Kyle avait reçu une promotion au bureau de l’entreprise, dans le Comté d’Orange, et il avait insisté pour qu’ils déménagent dans une maison de luxe située là-bas. Jessie avait consenti, malgré son appréhension. Ce n’était qu’à cette occasion que la vraie nature de Kyle était apparue. Il avait absolument tenu à rejoindre un club secret qui s’était avéré être la couverture d’un réseau de prostitution. Il avait commencé à coucher avec une des femmes du club et, quand il avait eu des problèmes avec elle, il l’avait tuée et avait tenté de faire accuser Jessie du meurtre. Comme si cela n’avait pas suffi, quand Jessie avait découvert son plan, il avait essayé de la tuer, elle aussi.
Pourtant, même maintenant, alors qu’elle examinait la photo de mariage, il était impossible d’y détecter ce dont son mari était finalement capable. Il ressemblait à un futur conquérant beau, aimable quoiqu’un peu brutal. Jessie froissa la photo et la jeta vers la poubelle de la cuisine. Elle tomba en plein dedans et, à sa grande surprise, Jessie se sentit toute libérée.
Diable ! Ça doit vouloir dire quelque chose.
D’une façon ou d’une autre, cet appartement la libérait. Tout, dont le nouveau mobilier, l’absence de souvenirs personnels, même les mesures de sécurité qui frôlaient la paranoïa, tout lui appartenait. Elle recommençait à zéro.
Elle s’étira pour permettre à ses muscles de se détendre après le long vol dans cet avion bondé. Cet appartement lui appartenait. En plus de six ans, c’était le premier endroit duquel elle pouvait vraiment le dire. Elle pouvait manger une pizza sur le sofa et laisser la boîte à côté sans craindre que quelqu’un se plaigne. Ce n’était pas qu’elle faisait ce genre de chose mais, le plus important pour elle, c’était de pouvoir le faire.
Quand elle pensa à la pizza, cela lui donna faim. Elle se leva et ouvrit le réfrigérateur, qui était non seulement vide mais également éteint. Ce ne fut qu’à ce moment-là qu’elle se souvint qu’elle l’avait laissé comme ça, car elle n’avait pas vu pourquoi elle aurait dû payer l’électricité pendant ses deux mois et demi d’absence.
Elle rebrancha le réfrigérateur et, comme elle se sentait agitée, elle décida d’aller faire des courses. Alors, elle eut une autre idée. Comme elle ne reprenait le travail que le lendemain et comme il n’était pas trop tard dans l’après-midi, il y avait un autre endroit où aller. Elle pouvait aller rendre visite à une personne qu’il faudrait qu’elle revoie un jour ou un autre, comme elle le savait.
Elle avait réussi à ne plus y penser pendant la plus grande partie de sa formation à Quantico, mais il y avait encore le problème de Bolton Crutchfield. Elle savait qu’elle devrait l’oublier, qu’il l’avait appâtée lors de leur dernière rencontre.
Et pourtant, il fallait qu’elle sache : est-ce que Crutchfield avait vraiment trouvé un moyen de rencontrer son père, Xander Thurman, le bourreau des Ozarks ? Avait-il trouvé un moyen d’entrer en contact avec l’assassin de tant de personnes, dont sa mère, avec l’homme qui l’avait laissée, à l’âge de six ans, attachée près du corps de sa mère, dans cette cabane isolée où elle avait failli mourir de froid ?
Elle allait le découvrir.
CHAPITRE TROIS
Quand Gray rentra à la maison ce soir, Eliza l’attendait. Il arriva à l’heure pour le dîner et l’expression de son visage suggérait qu’il savait ce qui se profilait à l’horizon. Comme Millie et Henry étaient assis dans la cuisine et qu’ils y mangeaient leurs macaronis au fromage avec des tranches de hot-dog, aucun parent ne parla de la situation.
Ce ne fut que quand les enfants furent au lit pour la nuit que tombèrent les apparences. Quand Gray entra dans la cuisine après avoir couché les enfants, Eliza l’y attendait. Il avait enlevé sa veste sport mais portait encore sa cravate desserrée et son pantalon chic. Elle soupçonna que c’était pour avoir l’air plus crédible.
Gray n’était pas grand. Avec un mètre soixante-dix-neuf et soixante-douze kilos, il ne dépassait sa femme que de deux centimètres et demi, même s’il pesait bien treize kilos de plus qu’elle. Cependant, ils savaient tous les deux qu’il était beaucoup moins imposant en tee-shirt et en pantalon de survêtement. Les costumes d’affaires étaient son armure.
— Avant de dire quoi que ce soit, commença-t-il, laisse-moi essayer de t’expliquer, je t’en prie.
Eliza, qui avait passé une grande partie de la journée à se demander comment cela avait bien pu arriver, fut heureuse de se débarrasser temporairement de son angoisse et de le laisser souffrir en essayant de se justifier.
— Vas-y, dit-elle.
— D’abord, je suis désolé. Quoi que je dise d’autre, je veux que tu saches que je m’excuse. Je n’aurais jamais dû accepter que cela se produise. C’était un moment de faiblesse. Elle me connaissait depuis des années. Elle connaissait mes points faibles et savait ce qui était le plus susceptible d’éveiller mon intérêt. J’aurais dû me méfier, mais je me suis laissé abuser.
— Que dis-tu ? demanda Eliza, tout aussi abasourdie que vexée. Que Penny était une séductrice qui t’a manipulé pour que tu couches avec elle ? Nous savons tous les deux que tu es un homme faible, Gray, mais là, tu me moques de moi, non ?
— Non, dit-il en décidant de ne pas répondre à l’insulte. J’assume toute la responsabilité pour mes actions. J’ai bu trois whiskey sours. Elle portait sa robe fendue sur le côté et j’ai lorgné ses jambes. Cependant, elle sait ce qui me fait vibrer. J’imagine que ce sont toutes ces conversations à cœur ouvert que vous avez eues ensemble au cours des années. Elle a eu l’idée de frôler mon avant-bras du bout des doigts. Elle a eu l’idée de parler dans mon oreille gauche en ronronnant presque. Elle savait sans doute que tu ne l’avais plus fait depuis longtemps et elle savait que tu n’irais pas à ce cocktail parce que tu étais à la maison, assommée par les somnifères que tu prends la plupart des soirs.
Il s’interrompit pendant plusieurs secondes. Eliza essayait de se calmer. Quand elle fut sûre qu’elle n’allait pas crier, elle répondit d’une voix au calme choquant.
— Est-ce que tu m’accuses d’avoir provoqué ça ? À t’entendre, on croirait que tu n’arrives pas à contrôler tes pulsions parce que j’ai du mal à dormir la nuit.
— Non, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, pleurnicha-t-il, reculant devant le venin qu’il avait entendu dans sa réponse. C’est juste que tu as toujours du mal à dormir la nuit. De plus, tu n’as jamais l’air d’avoir envie de rester éveillée pour moi.
— Soyons clairs, Grayson. Tu dis que tu ne m’accuses de rien puis tu ajoutes immédiatement que je suis trop assommée par le Valium que je prends, que je ne m’occupe pas assez du grand garçon que tu es et que cela t’a forcé à coucher avec ma meilleure amie.
— De toute façon, quelle meilleure amie ferait ça ? lança désespérément Gray.
— Ne change pas de sujet, cracha-t-elle en se forçant à garder une voix ferme, en partie pour éviter de réveiller les enfants mais surtout parce que rester calme était la seule chose qui l’empêchait de devenir folle. Elle est déjà sur ma liste. Maintenant, c’est ton tour. Tu n’aurais pas pu venir et me dire : « Hé, chérie, j’aimerais vraiment passer une soirée entre amoureux ce soir » ou « Chérie, j’ai l’impression que je ne te vois plus ces temps-ci. Est-ce qu’on peut se rapprocher ce soir ? » Ce n’était pas possible ?
— Je ne voulais pas te réveiller pour t’ennuyer avec des questions de ce style, répondit-il d’une voix humble mais avec des mots acerbes.
— Donc, tu as décidé que le sarcasme était la meilleure attitude ? demanda-t-elle.
— Écoute, dit-il en essayant de se tirer de ce mauvais pas, avec Penny, c’est terminé. Elle me l’a dit cet après-midi