battait beaucoup trop vite.
Elle sortit les jambes du lit, plaça les pieds sur le sol et se pencha en avant, posant les coudes sur les cuisses et se mettant la tête dans les mains. Quand elle eut donné à son corps quelques secondes pour qu’il s’acclimate à son véritable environnement (l’appartement de son amie Lacy, situé dans le centre-ville de Los Angeles), elle jeta un coup d’œil au réveil qui se trouvait sur la table de nuit. Il était 3 h 54 du matin.
Quand elle sentit la sueur commencer à sécher sur sa peau, elle se rassura.
Je ne suis plus dans cette cabane. Je ne suis plus dans cette maison. Je suis en sécurité. Ce ne sont que des cauchemars. Ces hommes ne peuvent plus me faire de mal.
Pourtant, en fait, ce n’était qu’à moitié vrai. Même Kyle, qui cesserait bientôt d’être son mari, était en prison, où il attendait d’être jugé pour divers crimes, dont sa tentative de tuer sa femme. Quant à son père, il n’avait jamais été capturé.
Il hantait encore ses rêves de façon régulière. Pire encore, elle avait récemment appris que, bien qu’elle ait été placée sous un régime de protection des témoins quand elle était enfant et bien qu’on lui ait donné une nouvelle maison et un nouveau nom, il était encore dans la nature et il la recherchait.
Jessie se leva et se dirigea vers la douche. Elle n’allait pas essayer de se rendormir. Elle savait que ce serait inutile.
De plus, une idée lui tournait dans la tête et elle voulait y réfléchir. Peut-être était-il temps qu’elle arrête d’accepter que ces cauchemars soient inévitables. Peut-être fallait-il qu’elle arrête de craindre que son père ne la retrouve un jour.
Peut-être était-il temps qu’elle le pourchasse elle-même.
CHAPITRE DEUX
Quand Lacy Cartwright, son ex-amie d’université et colocataire actuelle, entra dans la salle de petit déjeuner, Jessie était réveillée depuis plus de trois heures. Elle avait préparé du café frais et en versa une tasse à Lacy, qui approcha et la prit avec gratitude tout en remerciant Jessie d’un sourire sympathique.
“Tu as encore fait un cauchemar ?” demanda-t-elle.
Jessie hocha la tête. Pendant les six semaines que Jessie avait passées dans l’appartement de Lacy à essayer de se refaire une vie, son amie s’était habituée à ce que Jessie pousse des cris au beau milieu de la nuit et se réveille tôt le matin de façon plus ou moins régulière. À l’université, c’était arrivé de temps à autre, donc, ce n’était pas une surprise complète. Cependant, la fréquence avait augmenté de façon notable depuis que le mari de Jessie avait essayé de la tuer.
“Est-ce que j’ai crié fort ?” demanda Jessie d’un air désolé.
“Un peu”, reconnut Lacy, “mais tu t’es arrêtée de crier au bout de deux ou trois secondes. Je me suis rendormie immédiatement après.”
“Je suis vraiment désolée, Lace. Je devrais peut-être t’acheter de meilleurs bouchons d’oreilles tant que je n’ai pas encore déménagé ou une machine à réduction de bruit plus puissante. Je jure que je n’en ai plus pour très longtemps.”
“Ne t’inquiète pas pour ça. Tu t’en sors beaucoup mieux que si c’était moi”, insista Lacy en attachant ses longs cheveux en queue de cheval.
“Tu es gentille.”
“Ce n’est pas de la simple politesse, ma fille. Penses-y. Dans les deux derniers mois, ton mari a assassiné une femme, a essayé de te faire porter le chapeau puis a tenté de te tuer quand tu as découvert le pot aux roses. Sans compter ta fausse couche.”
Jessie hocha la tête mais ne dit rien. La liste d’horreurs de Lacy ne contenait pas son père tueur en série parce que Lacy ne connaissait pas son existence ; presque personne n’était au courant. Jessie préférait qu’il en soit ainsi, pour sa propre sécurité et pour celle de son amie. Lacy continua.
“Si c’était moi, je serais encore recroquevillée en position fœtale. Le fait que tu aies presque terminé ta kinésithérapie et que tu sois sur le point de commencer un programme de formation spécial du FBI me pousse à me demander si tu es une sorte de cyborg.”
Jessie était bien obligée d’admettre que, de ce point de vue, il était vraiment impressionnant qu’elle soit aussi autonome. Sa main se déplaça involontairement vers la partie gauche de son abdomen, où Kyle avait plongé le tisonnier. Les docteurs lui avaient dit qu’elle avait eu de la chance qu’il n’ait pas endommagé ses organes internes.
Elle avait une affreuse cicatrice. Quand on la rajoutait à celle qu’elle avait au travers de la clavicule depuis l’enfance, le résultat n’était pas esthétique. De temps à autre, elle sentait encore un élancement aigu à l’estomac mais, dans l’ensemble, elle allait bien. Une semaine auparavant, on lui avait permis de ne plus porter de canne et son kinésithérapeute avait seulement prévu une seule séance de rééducation de plus, qui devait avoir lieu aujourd’hui. Après cela, elle était censée effectuer les exercices requis toute seule. Par contre, elle était loin d’avoir terminé la rééducation mentale et émotionnelle dont elle avait besoin depuis qu’elle avait appris que son mari était un sociopathe et un assassin.
“J’imagine que ça ne va pas si mal”, finit-elle par répondre sans conviction en regardant son amie finir de s’habiller.
Lacy se mit ses talons hauts et, de grande femme, elle devint une Amazone complète. Avec ses jambes et ses pommettes longues, elle ressemblait plus à un mannequin en cavale qu’à une femme qui voulait devenir designer de mode. Elle avait les cheveux attachés en une haute queue de cheval qui laissait voir son cou. Elle était méticuleusement habillée dans une tenue qu’elle avait créée elle-même. Même si elle n’était encore qu’acheteuse en boutique de luxe, elle prévoyait d’ouvrir sa propre entreprise de design avant d’avoir trente ans et de devenir la designer de mode afro-américaine lesbienne la plus chic de tout le pays peu après.
“Je ne te comprends pas, Jessie”, dit-elle en se mettant son manteau. “Tu as été acceptée à Quantico dans un programme prestigieux du FBI réservé aux profileurs criminels prometteurs et l’idée ne semble pas t’enthousiasmer. J’avais pensé que tu sauterais sur cette occasion de changer de décor quelque temps. De plus, ça ne dure que dix semaines. Tu n’aurais même pas à déménager là-bas.”
“Tu as raison”, convint Jessie en finissant sa troisième tasse de café. “C’est juste qu’il se passe tant de choses ces temps-ci que je ne suis pas sûre que ce soit le bon moment. Le divorce avec Kyle n’est pas encore finalisé. Il faut encore que je vende la maison de Westport Beach. Physiquement parlant, je ne vais pas bien à cent pour cent. De plus, je me réveille en hurlant la plupart des nuits. Je ne suis pas sûre d’être prête à supporter le programme de formation à l’analyse du comportement du FBI.”
“Eh bien, tu ferais mieux de te décider vite”, dit Lacy en se dirigeant vers la porte de devant. “Ne dois-tu pas leur donner une réponse à la fin de la semaine ?”
“C’est exact.”
“Dans ce cas, tu pourras me dire quelle décision tu prendras. Et au fait, peux-tu ouvrir la fenêtre de ta chambre avant de partir ? Sans vouloir te vexer, ça sent comme une salle de gym, là-bas.”
Lacy partit avant que Jessie ait pu répondre. De toute façon, Jessie n’aurait pas su quoi dire. Lacy était une très bonne amie sur laquelle on pouvait toujours compter pour être franche mais le tact n’était pas son fort.
Jessie se leva et se dirigea vers sa chambre pour se changer. Elle s’aperçut dans le grand miroir qui était sur la porte et ne se reconnut pas tout de suite. De façon superficielle, elle était encore la même, avec ses cheveux bruns qui lui tombaient sur les épaules, ses yeux verts et son mètre soixante-dix-sept.