l’homme d’une voix agitée. C’est un taré. Tout le temps tout seul. Il fait peur aux filles. Il emmerde les femmes.
Riley sortit son calepin, tout comme Bill. Son partenaire avait un regard particulièrement concentré, mais elle savait qu’il ne fallait pas s’emballer. Ils ne savaient encore rien. Et puis, l’homme était si nerveux que Riley n’était pas certaine de faire confiance à son jugement. Elle voulait entendre quelqu’un d’un peu plus neutre.
— Quel est son nom complet ? demanda Riley.
— Dennis Vaughn, dit l’homme.
— Continue, souffla Riley à Bill.
Bill hocha la tête, sans cesser de prendre des notes. Riley s’avança vers le belvédère, où le chef de la police, Aaron Pomeroy, se tenait toujours près du corps.
— Chef Pomeroy, que pouvez-vous me dire sur Dennis Vaughn ?
A l’expression qui traversa le visage du policier, Riley comprit que ce nom n’était que trop familier.
— Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
— Vous pensez que c’est un suspect potentiel ?
Pomeroy se gratta les cheveux.
— Maintenant que vous le dites, peut-être. Ça vaut le coup de l’interroger.
— Pourquoi cela ?
— Eh bien, il nous cause des problèmes depuis des années. Exhibitionnisme, comportement obscène, ce genre de trucs. Il y a quelques années, il observait aux fenêtres. Il a passé quelques temps dans le centre psychiatrique du Delaware. L’année dernière, il s’est pris de passion pour une pom-pom girl du lycée. Il lui écrivait des lettres d’amour, il la suivait partout. La famille de la fille s’est débrouillée pour obtenir une injonction du tribunal, mais il l’a ignorée. Du coup, il a fait six mois de prison.
— Il a été relâché ? demanda-t-elle.
— En février.
Cette conversation devenait de plus en plus intéressante. Dennis Vaughn était sorti de prison juste avant les premiers meurtres. Etait-ce une coïncidence ?
— Les filles du coin n’arrêtent pas de se plaindre, dit Pomeroy. Apparemment, il prend des photos d’elles. Ce n’est pas un motif pour l’arrêter. Pas encore, du moins.
— Qu’avez-vous d’autre ? demanda Riley.
Pomeroy haussa les épaules.
— C’est un glandeur, si je puis me permettre. Il a trente ans et il n’a jamais travaillé. Il survit grâce à la famille – des tantes, des oncles, des grands-parents… Il est plutôt grincheux, ces derniers temps. Il en veut à tout le monde en ville, parce qu’il a fait six mois de taule. Il n’arrête pas de répéter : « un de ces jours… ».
— Un de ces jours… quoi ? demanda Riley.
— Personne ne le sait. Les gens disent que c’est une bombe à retardement. Ils ne savent pas ce qu’il a l’intention de faire. Mais il n’a jamais été vraiment violent.
Les pensées de Riley défilaient à toute allure. Etait-ce une piste fiable ?
Pendant ce temps, Bill et Lucy avaient terminé leur interrogatoire. Ils rejoignaient Riley et le chef de la police.
Bill avait l’air anormalement confiant – un changement d’attitude brutal.
— Dennis Vaughn, c’est notre homme, dit-il. Il correspond parfaitement au profil.
Riley ne répondit pas. C’était vrai, mais elle préférait ne pas tirer de conclusions hâtives.
De plus, la certitude dans la voix de Bill la mit mal à l’aise. Depuis qu’elle était arrivée, le comportement de Bill était instable. C’était une affaire très personnelle : il culpabilisait de n’avoir pas su la résoudre plus tôt. Mais son émotion pourrait devenir un problème. Elle avait besoin de s’appuyer sur lui.
Elle se tourna vers Pomeroy.
— Vous pouvez nous dire où le trouver ?
— Bien sûr, dit Pomeroy en pointant le doigt. Remontez la rue principale jusqu’à Brattleboro. Tournez à gauche. Sa maison est la troisième sur la droite.
Riley se tourna vers Lucy :
— Reste là et attends l’équipe des médecins. Ils peuvent emporter le corps. On a assez de photos.
Lucy hocha la tête.
Bill et Riley s’éloignèrent de la scène de crime. Aussitôt, des journalistes s’approchèrent, avec caméras et micros.
— Le FBI a-t-il un commentaire ? demanda l’un d’eux.
— Pas encore, dit Riley.
Elle se pencha pour passer en dessous de la rubalise, puis se faufila entre les badauds.
Un autre journaliste hurla :
— Ce meurtre a-t-il un rapport avec ceux de Metta Lunoe et de Valerie Bruner ?
— Ou avec la disparition de Meara Keagan ?
Riley se crispa. La rumeur n’allait pas tarder à courir qu’un tueur en série sévissait dans le Delaware.
— Pas de commentaire, dit-elle sèchement.
Elle ajouta :
— Si vous nous suivez, je vous fais arrêter pour obstruction à la justice.
Les journalistes reculèrent. Riley et Bill s’éloignèrent. L’affaire attirerait bientôt des journalistes et des équipes de télé plus agressives et aux méthodes douteuses. Ils allaient devoir gérer l’attention médiatique, en plus du reste.
La maison de Dennis Vaughn n’était pas loin. Ils atteignirent Brattleboro et tournèrent à gauche.
Sa maison était en mauvais état. Le toit penchait et avait été endommagé par la grêle. La peinture s’écaillait. L’herbe du jardin montait jusqu’aux genoux. Une vieille voiture était garée dans l’allée. Elle était sans doute assez large pour transporter un corps.
Bill et Riley frappèrent à la porte.
— Vous voulez quoi ? lança une voix.
— Vous êtes Dennis Vaughn ? répondit Bill.
— Oui, peut-être, pourquoi ?
Riley dit :
— Nous sommes du FBI. Nous aimerions vous parler.
La porte s’ouvrit. Dennis Vaughn apparut de l’autre côté de la moustiquaire, qui était toujours fermée. C’était un homme assez jeune, mais en surpoids et à l’allure négligée. Des poils se laissaient entrevoir sous son tee-shirt taché de nourriture.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Vaughn d’une voix agacée. Vous allez m’arrêter ?
— Nous voulons seulement vous poser quelques questions, dit Riley en lui montrant son badge. On peut entrer ?
— Pourquoi je vous ferais rentrer ? demanda Vaughn.
— Pourquoi vous ne nous feriez pas entrer ? rétorqua Riley. Vous avez quelque chose à cacher ?
— On pourrait revenir avec un mandat, ajouta Bill.
Vaughn secoua la tête. Il ouvrit le verrou et laissa les deux agents rentrer.
La maison était dans un désordre inouï. Le papier peint pendait. Le plancher était troué, ça et là. Il y avait très peu de mobilier, à part une paire de chaises et un canapé éventré. De la vaisselle sale traînait partout. Ça sentait mauvais.
Riley remarqua immédiatement les photographies punaisées sur les murs. Elles représentaient toutes des femmes ou des filles,