contre terre. Elle était si émaciée qu’elle avait l’air momifié. Ses vêtements sales et déchirés semblaient anormalement larges. Elle avait des cicatrices, plus ou moins récentes, témoignant de coups de fouet.
Elle devait avoir dix-sept ans, l’âge des deux autres victimes.
Ou peut-être pas…
Après tout, Meara Keagan avait vingt-quatre ans. Le tueur changeait peut-être son mode opératoire. Cette fille était trop amaigrie pour savoir.
Riley se tenait entre Bill et Lucy.
— On dirait qu’elle a encore plus souffert que les deux autres, remarqua Bill. Il a dû la garder plus longtemps.
La voix de Bill était chargée d’amertume. Riley lui adressa un regard en coin. Elle savait ce qui lui passait par la tête. Au moment où il avait enquêté, la fille devait être déjà prisonnière. Il se sentait responsable de sa mort.
Personne n’était responsable, mais Riley ne savait que dire pour le réconforter. Elle traînait, elle aussi, des échecs qui lui laissaient un goût amer dans la bouche.
Riley balaya du regard les environs. On n’apercevait que le palais de justice – un grand bâtiment en briques avec une horloge. Redditch était une charmante petite bourgade à l’architecture coloniale. Riley n’était pas surprise que le tueur ait pu déposer le corps ici, au milieu de la nuit, sans que personne s’en aperçoive. Tout le monde devait dormir, à ces heures-là. Bien sûr, le tueur n’avait laissé aucune empreinte sur les trottoirs en béton.
La police avait délimité la zone et gardait les badauds à l’écart. Cependant, la presse locale commençait à s’agglutiner.
Ça l’inquiéta. La presse n’avait pas encore fait le rapprochement entre les deux précédents meurtres et la disparition de Meara Keagan, mais ils finiraient par comprendre. Les gens sauraient. Et l’enquête deviendrait difficile.
Le chef de la police de Redditch, Aaron Pomeroy, se tenait non loin.
— Quand et comment le corps a-t-il été découvert ? demanda Riley.
— Un balayeur nettoie le matin. C’est lui qui l’a trouvée.
Pomeroy avait l’air très affecté. C’était un homme vieillissant et en surpoids. Même dans une petite ville comme ça, un policier de cet âge avait dû enquêter sur un meurtre ou deux, mais jamais rien d’aussi troublant.
L’agent Lucy Vargas s’approcha du corps.
— Notre tueur a beaucoup d’assurance, dit-elle.
— Pourquoi ?
— Il dépose les corps à la vue de tous, dit-elle. Metta Lunoe a été retrouvée dans un champ. Valerie Bruner au bord d’une route. Seulement la moitié des tueurs en série déplacent les corps après leur mort. Et ceux que le font les cachent ou les jettent. Celui-là doit être du genre arrogant.
Lucy avait bien retenu ses leçons…. Cependant, Riley n’était pas certaine de la suivre dans son raisonnement. Le tueur n’essayait pas de flamber. Il avait un objectif. Riley n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.
Ce devait être lié à la manière dont le corps était disposé. D’une manière à la fois maladroite et délibérée. Le bras gauche de la fille était levé au-dessus de sa tête, tout droit. Son bras droit, également très raide, descendait le long de son corps. Même la tête, dont la nuque avait été brisée, avait été alignée avec le reste du corps.
Lucy avait une tablette à la main.
— Lucy, tu peux me montrer les photos des deux autres corps ?
Elle les fit apparaître sur son écran. Riley et Bill se rapprochèrent.
Bill pointa le doigt vers l’image.
— Celui de Metta Lunoe est positionné exactement pareil. Celui de Valerie Bruner, c’est le contraire : c’est le bras droit qui est levé et le bras gauche qui descend le long de son corps.
Riley s’approcha et souleva le poignet du cadavre pour essayer de le bouger. Le corps était déjà trop raide. Il faudrait envoyer le corps à la médecine légale pour savoir à quelle heure elle était morte. Sans doute neuf heures plus tôt, d’après l’estimation de Riley.
Comme les autres, elle avait été déplacée peu de temps après sa mort.
Une idée commençait à chatouiller Riley… Le tueur avait disposé le corps avec beaucoup de soin. Il l’avait porté jusque là, en montant une volée de marches, puis l’avait soigneusement arrangé sur le sol. La position n’avait rien de logique.
Le corps n’était pas parallèle aux murs du belvédère. Il n’était pas orienté en direction de l’entrée du kiosque ou du palais de justice. On aurait dit que c’était le hasard.
Non, il ne fait rien par hasard, pensa-t-elle.
Le tueur essayait de dire quelque chose, mais quoi ?
— Que penses-tu de la position ? demanda-t-elle à Lucy.
— Je ne sais pas. Ce n’est pas courant chez les tueurs en série. C’est bizarre.
Elle débute, se rappela Riley.
Lucy n’avait peut-être pas remarqué que les affaires « bizarres » étaient justement la spécialité de Riley et du FBI en général. Pour des agents expérimentés comme Riley et Bill, ce qui était bizarre était devenu la routine.
— Lucy, fais voir la carte.
Lucy fit apparaître la carte sur son écran. Les points indiquaient les endroits où avaient été découverts les deux corps précédents.
— Ce n’est pas loin, dit Lucy. C’est dans un mouchoir de poche de moins de dix miles.
Oui, Lucy avait raison. En revanche, Meara Keagan avait disparu à quelques miles au nord, à Westree.
— Quelqu’un voit quelque chose ? demanda Riley à Lucy et à Bill.
— Pas vraiment, dit Lucy. Le corps de Metta Lunoe était dans un champ, en bordure de Mowbray. Valerie Bruner était le long de l’autoroute. Et maintenant, celle-ci, sur la place d’une petite ville. On dirait que le tueur cherche surtout des endroits qui n’ont rien en commun.
Ce fut alors qu’un cri retentit parmi les badauds.
— Je sais qui c’est ! Je sais qui l’a tuée !
Riley, Bill et Lucy se retournèrent. Un jeune homme gesticulait derrière la rubalise de la police.
— Je sais qui a fait le coup ! s’écria-t-il encore.
CHAPITRE HUIT
Riley détailla du regard l’homme qui criait. Plusieurs personnes autour de lui hochaient la tête et murmuraient, comme pour confirmer.
— Je sais qui a fait ça ! On le sait tous !
— Josh a raison, renchérit une femme non loin de lui. C’est sûrement Dennis.
— C’est un taré, dit un autre. Une bombe à retardement depuis le début.
Bill et Lucy s’approchèrent, mais Riley resta à sa place. Elle appela un policier.
— Faites-le venir, dit-elle.
Il était important de le séparer du groupe. Si tout le monde y allait de sa petite histoire, il serait difficile de démêler le vrai du faux. Dans l’hypothèse où il y avait effectivement du vrai à démêler…
Les journalistes s’agglutinaient déjà autour de l’homme. Riley ne pouvait tout simplement pas l’interroger devant eux.
Le policier leva la barrière de rubalise et fit signe à l’homme.