait pas au profil. C’était un kidnappeur d’enfant en série qui semblait le faire en tant que professionnel. Et il a payé Cave généreusement pour le représenter.
— Pourquoi a-t-il accepté cette affaire tout à coup ? demanda Ray.
— Ce n’est pas clair à cent pour cent, dit Keri. Son entreprise n'avait pas encore vraiment décollé. Alors c’était peut-être une décision financière. Peut-être qu'il ne voyait pas ce type comme étant aussi répréhensible que les autres. Les charges retenues contre lui concernaient le kidnapping sur gages, pas d’agression ni de maltraitance. Tout ce que faisait ce gars, c’était kidnapper des gosses et les vendre au plus offrant. Il était, pour utiliser une description généraliste, un « professionnel ». Quelle qu’en soit la raison, Cave a accepté ce type, l'a fait acquitter, puis les vannes se sont ouvertes. Il a commencé à prendre toutes sortes de clients similaires, dont beaucoup étaient moins.... professionnels...
— À peu près au même moment, ajouta Mags, l’entreprise s’est lancée. Il est passé d’une devanture de magasin à Echo Park au bureau luxueux du centre-ville qu’il a maintenant. Et il n’a jamais regretté.
— Je ne sais pas, dit Ray, sceptique. Il est difficile de voir la ligne de démarcation entre la lutte libertarienne civile pour les plus petits d'entre nous et le requin légal sans remords représentant les pédophiles et la coordination éventuelle d'un réseau d'enfants esclaves sexuels. J'ai l'impression qu'il nous manque une pièce.
— Eh bien, tu es un détective, Raymond, dit Mags, moqueuse. Par tous les moyens, détecte.
Ray ouvrit la bouche, sur le point de répliquer, avant de réaliser qu’il se faisait taquiner. Ils rirent tous les trois, content de pouvoir rompre la tension qui grandissait sans qu’ils ne s’en aperçoivent. Keri se replongea dans la discussion.
— Ce doit être lié à ce kidnappeur en série qu’il a représenté. C’est là que tout a changé. On devrait regarder cela de plus près.
— Qu’est-ce que tu as sur lui ? demanda Ray.
— Son affaire est plutôt une impasse, dit Mags, frustrée. Cave a représenté le type, l’a tiré d’affaire, puis ce gars a disparu des radars. Nous n’avons rien trouvé sur lui depuis.
— Quel est le nom du type ? demanda Ray.
— John Johnson, répondit Mags.
— Ça me semble familier, marmonna Ray.
— Vraiment ? demanda Keri, surprise. Parce qu’il n’y a presque rien sur lui. Cela ressemble à une fausse identité. Il n’y a aucune trace de son existence après qu’il ait été acquitté. C’est comme s’il avait quitté ce tribunal puis s’était évaporé.
— Pourtant, ce nom me dit quelque chose, dit Ray. Je pense que c’était avant que tu rejoignes les forces de l’ordre. Tu as essayé de trouver une photo d’identité ?
— J’ai commencé à chercher, dit Keri. Il existe soixante-quatorze John Johnson dans la base de données dont des portraits ont été pris le mois de son arrestation. Je n’ai pas encore eu le temps de tous les passer en revue.
— Je peux jeter un coup d’œil ?
— Vas-y, dit Keri qui releva l’écran et fit glisser son ordinateur vers lui. Elle vit qu’il était sur une piste mais qu’il ne voulait pas encore le dire à voix haute au cas où il se trompait. Tandis qu’il faisait défiler les images, il parlait presque distraitement.
— Vous avez dit toutes les deux qu’il a disparu des radars, comme s’il s’était évanoui, n’est-ce pas ?
— Hu-hum, dit Keri en l’observant de près tandis que sa respiration s’accélérait.