Merci. »
« Et surtout, appelez-nous si vous pensez à quoi que ce soit. Si, vous savez… quelque chose vous revient. »
Le ton de sa voix indiquait qu’il avait l’impression qu’elle ne lui disait pas tout. Mais son expression lui disait également que ce n’était pas forcément un problème. En étant détective à Washington, il avait peut-être déjà été confronté à des enquêtes liées à des agents du FBI, ou il en avait très certainement entendu parler.
Il fallait qu’elle s’en rappelle. Il ne la voyait sûrement pas comme une sœur paniquée, mais plutôt comme un agent rationnel qui savait qu’il y avait une procédure à suivre. Et de fait, elle savait qu’il y avait une procédure à suivre. Elle ne pouvait pas s’attendre à ce qu’on ignore les règles, juste parce que cette affaire lui était personnelle.
« Je n’y manquerai pas, » dit-elle. « Et merci. »
« Entretemps, nous allons diffuser le signalement de votre sœur et de sa voiture. »
Le détective se dirigea vers la chambre à coucher, pour rejoindre les autres policiers. Chloé se leva de son tabouret, en ne sachant pas vraiment où aller, ni quoi faire. Elle était toujours persuadée que c’était son père qui devait avoir fait quelque chose de mal. Danielle avait déjà fait des choses regrettables dans le passé mais Chloé ne pensait pas qu’elle soit capable de meurtre.
Leur père, en revanche, l’était tout à fait. Le passé le leur avait prouvé.
Et si Danielle était avec lui et que la situation entre eux était tendue, Chloé était sûre que son père n’aurait aucun scrupule à s’en prendre à elle afin de s’assurer de garder sa liberté.
Elle se dirigea vers la porte de l’appartement. Elle se dit qu’un passage par l’appartement de Danielle était l’étape suivante la plus logique. Peut-être qu’elle y trouverait des indices, ou des preuves que…
Son cheminement de pensée fut à nouveau interrompu par la sonnerie de son téléphone. Elle le sortit rapidement de sa poche et cette fois-ci, elle lut le nom qui s’affichait à l’écran avant de décrocher. Elle ne fut pas surprise de ne pas y voir le nom de Danielle, mais elle fut déçue en voyant qui l’appelait.
Directeur Johnson.
Elle décrocha en sachant qu’elle devait faire attention à ce qu’elle disait. Elle ne voulait pas que Johnson sache qu’elle avait appelé la police. Le moins il en savait sur ses problèmes familiaux, le mieux ce serait.
« Fine, » dit-elle, en décrochant.
« Fine, c’est Johnson. Vous êtes en ville ? »
« Oui, monsieur. »
« Vous êtes bien reposée ? Est-ce que ces deux derniers jours vous ont fait du bien ? »
« Je me sens en pleine forme, monsieur. »
« Tant mieux. Écoutez, je sais que c’est un peu dernière minute et que ça ne vous laisse pas beaucoup le temps de souffler après votre dernière affaire, mais je voudrais que vous veniez me voir. J’ai une autre affaire dont j’aimerais discuter avec vous. C’est assez urgent, alors j’apprécierais que vous puissiez venir assez vite. »
Elle se sentit soudain submergée en s’imaginant essayer de travailler sur une enquête, avec tout ce qui se passait actuellement dans sa vie privée. Mais elle savait que si elle refusait de venir, Johnson allait poser des questions. Et plus il allait en poser, plus il se rapprocherait de la vérité.
« Je serai là dans dix minutes, » dit-elle.
« Parfait. »
Johnson raccrocha. Chloé regarda autour d’elle et pendant un moment, elle resta immobile et silencieuse avant de se diriger vers la porte d’entrée. Elle avait non seulement l’impression d’abandonner le mystère que cet endroit renfermait, mais aussi sa sœur.
CHAPITRE TROIS
Danielle savait qu’à une époque, elle avait mené une vie toxique – guidée par un mauvais choix de partenaires, de l’alcool et des drogues en excès, et son dédain pour l’autorité. Elle en était bien consciente et elle n’avait aucun problème avec ça. Le fait d’accepter cette partie de son passé était une manière de parvenir à le laisser derrière elle. Et l’une des choses positives qu’elle retirait de ce passé sombre, c’était que ça l’avait obligée à être tout le temps en mouvement, à déménager continuellement. D’un état à l’autre.
Entre l’âge de dix-sept ans et de vingt-cinq ans, elle avait vécu dans neuf villes différentes, sur cinq états. C’était comme ça qu’elle connaissait Millseed, au Texas.
Millseed était un trou perdu. Quand elle y avait vécu, il y a quatre ans, cette ville minuscule était déjà au bout du rouleau. La population de quatre cents habitants suffisait à peine pour faire survivre l’épicerie et le petit magasin qui se trouvaient au centre-ville.
Il n’y avait même pas vraiment de quartier résidentiel. Il y avait quelques maisons ici et là, le long des routes à deux bandes, et deux parcs à mobil homes juste après les limites de la ville. Danielle avait vécu dans l’un de ces parcs pendant sept mois plutôt difficiles de sa vie. La méthamphétamine était monnaie courante et elle ne savait toujours pas comment elle était parvenue à ne pas en consommer. L’homme avec lequel elle vivait à l’époque y était devenu accro et il se trouvait actuellement en prison pour en avoir distribué.
Mais en arrivant à Millseed il y a deux jours, Danielle ne s’était pas arrêtée au parc à mobil homes. Elle fut d’ailleurs assez surprise de constater que l’endroit existait toujours. Elle avait continué à rouler sur huit cents mètres, jusqu’à un bâtiment qui était autrefois l’abattoir municipal. C’était un édifice quelconque, niché derrière un terrain vague envahi de mauvaises herbes, de plantes grimpantes et de buissons épineux. Le bâtiment était encore pire que dans ses souvenirs. En voyant son allure sale et crasseuse, elle se rappela qu’il avait également été utilisé à des fins beaucoup plus glauques. Après avoir fait office d’abattoir pour des milliers de cochons, il avait été utilisé pour produire de la méthamphétamine et de l’ecstasy de basse qualité. Elle l’avait appris par les gens qu’elle fréquentait à l’époque, ces paumés avec qui elle avait traînés pendant les mois où elle avait vécu à Millseed.
Mais maintenant, Danielle se demandait si elle n’avait pas été ramenée vers Millseed pour une autre raison – pour une raison qui la dépassait. C’était le premier endroit qui lui était venu en tête quand elle avait pensé à ce qu’elle allait faire, et c’était vraiment l’endroit parfait.
Debout devant l’abattoir, les yeux perdus dans le terrain vague qui se trouvait devant elle, elle se dit que la vie n’était parfois qu’un vaste cercle, qui pouvait quelquefois vous ramener à un endroit dont vous étiez parvenu à vous échapper de justesse. Elle fumait une cigarette, quelque chose qu’elle n’avait plus fait depuis qu’elle avait quitté cet endroit misérable, et elle réfléchissait à ce qu’elle allait faire ensuite.
Elle avait amené son père jusqu’ici pour le tuer et maintenant, elle était parvenue au point de non-retour. Une partie d’elle avait très envie d’appeler Chloé pour la mettre au courant. Elle voulait au moins que sa sœur sache qu’elle n’était pas en danger. Elle lui devait au moins ça.
De plus… ce qu’elle venait de faire allait avoir des répercussions sur leurs vies à toutes les deux. Danielle partait du principe qu’elle n’échapperait jamais à ce qu’elle avait fait… qu’elle devrait faire face aux conséquences de ses actes pendant le reste de sa vie. Mais pour Chloé, ce serait différent. Elle aurait à faire face à un tout autre genre de séquelles et vivre le reste de sa vie en essayant de comprendre pourquoi sa sœur avait fait une telle chose.
Danielle