Gabrielle et Carter, son homme pour la nuit, retournèrent à la maison juste après deux heures du matin. Ils étaient tous les deux un peu ivres et Gabrielle dut lui rappeler une fois de plus d’éviter de parler fort parce que Claire dormait.
Ils franchirent le hall en titubant maladroitement puis arrivèrent à la chambre de Claire, où ils partagèrent un long baiser. Gabby se recula et donna à Carter son sourire le plus aguicheur. Il lui rendit la politesse, mais pas trop impatiemment. Elle aimait ça. Il était plus âgé qu’elle (il approchait de la cinquantaine) et il contrôlait mieux son enthousiasme que certains des jeunes informaticiens innocents avec lesquels elle sortait.
Il était beau, distingué et lui rappelait certains amis de son père, ceux qui la contemplaient discrètement quand ils croyaient qu’elle ne le voyait pas. Il attendait qu’elle reprenne les baisers. Quand elle le taquina en restant immobile pour tester sa réaction, il finit par parler.
— Tu as une belle maison, dit-il en faisant semblant de chuchoter.
Si tout se passe bien, tu vas m’aider à payer le loyer pendant un certain temps.
Elle réussit à garder cette pensée pour elle-même et répondit de façon moins opportuniste.
— Merci. Il y a une partie que je tiens particulièrement à te montrer.
Elle désigna le lit d’un hochement de tête.
— Tu me proposes de l’essayer ? Je pense vraiment qu’une visite guidée serait de circonstance.
— Et si tu t’y installais ? Je passe brièvement par la salle de bains pour me rafraîchir et je te rejoins tout de suite.
Carter sourit d’un air approbateur et avança jusqu’au côté du lit. Quand il enleva ses chaussures et commença à sortir sa chemise, Gabby se dirigea vers la salle de bains que partageaient les colocataires. Elle y alluma la lumière et jeta un dernier regard séducteur à Carter avant de refermer la porte derrière elle.
Une fois qu’elle fut dans la salle de bains, elle se rendit directement au miroir. Avant de corriger son maquillage, elle voulait contrôler ses dents. Elle y jeta un coup d’œil rapide et ne vit rien entre elles. Elle prit une gorgée rapide de bain de bouche et le fit tourner dans sa bouche. Elle se préparait à ajouter un soupçon de gris cendré à ses paupières quand elle remarqua un bras posé sur la baignoire auto-portante qui se trouvait derrière elle.
Elle se retourna, étonnée. Claire n’avait pas l’habitude de prendre des bains à cette heure-là. D’habitude, elle se couchait dès qu’elle rentrait, parfois sans même enlever ses vêtements. Si elle était allongée dans la baignoire toutes lumières éteintes, cela signifiait probablement qu’elle était complètement ivre.
Gabby approcha sur la pointe des pieds en priant pour ne trouver qu’une colocataire inconsciente, pas une baignoire couverte de vomi. Quand elle regarda par-dessus le bord de la baignoire, ce qu’elle vit était bien pire.
Claire portait encore la minijupe qu’elle avait mise pour sortir ce soir. Elle était allongée sur le dos dans la baignoire, ses yeux vitreux écarquillés, couverte de sang. Son visage en était zébré et il avait formé une sorte de sauce épaisse et visqueuse dans ses cheveux. Il y avait du sang partout, mais il semblait être surtout venir de sa gorge, qui était massacrée par ce qui semblait être une série de coups de couteau profonds.
Gabby la regarda fixement et ne se rendit compte qu’elle s’était mise à hurler que quand Carter apparut à côté d’elle, la secoua par les épaules et lui demanda ce qui se passait. Un seul coup d’œil à la baignoire lui apporta la réponse. Il recula en trébuchant, choqué, puis sortit son téléphone portable de sa poche.
— Sors d’ici, lui dit-il en la prenant par un poignet et en l’arrachant à l’horreur qui se trouvait devant elle. Va t’asseoir sur le lit. J’appelle la police.
Gabrielle arrêta de hurler, heureuse d’avoir une instruction à suivre. Elle repartit machinalement jusqu’au lit, où elle s’assit, fixant le sol du regard sans vraiment le voir. Derrière elle, elle entendit la voix de Carter, distante et métallique.
— J’ai besoin de signaler un meurtre. Il y a le cadavre d’une femme dans la baignoire. On dirait qu’elle a été poignardée.
Gabby ferma les yeux et les crispa, mais en vain. L’image de Claire, qui gisait sans défense et toute molle dans la salle de bains à seulement quelques mètres, avait été gravée dans sa mémoire.
CHAPITRE TROIS
Le marshal se comportait comme un con. Tout ce que Jessie voulait, c’était aller faire un jogging. Il répétait constamment « C’est une mauvaise idée », ce qui signifiait en fait « C’est interdit ». Il montrait le tapis de course dans le coin du salon comme si cet appareil détenait la réponse à tous ses soucis.
— Mais j’ai besoin de prendre l’air, dit-elle, consciente d’être vraiment trop geignarde.
Le marshal, qu’elle ne connaissait que sous le nom de Murph, n’était pas le mec le plus causant du monde, chose frustrante, vu qu’il était le premier responsable de son équipe de gardes du corps. De petite taille et svelte, avec des cheveux marron clair qui donnaient l’impression qu’il les faisait couper toutes les semaines, il semblait satisfait d’éviter complètement de parler si possible. Comme pour le prouver, il répondit en montrant la cour de derrière d’un signe de tête. Jessie essaya de se rappeler s’il était un des marshals qui avaient été assassinés dans le cauchemar de la nuit dernière. Une partie d’elle-même l’aurait souhaité.
En vérité, Jessie n’avait pas seulement besoin d’air frais ou de faire du jogging. Elle voulait se rendre dans les hôpitaux du coin pour voir si un homme correspondant à la description de son père y était venu depuis sa dernière vérification, avant le jour où elle avait été placée dans ce refuge. L’inspecteur Ryan Hernandez, son ex-collègue, était supposé la tenir au courant sur ce point mais, comme elle n’avait pu contacter personne ces derniers temps, et lui non plus, elle ne savait pas s’il avait trouvé quelque chose.
Jessie était quasiment sûre que le marshal connaissait ses véritables intentions, mais cela ne l’exaspérait pas moins. Enfermée dans cette maison, elle devenait folle et, même si elle savait qu’on l’y gardait pour la protéger, elle avait atteint les limites de sa patience, particulièrement après le rêve de la nuit dernière. Elle avait décidé qu’il fallait que quelque chose change et il n’y avait qu’un moyen pour cela.
— Je veux voir le capitaine Decker, dit-elle fermement.
Le marshal sembla réticent à répondre, comme s’il espérait qu’il pourrait ignorer cette demande comme il l’avait fait avec toutes les autres, mais, bien sûr, il ne le pouvait pas. Jessie ne pouvait pas les forcer à la laisser partir en promenade ou aller à l’épicerie mais, si elle demandait formellement à voir son chef et si cela pouvait se faire sans danger, ses gardes du corps devaient obtempérer.
Lentement et avec un air renfrogné, le marshal leva une main et parla dans le dispositif de communication connecté à son poignet.
— Jabberjay demande une visite autorisée. Veuillez décider.
En attendant la réponse, Jessie resta calme et choisit de ne rien dire sur le nom de code fort peu séduisant qu’on lui avait apparemment attribué.
*
Quatre-vingt-dix minutes plus tard, elle était assise dans une petite salle de conférence dans un coin calme du Poste de Police Central du centre-ville de Los Angeles, attendant l’arrivée du capitaine Decker. Le marshal du nom de Murph qui l’avait accompagnée de la maison jusqu’ici se tenait au fond de la pièce, visiblement encore agacé qu’on l’ait forcé à être là.
Le processus pour arriver à cet