DIX-SEPT
CHAPITRE PREMIER
Eliza Longworth prit une grande gorgée de son café tout en contemplant l’Océan Pacifique et en s’émerveillant de la vue dont elle jouissait à seulement quelques pas de sa chambre. Parfois, il fallait qu’elle se souvienne de la chance qu’elle avait.
Son amie de vingt-cinq ans, Penelope Wooten, était assise dans la chaise longue d’à côté, sur le patio qui surplombait le canyon de Los Liones. Cette journée de mars était relativement claire et, au loin, l’Île de Catalina était visible. Quand elle regardait à sa gauche, Eliza voyait les tours brillantes du centre-ville de Santa Monica.
C’était un lundi en milieu de matinée. Les enfants avaient été envoyés à la crèche et à l’école et, après l’heure de pointe, la circulation s’était apaisée. La seule chose que ces amies de longue date avaient prévu de faire avant le déjeuner était de se délasser dans le manoir de trois étages d’Eliza, bâti sur le coteau de Pacific Palisades. Si Eliza n’avait pas nagé dans le bonheur à ce moment-là, elle aurait même pu commencer à se sentir un peu coupable mais, quand l’idée lui vint en tête, elle la rejeta immédiatement.
Tu auras des quantités de temps pour stresser aujourd’hui. Permets-toi de te détendre pour l’instant.
— Tu veux que j’aille te chercher du café ? demanda Penny. Il faut que j’aille au petit coin, de toute façon.
— Non, merci. J’en ai assez bu pour l’instant, dit Eliza.
Alors, avec un sourire espiègle, elle ajouta :
— Au fait, quand il n’y a que des adultes, tu sais que tu peux dire que tu vas aux toilettes, hein ?
Penny lui répondit en lui tirant la langue et se leva, dépliant de la chaise ses jambes incroyablement longues comme une girafe qui se lève après une sieste. Ses longs cheveux blonds chatoyants, tellement plus stylés que ceux d’Eliza qui, châtain clair, lui tombaient sur les épaules, étaient attachés en une queue de cheval utilitaire à la mode. Elle avait encore l’apparence de l’ex-mannequin de mode qu’elle avait été jusqu’au jour où, peu avant d’avoir trente ans, elle avait abandonné cette carrière pour vivre une vie certes moins excitante mais beaucoup moins frénétique.
Elle rentra dans la maison, laissant Eliza seule avec ses pensées. Presque immédiatement, malgré tous ses efforts, Eliza se souvint de la conversation qu’elles avaient eue quelques minutes plus tôt. Elle se la remémora en boucle comme si elle ne pouvait s’en empêcher.
— Gray a l’air si distant, ces derniers temps, avait dit Eliza. Notre seule priorité était toujours de manger en famille avec les enfants mais, depuis qu’il a été promu associé principal, il a dû aller à tous ces dîners de travail.
— Je suis sûre qu’il le regrette autant que toi, lui avait assuré Penny. Quand vous vous serez habitués à ce changement, vous retrouverez probablement votre ancienne routine.
— Je peux accepter qu’il travaille plus longtemps. Je comprends ça. Maintenant, il est plus responsable de la réussite de l’entreprise. Ce qui m’énerve, c’est qu’il ne semble pas le regretter. Il n’a jamais dit qu’il regrettait de ne pas être ici plus souvent. Je ne suis même pas sûre qu’il l’ait remarqué.
— Je suis sûre qu’il l’a remarqué, Lizzie, avait dit Penny. Seulement, il doit s’en sentir coupable. S’il reconnaissait ce qu’il rate en étant moins souvent ici, cela le ferait souffrir encore plus. Je parie qu’il essaie de ne pas y penser. C’est ce que je fais, parfois.
— Qu’entends-tu par là ? demanda Eliza.
— Je prétends qu’une chose assez peu admirable que je fais dans ma vie n’est pas si grave parce que, si j’admettais qu’elle était grave, j’aurais encore plus de mal à la supporter.
— Que fais-tu donc de si grave ? demanda Eliza d’un ton moqueur.
— Déjà, la semaine dernière, j’ai mangé la moitié d’un paquet de Pringles d’un seul coup, et ensuite, j’ai fâché les enfants parce qu’ils voulaient de la glace pour le quatre heures. Voilà, c’est tout.
— Tu as raison. Tu es quelqu’un d’horrible.
Penny tira la langue avant de répondre. Penny aimait beaucoup tirer la langue.
— Ce que je veux dire, c’est qu’il est peut-être moins inconscient qu’on dirait. As-tu envisagé d’avoir recours à un thérapeute ?
— Tu sais que je ne crois pas à ces conneries. De plus, pourquoi irais-je voir un thérapeute alors que tu es là ? Entre la thérapie de Penny et le yoga, j’ai tout ce qu’il me faut sur le plan émotionnel. Au fait, est-ce qu’on se retrouve encore demain matin chez toi ?
— Absolument.
Maintenant qu’elle y repensait, sérieusement, la thérapie de couple n’était peut-être pas une si mauvaise idée. Eliza savait que Penny et Colton y allaient une semaine sur deux et qu’ils semblaient s’en porter mieux. Si elle y allait, elle