Оскар Уайльд

OSCAR WILDE Premium Collection


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ne veux pas qu’elle danse.

      HÉRODE. Ne te lève pas, mon épouse, ma reine, c’est inutile. Je ne rentrerai pas avant qu’elle n’ait dansé. Dansez, Salomé, dansez pour moi.

      HÉRODIAS. Ne dansez pas, ma fille.

      SALOMÉ. Je suis prête, tétrarque.

      [Salomé danse la danse des sept voiles.]

      HÉRODE. Ah! c’est magnifique, c’est magnifique! Vous voyez qu’elle a dansé pour moi, votre fille. Approchez, Salomé! Approchez, afin que je puisse vous donner votre salaire. Ah! je paie bien les danseuses, moi. Toi, je te paierai bien. Je te donnerai tout ce que tu voudras. Que veux-tu, dis?

      SALOMÉ [s’agenouillant] Je veux qu’on m’apporte présentement dans un bassin d’argent …

      HÉRODE [riant] Dans un bassin d’argent? mais oui, dans un bassin d’argent, certainement. Elle est charmante, n’est-ce pas? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent, ma chère et belle Salomé, vous qui êtes la plus belle de toutes les filles de Judée? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent? Dites-moi. Quoi que cela puisse être on vous le donnera. Mes trésors vous appartiennent. Qu’est-ce que c’est, Salomé.

      SALOMÉ [se levant] La tête d’Iokanaan.

      HÉDODIAS. Ah! c’est bien dit, ma fille.

      HÉRODE. Non, non.

      HÉRODIAS. C’est bien dit, ma fille.

      HÉRODE. Non, non, Salomé. Vous ne me demandez pas cela. N’écoutez pas votre mère. Elle vous donne toujours de mauvais conseils. Il ne faut pas l’écouter.

      SALOMÉ. Je n’écoute pas ma mère. C’est pour mon propre plaisir que je demande la tête d’Iokanaan dans un bassin d’argent. Vous avez juré, Hérode. N’oubliez pas que vous avez juré.

      HÉRODE. Je le sais. J’ai juré par mes dieux. Je le sais bien. Mais je vous supplie, Salomé, de me demander autre chose. Demandez-moi la moitié de mon royaume, et je vous la donnerai. Mais ne me demandez pas ce que vous m’avez demandé.

      SALOMÉ. Je vous demande la tête d’Iokanaan.

      HÉRODE. Non, non, je ne veux pas.

      SALOMÉ. Vous avez juré, Hérode.

      HÉRODIAS. Oui, vous avez juré. Tout le monde vous a entendu. Vous avez juré devant tout le monde.

      HÉRODIAS. Taisez-vous. Ce n’est pas à vous que je parle.

      HÉRODIAS. Ma fille a bien raison de demander la tête de cet homme. Il a vomi des insultes contre moi. Il a dit des choses monstrueuses contre moi. On voit qu’elle aime beaucoup sa mére. Ne cédez pas, ma fille. Il a juré, il a juré.

      HÉRODE. Taisez-vous. Ne me parlez pas … Voyons, Salomé, il faut être raisonnable, n’est-ce pas? N’est-ce pas qu’il faut être raisonnable? Je n’ai jamais été dur envers vous. Je vous ai toujours aimée … Peut-être, je vous ai trop aimée. Ainsi, ne me demandez pas cela. C’est horrible, c’est épouvantable de me demander cela. Au fond, je ne crois pas que vous soyez sérieuse. La tête d’un homme décapitée, c’est une chose laide, n’est-ce pas? Ce n’est pas une chose qu’une vierge doive regarder. Quel plaisir cela pourrait-il vous donner? Aucun. Non, non, vous ne voulez pas cela … Écoutez-moi un instant. J’ai une émeraude, une grande émeraude ronde que le favori de César m’a envoyée. Si vous regardiez à travers cette émeraude vous pourriez voir des choses qui se passent à une distance immense. César lui-même en porte une tout à fait pareille quand il va au cirque. Mais la mienne est plus grande. Je sais bien qu’elle est plus grande. C’est la plus grande émeraude du monde. N’est-ce pas que vous voulez cela? Demandez-moi cela et je vous le donnerai.

      SALOMÉ. Je demande la tête d’Iokanaan.

      HÉRODE. Vous ne m’écoutez pas, vous ne m’écoutez pas. Enfin, laissez-moi parler, Salomé.

      SALOMÉ. La tête d’Iokanaan.

      HÉRODE. Non, non, vous ne voulez pas cela. Vous me dites cela seulement pour me faire de la peine, parce que je vous ai regardée pendant toute la soirée. Eh! bien, oui. Je vous ai regardée pendant toute la soirée. Votre beauté m’a troublé. Votre beauté m’a terriblement troublé, et je vous ai trop regardée. Mais je ne le ferai plus. Il ne faut regarder ni les choses ni les personnes. Il ne faut regarder que dans les miroirs. Car les miroirs ne nous montrent que des masques … Oh! Oh! du vin! j’ai soif … Salomé, Salomé, soyons amis. Enfin, voyez … Qu’est-ce que je voulais dire? Qu’est-ce que c’était? Ah! je m’en souviens! … Salomé! Non, venez plus près de moi. J’ai peur que vous ne m’entendiez pas … Salomé, vous connaissez mes paons blancs, mes beaux paons blancs, qui se promènent dans le jardin entre les myrtes et les grands cyprès. Leurs becs sont dorés, et les grains qu’ils mangent sont dorés aussi, et leurs pieds sont teints de pourpre. La pluie vient quand ils crient, et quand ils se pavanent la lune se montre au ciel. Ils vont deux à deux entre les cyprès et les myrtes noirs et chacun a son esclave pour le soigner. Quelquefois ils volent à travers les arbres, et quelquefois ils couchent sur le gazon et autour de l’étang. Il n’y a pas dans le monde d’oiseaux si merveilleux. Il n’y a aucun roi du monde qui possède des oiseaux aussi merveilleux. Je suis sûr que même César ne possède pas d’oiseaux aussi beaux. Eh bien! je vous donnerai cinquante de mes paons. Ils vous suivront partout, et au milieu d’eux vous serez comme la lune dans un grand nuage blanc … Je vous les donnerai tous. Je n’en ai que cent, et il n’y a aucun roi du monde qui possède des paons comme les miens, mais je vous les donnerai tous. Seulement, il faut me délier de ma parole et ne pas me demander ce que vous m’avez demandé. [Il vide la coupe de vin.]

      SALOMÉ. Donnez-moi la tête d’Iokanaan.

      HÉRODIAS. C’est bien dit, ma fille! Vous, vous êtes ridicule avec vos paons.

      HÉRODE. Taisez-vous. Vous criez toujours. Vous criez comme une bête de proie. Il ne faut pas crier comme cela. Votre voix m’ennuie. Taisez-vous, je vous dis … Salomé, pensez à ce que vous faites. Cet homme vient peut-être de Dieu. Je suis sûr qu’il vient de Dieu. C’est un saint homme. Le doigt de Dieu l’a touché. Dieu a mis dans sa bouche des mots terribles. Dans le palais, comme dans le désert, Dieu est toujours avec lui … Au moins, c’est possible. On ne sait pas, mais il est possible que Dieu soit pour lui et avec lui. Aussi peut-être que s’il mourrait, il m’arriverait un malheur. Enfin, il a dit que le jour où il mourrait il arriverait un malheur à quelqu’un. Ce ne peut être qu’à moi. Souvenez-vous, j’ai glissé dans le sang quand je suis entré ici. Aussi j’ai entendu un battement d’ailes dans l’air, un battement d’ailes gigantesques. Ce sont de très mauvais présages. Et il y en avait d’autres. Je suis sûr qu’il y en avait d’autres, quoique je ne les aie pas vus. Eh bien! Salomé, vous ne voulez pas qu’un malheur m’arrive? Vous ne voulez pas cela. Enfin, écoutez-moi.

      SALOMÉ. Donnez-moi la tête d’Iokanaan.

      HÉRODE. Vous voyez, vous ne m’écoutez pas. Mais soyez calme. Moi, je suis très calme. Je suis tout à fait calme. Écoutez. J’ai des bijoux cachés ici que même votre mère n’a jamais vus, des bijoux tout à fait extraordinaires. J’ai un collier de perles à quatre rangs. On dirait des lunes enchaînées de rayons d’argent. On dirait cinquante lunes captives dans un filet d’or. Une reine l’a porté sur l’ivoire de ses seins. Toi, quand tu le porteras, tu seras aussi belle qu’une reine. J’ai des améthystes de deux espèces. Une qui est noire comme le vin. L’autre qui est rouge comme du vin qu’on a coloré avec de l’eau. J’ai des topazes jaunes comme les yeux des tigres, et des topazes roses comme les yeux des pigeons, et des topazes vertes comme les yeux des chats. J’ai des opales qui brûlent toujours avec une flamme qui est très froide, des opales qui attristent les esprits et ont peur des ténèbres. J’ai des onyx semblables aux prunelles d’une morte. J’ai des sélénites qui changent quand la lune change et deviennent pâles quand elles voient le soleil. J’ai des saphirs